Qu’est-ce que l’USSD et pourquoi est-ce un moteur de développement économique en Afrique ?

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Mathias Léopoldie
Mobile money for all
7 min readJan 30, 2017

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Il est plutôt rare de trouver une technologie spécifique au continent africain. L’USSD (Unstructured Supplementary Service Data ou Données de Services Supplémentaires non Structurées) est un de ces ovnis méconnu dans la plupart des pays de l’OCDE¹.

Comment ça marche ?

Il s’agit d’une connexion en temps réel entre l’opérateur téléphonique et l’utilisateur qui permet l’envoi et la réception de données. Contrairement au SMS, les données ne sont pas stockées et sont seulement accessibles lors de l’ouverture de la session. Concrètement, l’utilisateur renseigne un numéro court du type #xxx# et accède à un menu contextuel dans lequel il peut naviguer grâce aux touches de son téléphone.

Par exemple, pour se connecter au Mali, l’utilisateur renseigne le #101#. Le code USSD s’exécute et le client arrive sur un menu contextuel pour effectuer des opérations (voir ci-dessous) :

Avec l’apparition du paiement mobile à partir de 2007², les opérateurs se sont rendus compte du potentiel économique de l’USSD : alors que 99% des téléphones sont compatibles, c’est le moyen idéal pour toucher un marché de masse. Ainsi, même si les taux de croissance du smartphone sont vertigineux (ils représentent aujourd’hui 40% des ventes de téléphones en Afrique³), l’USSD reste le canal de communication privilégié pour le développement de services. Ce n’est cependant pas la panacée : il n’est pas aussi sécurisé que la technologie STK (Sim Application Toolkit) et les connexions USSD ont tendances à se couper lors d’une trop grande utilisation du service ce qui peut éroder la confiance des utilisateurs.

Partenariats avec des opérateurs : le développement de nouveaux services

Jusqu’à 2010 environ, cette technologie n’était utilisée qu’en interne par les opérateurs pour permettre aux clients d’effectuer des opérations (consultation de solde, airtime topup, etc.). Constatant la source de revenus supplémentaires que pouvait apporter l’USSD, certains opérateurs ont donné accès à leur technologie afin de permettre le développement de nouveaux services. LittleCab utilise ainsi l’USSD de Safaricom au Kenya pour permettre à ses clients de commander un taxi. Parmi les opérateurs les plus innovants dans le domaine, Orange a mis en place un store pour les développeurs dans 6 pays (Egypte, RDC, Mali, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal). Par exemple, M-Louma, fondée par Aboubacar Sindy Sonko en 2012, est une bourse agricole qui utilise le store USSD d’Orange au Sénégal.

Partenariat avec un opérateur : barrières à l’entrée

Cependant, les barrières à l’entrée pour l’accès à l’USSD sont importantes. Tout d’abord, l’opérateur a tout pouvoir pour accepter ou refuser un service, bien que la technologie soit un quasi bien public. Ainsi, au Pakistan, les opérateurs refusent l’accès à l’USSD aux services financiers concurrents et ne l’octroient qu’aux instituts de microfinance qui font partie de leur chaîne de valeur. De plus, le prix offert par les opérateurs pour l’accès est parfois non concurrentiel : des plaintes ont été déposées au Kenya par exemple. Par ailleurs, la qualité des connexions offertes par les opérateurs est variable ce qui décourage de nombreuses entreprises, qui doivent en outre négocier avec chaque opérateur et maintenir une solution technique pour chaque type de plateforme USSD (installée par les équipementiers des opérateurs comme Huawei, elles varient selon les opérateurs). Enfin, le cadre réglementaire pour l’accès à l’USSD est parfois prohibitif : Lanre Adeloye, cofondateur de la startup nigérianne SaferMom, explique ainsi qu’il faut attendre un minimum de 6 semaines pour obtenir le numéro court de la part de la Nigerian Communications Commission (NCC). A titre d’exemple, au Mali, l’AMRTP (autorité de régulation) oblige toute entreprise à faire une déclaration de Services à Valeur Ajoutée pour 153000 FCFA (233€) : compte tenu du niveau de vie du pays, de nombreuses petites entreprises sont d’emblée exclues du dispositif.

Il est également à noter que tous les opérateurs n’ont pas encore les moyens techniques pour profiter de la source additionnelle de revenus que peut leur apporter l’USSD : il est parfois difficile pour eux de mettre en place un système de facturation efficace (dans la mesure où c’était un moyen de communication interne à l’origine). Ainsi, il existe de nombreuses manières de tarifier (à la session, au temps passé par session (une session durant en moyenne 37 secondes), à la requête pour chaque opération effectuée pendant la session…).

USSD gateways : un facteur de développement économique qui a fait ses preuves dans les pays anglophones

Les entreprises spécialisées dans l’envoi et la réception de SMS ont également identifié le potentiel économique et ont proposé à partir de 2011 des gateways afin d’agréger l’USSD des opérateurs téléphoniques. Concrètement, il s’agit de proposer à d’autres entreprises de pouvoir créer un menu et d’utiliser la technologie USSD sans avoir à négocier avec chaque opérateur l’accès à leurs plateformes. Parmi ces entreprises, Clickatell, txtNation et Infobip dominent le marché. Elles ont ainsi permis à de nombreux services indispensables aux citoyens de voir le jour. Il faut malheureusement constater que cette agrégation des opérateurs a seulement été réalisée dans les pays anglophones : Nigeria, Kenya, Tanzanie, Ouganda, Afrique du Sud…

L’avantage des gateways est triple :

  • Un seul interlocuteur pour l’entreprise qui souhaite développer un menu USSD. Les services clients des gateways sont spécialisés en B2B contrairement à ceux des opérateurs (concernant l’USSD),
  • L’entreprise de gateway négocie des tarifs de gros avec les opérateurs ce qui permet de réduire les coûts d’utilisation de l’application,
  • Les gateways développent des outils simples et intuitifs pour permettre un go-to-market très court pour les entreprises,

Pour schématiser :

Sans agrégateur USSD, une entreprise qui veut lancer un service pour communiquer avec ses clients se retrouve dans la configuration suivante :

Elle doit négocier avec chaque opérateur un contrat et maintenir ses propres équipements techniques pour accéder à l’USSD. Ces processus sont coûteux, et chaque entreprise doit réaliser les mêmes investissements.

Avec un agrégateur (gateway) USSD, une économie d’échelle se met en place :

Le schéma paraît plus compliqué, mais en réalité, la gateway USSD permet de réduire les coûts liés aux investissements et aux négociations commerciales avec chaque opérateur : de nombreuses entreprises peuvent alors entrer sur le marché et bénéficier du service, ce qui augmente les revenus de toute la chaîne de valeur.

USSD : un potentiel encore inexploité en Afrique francophone

Malgré le formidable moteur de développement économique que représente l’USSD, seuls les pays anglophones ont pour l’instant saisi l’opportunité de l’agrégation par des entreprises tierces.

Pour résumer, le marché s’organise aujourd’hui selon trois modes de fonctionnement, du moins ouvert au plus ouvert :

  • Une entreprise noue un partenariat spécifique avec un opérateur (Little Cab au Kenya, aYo en Ouganda).
  • Un opérateur propose un store afin que les développeurs puissent accéder plus facilement à leur technologie. Les investissements pour les entreprises restent encore élevés mais l’accès à l’USSD est facilité par une standardisation et une commercialisation du service à grande échelle (#303# d’Orange dans 6 Pays)
  • Une gateway agrège les opérateurs (Clickatell, Infobip, txtNation etc.) : le potentiel économique est maximisé par l’économie d’échelle et le fait que tous les opérateurs deviennent accessibles d’un coup à toute entreprise.

Un petit schéma pour synthétiser tout ça :

Afin de favoriser le développement des gateway USSD, les autorités de régulation (autorité des télécommunications et autorités de la concurrence) pourront se saisir du sujet afin de permettre aux populations de bénéficier des services à valeur ajoutée qui émaneront de l’agrégation de l’USSD, notamment dans les pays francophones.

  1. Il s’agit en fait d’une technologie de pays à faibles revenus et de marchés émergents, car elle est également très populaire en Amérique latine et en Asie du Sud-Est.
  2. Il est intéressant de noter que M-Pesa au Kenya, le système de paiement mobile le plus connu avec 20 millions d’utilisateurs, n’utilise pas l’USSD mais le STK (Sim Application Toolkit) couplé à des SMS cryptés. Or, la technologie STK est moins pratique que l’USSD car elle nécessite de mettre à jour la carte SIM à chaque changement. Ainsi, M-Pesa en Tanzanie s’est développée sur la technologie USSD et non plus sur le STK.
  3. Jeune Afrique, hors série n°45, L’Afrique en 2017.

A propos de moi :

Co-fondateur de Julaya, solution de paiement mobile pour l’inclusion financière en Afrique de l’Ouest (téléchargez notre application ici si vous êtes en Côte d’Ivoire).
Techno-réaliste, enthousiaste et afroptimiste.

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