Que retenir de l’apparent spleen startup de cet été ?

Bartosz Jakubowski
Bartosz Jakubowski
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6 min readAug 18, 2016

Take Eat Easy, Save, ChicTypes, Zenchef, 1001Pharmacies … on met tout ça dans un grand sac, on agite le tout, on saupoudre d’un peu de “bulle qui éclate”, et paf, ça fait du clic. C’est un peu l’impression que j’ai en lisant la presse startup française récemment, qui s’agite autour des difficultés que rencontrent certaines startups tricolores. Et je trouve ça dommage d’en rester à ce niveau de lecture.

L’objet de ce post est donc d’essayer de dépasser le sentiment primaire qui émerge lorsqu’on voit toutes ces news. Je vais me garder decommenter le fond de la situation de chacune de ces sociétés, et ce pour deux raisons :

  • D’une part, je ne suis ni investisseur dans ces startups (à part Zenchef), ni leur avocat, ni encore moins leur fondateur. Je ne connais donc de leur situation que ce que j’en ai entendu, vu dans des sources officielles (le BODACC), et ce que les fondateurs en ont dit dans leurs nombreux posts Medium. Informations que je croise avec mon analyse d’investisseurs et des modèles similaires que j’ai rencontrés.
  • D’autre part, je suis admiratif du travail des entrepreneurs quelle que soit l’issue de leur activité car je n’ai moi-même pas (encore ?) eu le courage de le faire

Il y a trois points néanmoins qu’il me semble important de garder en tête pour ne pas céder à la panique et aux discussions de type café du commerce.

Credits: Shutterstock

1. Bien discerner la nature des difficultés

La première chose qui frappe est le fait que toutes les difficultés sont généralement mises sur le même plan, que la startup soit structurellement à court d’argent ou qu’elle connaisse de simples soubresauts opérationnels.

Rappelons donc quelques faits et définitions : ChicTypes, Save, et Take Eat Easy sont en redressement judiciaire. Le détail de cette procédure est expliqué plus bas (Annexe), mais pour faire simple, ces boites n’avaient plus suffisamment de cash pour couvrir leurs dettes de fonctionnement. Ces difficultés sont soit perçues comme transitoires et corrigibles, auquel cas il y aura continuation de l’activité : c’est le cas de Save comme le décrit Damien Morin ici et de ChicTypes, dans le cas contraire et en l’absence de refinancement, c’est la liquidation (ie fin du business, comme Take Eat Easy — voir l’excellente explication d’Adrien Roose ici). C’est donc un problème de cash.

C’est une nature très différente des difficultés opérationnelles (qui peuvent in fine conduire à un problème de cash, mais pas forcément) que rencontrent la plupart (lire : toutes) des startups à un moment de leur vie. C’est ce bref dé-focus lié par exemple à la levée de fonds que décrit Xavier Zeitoun de Zenchef ici, ou la divergence de vision entrepreneuriale menant à un départ d’un fondateur décrite par Sabine Safi de 1001Pharmacies .

Il est dangereux de faire des amalgames entre ces difficultés qui sont d’une nature, d’une gravité et d’un degré de létalité très différents.

2. “C’est le jeu ma pauvre Lucette”

A la lecture de certains articles ou quand j’entends certains, on dirait qu’on découvre que ça peut tourner au vinaigre dans des startups taillées pour le succès et la croissance, la disruption, l’ubérisation de l’ancienne économie, et je ne sais quel autre buzzword.

J’ai une réponse à ça : 6/10. C’est au doigt mouillé la proportion de startups early-stage qui plantent totalement, au bout d’un certain temps. C’est la dure loi auxquelles on se heurte tous les jours, entrepreneurs, VCs, clients, prestataires, etc.

Alors pourquoi s’en émeut-on autant aujourd’hui ?

Derrière chaque échec, il y a des fondateurs qui ont investi temps et argent, des salariés, des fournisseurs (pensez aux livreurs à vélo, par exemple), des clients, et des investisseurs qui perdent tout, certes, mais si c’est toujours aussi grave, ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est la médiatisation et la visibilité de ces aventures à la trajectoire volatile et risquée : croissance explosive, fin tout aussi brutale.

3. Ne pas se fier à l’apparence : le rôle ambivalent des media

Après deux ans plongé dans l’écosystème parisien, une chose m’apparaît : la visibilité d’une startup ou de son fondateur est un mauvais proxy du succès présent ou futur de son entreprise.

Les media startup font un boulot qui est très important pour l’écosystème (les principaux protagonistes pour la scène française figurent sur ce mapping) : ils mettent la lumière sur notre secteur, font naître un intérêt grandissant de “l’homme de la rue” pour les startups, peuvent servir de canal d’acquisition pour certaines boites B2C (et plus rarement B2B), et servent de baume à l’ego de certains.

Néanmoins, il y a beaucoup de choses qui restent perfectibles :

  • les faits qui sont cités par les interviewés sont souvent un peu enjolivés (le meilleur exemple étant sans doute les montants levés … :)). Quoi de plus normal ? Il faut être bien vu.
  • beaucoup jugent uniquement sur ce qu’ils comprennent (1) de l’idée (2). Or, l’idée n’a aucune valeur sans exécution, et dans les rares cas où vraiment elle est unique, elle est généralement trop subtile et spécialisée pour pouvoir être réellement comprise et transcrite en peu de temps
  • souvent, il n’y a pas d’analyse de l’équipe (à part “après avoir brillamment réussi ses études à l’X / HEC / Sciences Po” (rayer la mention inutile), ni de l’ampleur du problème attaqué, ni de la viabilité du modèle. La raison est simple : article analytique => moindre taux de clic.

Il est donc nécessaire de dissocier la couverture media d’une startup du fait de savoir si “ça marche”.

Annexe : petit rappel schématique sur les procédures collectives (merci à Sacha LEVY)

Lorsque l’actif disponible d’une société (ie schématiquement, le cash) ne suffit pas à couvrir le passif exigible (toutes les dettes : les salaires, l’URSSAF, les taxes et impôts, les crédits bancaires, les fournisseurs, etc.), elle est en état de cessation des paiements. En clair, la société n’a plus assez de cash pour continuer son activité normalement (ie payer ses créanciers).

Deux solutions sont alors envisageables :

  • Soit ses actionnaires (ou de nouveaux) acceptent de réinvestir pour la garder à flot
  • Soit la société doit (sous 45 jours) se placer en redressement judiciaire pour temporiser (les créanciers ne pouvant désormais plus exiger le paiement de leurs créances), et voir si on peut redresser la barre. Ce redressement est public.

Dès l’ouverture de la procédure de redressement, le Tribunal nomme un mandataire judiciaire représentant des créanciers et peut nommer un administrateur judiciaire, qui gérera de manière opérationnelle la société aux côtés du dirigeant voire même seul.

Schématiquement, 3 issues sont alors possibles après le redressement :

  • Si les difficultés sont conjoncturelles ou corrigibles, on décide de la continuation de l’activité via un plan de redressement de l’entreprise négocié avec les créanciers (étalement des dettes) => cas de Save, Chic Types
  • Si aucun plan de redressement n’est envisageable : plan de cession de tout ou partie de l’entreprise et paiement des créanciers (dans leur ordre de priorité) avec le prix de cession, qui est souvent faible
  • Si le redressement de l’entreprise est manifestement impossible, le Tribunal a la faculté de prononcer la liquidation judiciaire (dans ce cas, les investisseurs ne perçoivent de l’argent que s‘il reste quelque chose après paiement de toutes les dettes … ce qui est rare)

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Bartosz Jakubowski
Bartosz Jakubowski

VC at Alven. Passionate about taking a step back on the startup and VC ecosystem and decentralization technology. Football player, electronic music fan.