Du quantified self au modified self

Jiben Sire
Ah, ça ira !
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4 min readAug 24, 2015

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Essentiellement présents dans la domotique et la santé, les objets connectés nous permettent, dans ce dernier secteur, de recueillir une foule de données sur nous-mêmes. Mais, si les informations glanées nous invitent à mieux quantifier notre “moi “ (quantified self), elles ouvrent également une nouvelle voie, nous conduisant à modifier nos comportements et nos habitudes de vie (modifiedself) et à la création de nombreuses applications allant dans ce sens.

Contrôler à distance le thermostat de son système de chauffage avec son téléphone mobile, ou calculer le nombre de calories dépensées dans une journée par le biais de son bracelet connecté, ne sont plus des chimères depuis déjà plusieurs années. L’heure du Big Data a sonné et avec elle la question de l’usage des données. Il est bien beau de remplir ses disques durs et d’affoler ses neurones d’une somme pantagruélique d’informations, ou de les partager fièrement sur les réseaux sociaux, mais cela ne présente pas un grand intérêt, au regard des sommes dépensées pour acquérir et fabriquer les appareils qui rendent possible cette quête. Avec près de 5 milliards d’objets connectés dans le monde, quatre fois plus envisagés à l’horizon 2020, l’analyse de leur usage montre la nécessité de leur associer des débouchés comportementaux et industriels. Comme le note lucidement le consultant en e-santé, Lionel Reichardt, dans une interview accordée à Terra Fémina : « Avec un certain recul sur les applications de quantified self existantes, on observe un taux d’abandon important de ces outils au bout de quelques semaines. D’où le concept plus ambitieux de modified self, qui s’intéresse aux aspects sociologiques de la motivation des individus et qui cherche à créer des applications qui donnent du sens à la démarche ».

L’assurance connectée

Certains, cependant, explorent déjà ce créneau dont les ramifications pourraient s’avérer surprenantes. Si le domaine de la santé est le premier concerné, dans la mesure où l’acquisition de données comportementales et physiologiques permettent directement aux praticiens de distiller conseils, mises en garde, encouragements ou traitements, d’autres envisagent sérieusement de se saisir de cette manne. Dans le secteur des assurances, plusieurs sociétés ont déjà lancé des applications spécifiques, comme AXA avec Modulango et Direct Assurance avec You Drive.

Imaginons, en effet, que les objets et capteurs connectés dont on se munit pour faire notre jogging, ou dont nos automobiles sont bardées, ne soient plus destinés à notre seul usage, mais également à ceux qui couvrent nos risques : des perspectives inimaginables s’offrent alors, pour redéfinir le concept de l’assurance et de son adaptabilité. Ainsi, le comportement d’un automobiliste pourra faire varier, de manière positive ou négative, la nature de son contrat en fonction des données transmises par le véhicule. Un contrat de prévoyance pourrait être corrigé, par-delà la déclaration du contractant, en fonction de l’actualisation de sa situation. Cependant, outre le fait que ces enjeux pourraient remettre en cause le concept même de la mutualisation, qui constitue le fondement de notre système d’assurance, on mesure facilement quels sont les dangers éthiques d’une telle démarche appliquée de manière extrême, autant que les conséquences d’une hyper-connexion du corps et de l’augmentation de la tendance à la surveillance généralisée qu’elle implique.

Les vertus du jeu

D’autres voient déjà plus loin, s’appuyant sur une autre observation de Lionel Reichardt pour rendre l’usage de leurs objets plus motivant : « On peut citer plusieurs leviers de motivation comme la gamification. Sur une brosse à dent connectée pour les enfants, l’aspect ludique avec une collecte de points va engager le jeune utilisateur, mais ça fonctionne aussi avec les adultes ! Les applications RunKeeper et Nike+ l’ont bien compris, en proposant des challenges et des niveaux à atteindre par un système de couleurs ». Il s’agit, dans ce cas, de faire usage de l’objet connecté pour arriver à un certain objectif et améliorer notre comportement sanitaire. User du jeu pour déclencher des comportements vertueux, voilà une perspective réjouissante. Et, puisque nous en sommes à évoquer l’aspect ludique des choses, notons également la révolution qui est en train de se fomenter du côté des éditeurs de jeux vidéo, à la fois férus d’objets connectés et de neurosciences. En effet, le célèbre éditeur canadien Ubisoft développe actuellement une approche logicielle intitulée FUN II (Interaction Intelligente), fondée sur le suivi émotionnel des joueurs, dans le but de créer des jeux capables de s’adapter à leurs réactions et d’évoluer en fonction. Il s’agit là d’une autre approche des « modifications » induites par le recueil de données, mais finalement inverse au concept du modified self, puisque ce n’est plus l’homme qui est amené à changer en fonction des préconisations de la machine, mais la machine qui entame sa mue au service de l’homme.

Article publié par Benjamin Sire dans la revue Com’ent de l’association Communication & Entreprise

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Jiben Sire
Ah, ça ira !

Journaliste (com’, pol) et musicien. Prochain album, November, sortie 20/11/2015. Cofondateur de Chancy Publishing (édition & production), prestataire Olam Prod