Cocorico ?

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
4 min readSep 22, 2019

Vous avez forcément entendu parler des annonces de la semaine dernière concernant l’écosystème tech français…

… à l’occasion de l’événement France Digitale Day, la French Tech a bénéficié d’un coup de projecteur assez inédit. Annonce de 5 milliards d’euros (via les investisseurs institutionnels) par Emmanuel Macron, soirée à l’Elysée, “Scale-Up Tour”, présentation du classement du Next40,…
Cela m’a inspiré quelques réflexions.

5 milliards, c’est beaucoup. Et en même temps très peu

Dans l’absolu, le chiffre de 5 milliards en impose. Mais il est encore loin des 20 milliards recommandés par le rapport Tibi (du nom de son auteur, ex-dirigeant d’UBS en France) pour “lever le verrou du financement des entreprises technologiques”. Cette somme sera déployée sur trois ans, ce qui fait, grosso modo, 1,6 milliard de plus par an.

Cela sera-t-il suffisant pour que des acteurs français puissent être à l’origine des prochains “build-up” mondiaux ? Autrement dit, grâce à ce nouvel afflux de capital, les successeurs de Drivy ou LaFourchette, après avoir procédé au rachat de leurs homologues européens, seront-ils demain en mesure de racheter leurs concurrents américains, plutôt que de se vendre à un équivalent de Getaround ou TripAdvisor ?

Autre question : ces milliards ne viennent-ils pas alimenter une bulle, en faisant gonfler les valorisations de quelques trop rares “scale-up” qui concentrent toute l’attention ? Même si avoir des entreprises valorisées avec les multiples des licornes américaines serait indéniablement un succès pour la French Tech, les déboires de WeWork avec son introduction en bourse montrent la décorrélation croissante entre valorisations et réalité économique… et les limites du modèle.

C’est une nouvelle étape pour la “startup nation”

Autre annonce de la semaine passée : la liste du Next40, grâce auquel l’Etat veut montrer que l’heure est désormais aux scale-up. Aujourd’hui, les startups en amorçage ont accès à un capital devenu abondant (ce qui est à double tranchant) et le financement pour les Séries A et B est relativement facile à obtenir. Mais passer à l’étape suivante est bien plus difficile : les “mega-rounds” restent encore rares en France : c’est ce qu’explique simplement Paul-François Fournier, le directeur de l’innovation de Bpifrance, dans un thread sur Twitter.

Tous les efforts du Gouvernement se concentrent donc maintenant sur l’encouragement des “scale-up”, via l’annonce des 5 milliards, l’organisation d’un scale-up tour et le programme Next40. Celui-ci offre à ces 40 privilégiés (et bientôt 120) des avantages indéniables pour faciliter leur croissance : ils sont résumés sur le nouveau site de la French Tech. En gros, le message est peut se traduire par “c’est bien d’avoir plein d’idées, mais maintenant il faut rationaliser et se concentrer sur les quelques entreprises les plus prometteuses”.

L’écosystème se sépare donc désormais en deux univers : d’un côté les startups qui doivent encore faire leur preuve, de l’autre les scale-up, qui elles aussi ont encore beaucoup à prouver, mais qui sont déjà en phase d’hyper-croissance et d’internationalisation.

Au passage, ces deux mondes sont marqués par une même réalité, qu’il est difficile d’ignorer : l’absence de diversité… Une seule femme est à la tête d’une entreprise du Next40 et les allées de France Digital Day avaient toujours des allures de rassemblement de promo d’école de commerce. Des initiatives comme le French Tech Tremplin visent à changer la donne, mais les choses ne bougent que très lentement.

L’enjeu devrait être européen

Il reste un sujet qui est malheureusement absent des annonces de la semaine passée : celui de l’Europe, pourtant essentiel pour le succès des “scale-up” françaises. Si les américains sont capables de créer des “build-up”, en rachetant leurs homologues déjà présents en Europe, c’est parce qu’ils ont certes accès à de plus grandes capacités de financement, mais aussi parce qu’ils opèrent au sein d’un marché bien plus large et homogène.

Pourtant, cette question du marché domestique est trop peu souvent abordée… L’Europe est un cauchemar pour les startups : réglementations, imposition, droit du travail, langues… il faut à chaque fois repartir de zéro. Sur ce sujet, la proposition de Grégory Pascal (SensioLab) d’une “chambre de compensation des prélèvements obligatoires” en Europe, bien que complexe et technique à mettre en place, a le mérite d’apporter une solution. Mais ce n’est qu’un élément du problème.

En ne raisonnant qu’à l’échelle franco-française, le risque est grand de passer à côté de l’essentiel. C’est indéniable : à cause de la fragmentation du marché européen, nos startups partent de toute façon avec un handicap qui leur fait perdre un temps (et de l’argent) précieux, là où leurs concurrents américains peuvent “scaler” beaucoup plus vite.

Si cette question n’est pas traitée, tous les efforts mis en oeuvre pour booster les “scale-up” ne serviront qu’à faciliter la tâche des Américains (et demain des Chinois), qui trouveront en France un vivier dans lequel faire leurs emplettes encore plus facilement, même si les valorisations s’en trouvent augmentées. Certes, au passage, des emplois seraient bien créés en France, mais si l’objectif du Gouvernement est la souveraineté économique, le compte n’y est pas.

// Avant de nous séparer //

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Benoit Zante
@bzante

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