👀 De la difficulté de voir

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
5 min readMar 3, 2020

Avec ses entrepreneurs, explorateurs, chercheurs ou penseurs, les interventions de la Maddy Keynote 2020 étaient particulièrement variées cette année… mais plusieurs s’accordaient sur un même sujet : la difficulté de rendre visible l’invisible…

Première intervention marquante sur la “Visionary Stage” du 104, celle de David Carroll, designer et lanceur d’alerte dans l’affaire Cambridge Analytica. Il est l’un des personnages-clé du documentaire “The Great Hack” diffusé par Netflix l’été dernier, en raison de ses actions en justice contre Cambridge Analytica et ses sociétés-soeurs, dans le but de récupérer ses informations personnelles.

Il explique par exemple la difficulté pour les réalisateurs du documentaire d’illustrer et de rendre visibles l’exploitation des données personnelles et le fonctionnement des algorithmes — dans le film, ce processus est représenté grâce à un impressionnant travail d’image de synthèse. “L’intelligence artificielle et le Machine Learning raisonnent de façon multi-dimensionnelles. L’esprit humain, lui, ne peut penser qu’en 3D. On ne peut pas comprendre comme l’IA prend ses décisions : c’est un esprit différent.”

En étudiant les données recueillies sur lui et les conclusions tirées par les algorithmes de Cambridge Analytica sur sa personnalité, il a ainsi eu quelques surprises : le port d’arme serait l’un de ses principaux centres d’intérêt… alors que le respect des droits civiques ne figurerait qu’en bas de classement. Face à ces conclusions farfelues, David Caroll a concentré ensuite toutes ses démarches sur l’absence d’”explicabilité” des algorithmes, en demandant à Cambridge Analytica d’expliquer le fonctionnement de ses modèles… sans succès, en raison de la mise en faillite de l’entreprise, qui lui a permis de se dédouaner de ses responsabilités.

Chose étonnante aussi : en tant que citoyen américain, la seule raison pour laquelle il a pu attaquer Cambridge Analytica en justice et obtenir une copie des données détenues à son sujet tient au fait que ces données étaient traitées en Grande-Bretagne. Un pays, où, à la différence des Etats-Unis, des lois protègent les citoyens face à des usages abusifs de leurs données personnelles (ce qui devrait évoluer avec le Brexit)…

Au passage, David Caroll nous apprend que les équipes de Cambridge Analytica étaient bien déterminées à interférer avec les élections en France, comme elles l’avaient fait pour le Brexit ou pour l’élection de Trump. Mais elles y ont renoncé devant la sévérité de la législation sur les sujets de données personnelles — et en particulier de la détermination de la CNIL à la faire respecter. Et d’en conclure : “quand un entrepreneur dit que le RGPD est ennuyeux, il faut garder en tête que c’est [ce type de législation] qui a protégé votre démocratie.”

Dans un tout autre genre, Ed Scott Clarke, Producteur chez CNN International et réalisateur du documentaire “E-Life” (en 2017) intervenait pour présenter son travail autour des déchets électroniques, dans le but de mettre des images sur cette pollution dont on a du mal à visualiser l’ampleur. Smartphones, ordinateurs, batteries, câbles… tout cela s’entasse dans des décharges à travers le monde. “L’e-waste est la pollution qui croit le plus vite à l’échelle de la planète, et personne n’en parle” alerte-t-il, expliquant qu’en Europe, cela représente 16kg par personne chaque année.

“Si le rythme continu, fin 2020 on atteindra 50 millions de tonnes d’e-waste produites, dont un million juste de câbles et de chargeurs. C’est difficile de visualiser ce que ça représente : c’est l’équivalent de 4 500 tours Eiffel produites chaque année”. Et la destination d’une très large majorité de ces déchets est… inconnue. Seule une faible part est recyclée (c’est 35% en Europe, pourtant le meilleur élève de la classe)… Vous pouvez voir son intervention — et quelques solutions — ici.

Tout aussi alarmiste, Luc Jacquet, le réalisateur du mythique film “La marche de l’empereur” (et scientifique de formation) est venu parler de son travail en faveur de la protection de la nature. “J’ai l’impression que la génération de mes parents, la génération d’avant et même la mienne, on est parti en soirée avec une carte bleue, on juste a oublié de payer. Et ce sont nos enfants qui vont payer” explique-t-il.

Et d’ajouter : “je suis extrêmement inquiet de ces mouvements de type Extinction Rebellion, qui sont de vraies manifestations de colère. Les gens ont raison d’être en colère. La seule question qui se pose aujourd’hui, c’est comment cette colère va arriver à se manifester et comment elle va sortir. Je pense que cela peut devenir extrêmement destructeur. Nous devons absolument empêcher cette chose mortifère.”

Parmi les solutions qu’il évoque, il y a le cinéma, bien sûr. Il l’utilise pour “passer de la science” et “faire avancer les choses”, en transmettant des émotions aux spectateurs et en ouvrant les portes de ses tournages. Son but : aider à “ressentir avant de comprendre et d’agir”, “créer des ambassadeurs”, faire en sorte que les gens aient “les clefs pour comprendre et l’envie de se mobiliser, de ne pas devenir cyniques ou destructeurs”.

Et parce qu’on est devant le public de Maddyness, il parle de blockchain, de tokens et de hackathons — il envisage de confier à des équipes de jeunes créateurs l’ensemble des rushs de ses films, pour qu’ils créent de nouvelles oeuvres, “positives”. “Notre travail de cinéaste, de passeur, est d’abord d’aider et d’accompagner cette génération pour ne pas la laisser toute seule face aux défis qui l’attendent” résume-t-il.

Ce processus ne passe pas seulement par la vue : à la fin de son intervention, il a invité le public à fermer les yeux, pour écouter, en deux minutes, le choc des glaciers qui fondent. Glaçant.

Comme un écho aux interventions de la Maddy Keynote, une oeuvre composée de centaines de piles usagées, exposée au 104 au même moment…

// Avant de nous séparer //

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Benoit Zante

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