Le poids des mots…

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
5 min readAug 27, 2019

Au milieu de l’été, plus de 500 personnes se sont retrouvés à Arles pour échanger dans le cadre des Napoléons…

Pour ceux qui n’ont jamais été aux Napoléons, je vais me risquer à décrire ce que c’est… Lancée il y a 5 ans maintenant, cette communauté se réunit deux fois par an, à Arles, l’été, et à Val d’Isère, l’hiver. Au programme : du networking, des surprises, des ateliers et des conférences, autour d’un thème assez large (“Legacy” cette année). On y croise des communicants, des entrepreneurs, des anciens ministres, et toute une population qui s’interroge sur les grands sujets du moment.

La version arlésienne est ma préférée, car elle est orientée autour de la culture (les Rencontres photos d’Arles) et non autour du ski. Le cadre est grandiose et l’état d’esprit pré-vacances encore plus propice aux échanges qu’à Val d’Isère… Malgré la croissance de l’événement, on évolue toujours dans un cadre intimiste et agréable. Parmi les moments forts de l’année : le discours de Christiane Taubira dans le Théâtre Antique d’Arles, ainsi que la soirée de clôture, dans les arènes.

Le contenu est toujours qualitatif et surprenant, avec un mix délicat entre artistes, politiques, penseurs et entrepreneurs. Le thème de “Legacy” permettait de ratisser assez largement, en abordant les thèmes de l’héritage, du patrimoine et de la transmission. Le sujet de la transition écologique était au coeur des débats (pour ce sujet, je vous invite à lire mon article sur Maddyness), mais pas uniquement. Le pouvoir des mots et des discours était aussi une autre grille de lecture.

Sur ce sujet, je retiens par exemple le témoignage de Cyprien Fonvielle, de la Fondation du Camp des Milles, qui, dans le prolongement de son travail autour de la Shoah, s’interroge sur les points de bascule et les éléments de fragilité de nos sociétés. “Nous sommes à un point où l’avenir est en question. Quand nos sociétés n’arrivent plus à faire en sorte que les personnes qui la composent se projettent ensemble vers le futur, elles se fissurent. Il faut se demander ‘Qu’avons nous envie de faire ensemble ?’”

Le rôle déterminant de la politique dans la construction d’une vision de l’avenir en commun était aussi un des sujets de l’intervention de Christiane Taubira, qui a regretté que la parole politique soit devenue “experte, froide, glaciale”, renonçant à employer des mots comme “solidarité”, “hospitalité” ou “droit de l’Homme”. “Nous devons réapprendre à utiliser les mots” a-t-elle expliqué, avant de conclure, magistrale, par la lecture de quelques vers de René Char, héros de la Résistance.

La prospectiviste Virginie Raisson-Victor est justement intervenue pour parler de son histoire et de son nouveau projet, Chronos Global, qui vise, entre autres, à produire des discours positifs sur la transition écologique, pour qu’ils soient porteurs de changement et d’espoir. “Actuellement, il n’y a que deux récits qui sont disponibles : le populisme, simpliste, qui s’appuie sur des bouc-émissaires, et celui des collapsologues, qui mettent en avant l’effondrement. Il n’y a pas de récit commun, collectif et positif” a-t-elle regretté. “Pour l’instant” a-t-on envie d’ajouter.

Ce constat est partagé par Delphine Horvilleur, rabbin et essayiste, qui a opéré un parallèle osé entre les discours nostalgiques, promoteurs du “c’était mieux avant” et les discours qui entourent l’innovation : tous deux se retrouvent finalement dans un rejet commun du présent, au profit d’un hier ou d’un demain fantasmés. Son message aux entrepreneurs (mais pas seulement) : “Demandons-nous comment être à la fois des pionniers et des héritiers”.

Dans un autre registre, Philippe Mangeot, ex-président d’Act Up, a raconté ses combats, décrits dans le film “120 battements par minute”, et son “deal” avec les médias : “à l’époque, les médias venaient de se rendre compte, avec retard, que le Sida était l’épidémie la plus rapidement meurtrière à l’échelle de l’humanité. Ils ont besoin d’images, on leur en fabrique, on mène des actions spectaculaires. En échange, ils nous procurent une protection et nous servent de porte-voix. Un flic ne va pas frapper un malade du Sida devant les caméras.”

Et d’ajouter : “l’écriture de ‘120 battements par minute’ est contemporaine à Nuit Debout. Parmi les multiples raisons de Nuit Debout, il s’agissait de refuser le sort qui était fait à la Place de la République, qui était devenue un mausolée. Il s’agissait de faire savoir qu’il y avait autre chose à faire de nos morts. L’autre sens de Nuit Debout, c’était la volonté de retrouver un moyen de discuter, en mettant nos corps en jeu, pas seulement en échangeant sur un forum électronique.”

Enfin, je retiens le projet de Walter Bouvais, qui a installé à côté de Nantes “Open Lande”, une fabrique de projets révolutionnaires, destinée à faire émerger “une économie qui répare au lieu de détruire”, en sensibilisant entrepreneurs, responsables d’associations et artistes pour qu’ils mettent l’impact environnemental au coeur de leurs projets. Le choix d’intégrer des artistes n’est pas anodins : ils peuvent aussi contribuer à la construction d’une vision et de discours fédérateurs. Une initiative à suivre avec attention.

// EN BONUS //

Pour vous rendre compte de l’ambiance des Napoléons et avoir davantage d’aperçus des interventions de cette édition, je vous ai préparé une “Story” sur mon profil Instagram : le lien direct pour la retrouver est ici.

/ Avant de se séparer //

La rentrée débute sur les chapeaux de roues… je vous raconte ça très vite !

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Benoit Zante
@bzante

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