Une vie au musée

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
5 min readDec 15, 2022

Je l’ai déjà dit ici il y a peu de temps, mais au risque de me répéter, mes musées préférés sont ceux des Arts Décoratifs. Pas plus tard qu’hier, je suis retourné au “Mad”, rue de Rivoli, pour aller voir l’exposition consacrée à la créatrice de mode Elsa Schiaparelli, après avoir écouté la fiction qui lui était consacrée sur France Inter.

D’ailleurs, déclencher une action, ce ne serait pas là un bon indicateur pour jauger de la réussite d’un contenu, plus qu’un nombre d’écoutes ou de vues ? Mais c’est un autre sujet.

Pour faire rapide, l’exposition Schiaparelli ferme le 22 janvier : il faut aller la voir pour découvrir cette créatrice méconnue, figure inspirée et inspirante des années folles et du surréalisme. La scénographie est une réussite et c’est bien plus intéressant que l’exposition consacrée aux années 80 à quelques mètres de là.

Mais c’est en sortant de l’univers de cette créatrice que je me suis trouvé happé dans un tout autre monde…

Je voulais simplement jeter un coup d’œil rapide à une autre exposition, à l’étage du dessus, intrigué par sa signalétique.

Je me suis d’abord retrouvé dans une vaste librairie, avec un homme sur un écran qui expliquait son travail, racontait le choix des papiers et des formats. Soit. La pièce était entièrement consacrée à la librairie devenue maison d’édition dans les années 70, Futuropolis. “En 1972, elle est la première librairie au monde spécialisée dans la bande dessinée internationale d’auteurs” nous apprend l’exposition.

La pièce suivante, toujours sur le thème des livres, reproduit toute une bibliothèque en papier peint. Celle d’après, contient un mélange d’objets hétéroclites : chaises lampes, cafetières épurées, théières en cuivre, cendriers en verre.. Mais à la différence des pièces précédentes, celle-ci était pleine de monde.

Une visite guidée ! Mais pas avec n’importe qui : le “créateur”, celui qui avait réuni ces objets et auquel toute l’exposition était consacrée.

J’ai quand même mis quelques minutes à faire le lien entre le guide et le visage qui s’exprimait sur les écrans disséminés un peu partout, mais très vite, il n’y a plus eu de doute : aucun guide n’aurait pu être aussi passionné par ces objets.

En me greffant discrètement au groupe, j’ai pu suivre le fil de ses inspirations. Les objets chinés aux puces. La collection d’étiquettes de confiture tracées à la main d’une marque allemande (“chaque ‘g’ est différent”). Chaque livre de sa bibliothèque reconstituée.

Il peut passer cinq minutes devant une collection d’égouttoirs à faisselle et d’écumoires en métal, en comparant les mérites des modèles allemands et français… Les trous allemands étant bien plus esthétiquement agencés, apparemment.

Puis c’est un enchaînement de salles, avec partout, des couleurs, des lettres, des alphabets (il en a dessiné des dizaines). Chaque élément est propice à une anecdote, comme celle de ce musée pour lequel il a créé une identité graphique pour 5 000€, afin d’éviter les affres des marchés publics, mais qui lui a aussi acheté, au même moment, 3 œuvres. Ou encore ces alphabets recréés en Lego avec l’aide de ses petits-enfants.

Surtout, une bonne partie de l’exposition est consacrée… aux médias (il fallait bien que je retombe sur mes pieds à un moment). En effet, Étienne Robial — puisque c’est de lui dont il s’agit — est notamment connu pour ses logos et habillages de chaînes TV (M6, RTL9, I-Télé), et tout particulièrement pour son travail pour Canal +, dont il est le directeur artistique général depuis sa création en 1984.

On lui doit pas moins de 4 700 génériques et un système graphique très marquant, avec 8 couleurs permettant de faire 64 combinaisons.

Des génériques aux logos des émissions, en passant par les cartes de vœux, les CD-ROM et les tapis de souris, il a mis sa patte un peu partout, jusqu’à la vaisselle (“dépareillée”, au grand dam du maître d’hôtel) du restaurant VIP de la chaîne : avec son marquage discret, il s’agit d’un “pied de nez à TF1”, chez qui tout est “logotisé” à l’extrême.

On doit aussi à Étienne Robial plusieurs logos et maquettes de magazines, dont la refonte de la marque L’Équipe, avec la création d’une marque unique papier-internet-TV. L’occasion pour lui d’évoquer au passage des enjeux humains derrière ce travail.

En parlant d’humain, difficile d’imaginer, à l’heure de l’IA Generative (il fallait bien que j’en parle à un moment ou un autre) que ce regard et cette vision puissent être un jour automatisés… D’ailleurs, même si Étienne Robial dessine encore au crayon sur du papier (une salle entière est d’ailleurs consacrée à ses outils), la technologie n’est pas étrangère à son travail.

Par exemple, la charte de Canal + a évolué au fil du temps pour prendre en compte l’évolution des techniques de diffusion et les formats (du minitel au passage du format 4/3 au 16:9 en passant par l’arrivée du numérique…). Les différents alphabets créés pour la chaîne (un pour le sport, un autre pour le cinéma, etc.) prennent aussi en compte les enjeux de lisibilité propres à la télévision, que ce soit par la forme des lettres ou leur espacement.

On pourrait l’écouter pendant des heures parler de la différence entre caractères et typographie, de ses astuces pour faire des cartes de vœux ou de la couleur des toiles cirées des maraîchers (pour faire ressortir l’éclat des fruits et légumes)… Mais la visite touche à sa fin.

Avec un bonus : un retour à la case départ, dans la librairie des débuts : cette fois, c’est l’illustratrice Florence Cestac, la cofondatrice de la maison d’édition, qui donne les explications…

Benoit Zante

PS. L’exposition est ouverte jusqu’au 11 juin 2023. Mais pas sûr que le charme opère autant sans un tel “guide” !

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