IA : le business comme facteur de survie ?

Guillaume Renaudin
maytheforce.bewizyu
8 min readApr 24, 2018

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L’intelligence artificielle est, avec l’avènement du machine learning, l’une des avancées technologiques majeures du XXIe siècle, initiée dès le XXe siècle notamment par le père de l’intelligence artificielle : Alan Turing.

Nous sommes maintenant à un tournant de notre rapport à l’intelligence artificielle et les derniers évènements politiques et sociologiques de l’initiative française AI for humanity confirment ce changement. En parallèle, Microsoft a publié dans son rapport annuel 2017,un changement de ses orientations, en plaçant en première priorité le développement de l’IA en lieu et place du mobile.

Nous entrons progressivement dans une adoption massive des intelligences artificielles touchant un très large public. Passée la phase de conseil, d’analyse, de recherche et de développement de ces technologies, suit naturellement la phase d’industrialisation et d’exploitation commerciale.

Jusqu’à présent beaucoup de domaines scientifiques et philosophiques ont été explorés plus ou moins profondément; les impacts sociologiques, la question d’éthique et les implications macro-économiques futures ont fait l’objet de nombreux articles et études spécifiques. L’aspect purement “business” intégré dans les IAs n’a pour le moment pas fait l’objet de questionnement approfondi sur sa nécessité ou ses conditions.

Vers des IA autonomes

Aujourd’hui lorsque l’on parle d’objets autonomes on pense tout de suite à la voiture et de nombreux progrès ont été effectués ces dernières années concernant l’autonomie des véhicules en commençant par les trains (ou métros) pour arriver sur des environnements plus “libres” comme les axes routiers.

Google car à Mountain View

Certes nous sommes encore loin de nos fantasmes passés et l’autonomie d’une voiture se limite aujourd’hui au mieux à la conduite sans chauffeur (et à quelques accus dans le châssis 😉) mais imaginons ce que sera la voiture autonome en 2030 : Sorti de la chaine de fabrication, le véhicule devient autonome: il paye son assurance, réserve ses rendez-vous d’entretien, se procure son énergie, etc. en s’appuyant sur les différentes API des fournisseurs dédiés.

Bien entendu, tout cela a un coût que ce soit en nature ou monétaire car notre société est basée sur le principe d’échanges économiques. Plus de 10 000 ans après le début du Néolithique, période des premiers échanges, le commerce est toujours indispensable à notre économie, il est donc fort à parier que ce sera toujours le cas dans 15 ans…

Ainsi la voiture réellement autonome devra financer son “existence” et donc se louer, effectuer des courses de taxi pour, à son tour, participer à notre économie d’échange et survivre en son sein. Il n’y a souvent pas de meilleurs exemples pour construire quelque chose de viable dans le virtuel que de s’inspirer du réel. C’est en tout cas ce que notre condition humaine nous pousse à faire continuellement.

Imaginons maintenant ce principe appliqué à une IA. A l’avenir nous allons chercher, à l’instar de la voiture autonome à rendre les IA les plus autonomes possible par rapport à leur environnement, aux contraintes administratives et techniques de leur maintenance en conditions opérationnelles. Il faudra chercher à les doter de ce que nous appelons l’instinct de survie chez les animaux.

Mais que signifie survivre pour une IA? Instinctivement, nous pensons à l’énergie qui permet aux ordinateurs sur laquelle elle s’exécute, de fonctionner. Mais est-ce la seule condition nécessaire à sa survie?

Le commerce comme facteur de survie

Si on regarde ce qui permet à un programme informatique de rester aujourd’hui “en vie” c’est avant tout son utilisation preuve de son utilité. Certains objectiveront peut-être qu’en moyenne, seules 20% des fonctionnalités d’une application sont réellement fréquemment utilisées (source: StandishGroup, 2014), mais c’est bien cette proportion et les bénéfices directs ou indirects qu’elle dégage qui nous pousse à continuer de maintenir en conditions opérationnelles un logiciel. Le faire “vivre” en quelque sorte.

Une IA, techniquement, est très proche des logiciels standards du marché et, à ce titre, a la même contrainte d’utilité que ses homologues “non intelligents”. Mais là où elle se distingue des logiciels traditionnels c’est dans sa capacité, sa nature même, à devenir autonome, se passer de nos interventions pour évoluer avec les contraintes de son environnement.

Ainsi, si l’on demande à une IA de trouver la meilleure solution à un problème donné, de prédire un état futur en fonction de données présentes ou passées, de classer des éléments pour trouver des ensembles cohérents, il est tout à fait envisageable de lui demander de prendre en compte dans son modèle les critères nécessaires à sa survie permettant d’orienter telle ou telle décision en fonction des attentes “business” en complément des attentes “utilisateur”.

Intégrer le business dans une IA

En IA, les critères d’entrée d’un modèle sont appelés les “features”. Ils représentent tous les éléments nécessaires à la description de l’état initial d’un problème sur lequel le modèle de prédiction ou de classification se basera.

Ces features sont généralement très centrées sur l’environnement direct du problème que l’algorithme tente de résoudre. Ainsi, la prédiction du prix de vente d’un bien immobilier se basera sur des éléments d’entrée liés au bien tels que : le nombre de pièce, la taille en m², la situation géographique, le quartier, l’historique des ventes…

L’idée pour rendre l’IA autonome et viable est d’intégrer la recherche d’efficacité économique, le retour sur investissement de ses décisions dans les features d’entrée de l’algorithme. Ainsi nous pourrions faire en sorte qu’une décision ou prédiction préjudiciable au modèle économique d’un processus accompli par une IA (si tant est qu’il en existe au préalable) ne puisse pas être possible et qu’au contraire soient privilégiées les sorties maximisant l’intérêt utilisateur ET la rentabilité économique à plus ou moins long terme.

Le modèle Waze

Waze est une application mobile de navigation GPS dont la particularité, en plus de permettre une édition collaborative des cartes, est qu’elle fait reposer ses algorithmes de recommandation de trajets sur les données remontées par ses utilisateurs. Son “business model” reposent sur 2 sources de revenus principales : la publicité et la revente de données valorisées.

Les features d’entrée et le modèle du moteur d’analyse des meilleurs parcours ne sont pas divulgués par Waze (c’est là que réside l‘un de leurs principaux avantages concurrentiels) et bien que plusieurs blogs tentent d’en comprendre et expliquer les arcanes, il n’y a aucune certitude sur la véracité des observations formulées par leurs auteurs. Néanmoins, en analysant le modèle économique de Waze, il est possible d’émettre des hypothèses crédibles quant aux éléments nécessaires à la survie de leur IA de recommandation.

En effet, le modèle de l’IA de Waze requiert des données en temps réel sur toutes les routes disponibles pour une destination demandée. Ainsi la survie de cet fonctionnalité repose dans son alimentation en données assez “fraiches”.

Toujours en s’inspirant du vivant, on peut imaginer que l’algorithme de Waze reproduit au niveau de ses utilisateurs les principes fondateurs des êtres Eusociaux tels les fourmis: la majorité des utilisateurs de Waze se verront proposer le trajet idéal sur des axes bien informés tandis qu’un petit nombre se verra affecter des trajets légèrement moins optimaux sur des axes secondaires pour ainsi doter le logiciel d’une fonctionnalité “d’exploration”.

Les risques de l’approche

Il est nécessaire de bien respecter l’objectif initial d’une intelligence artificielle: rendre service. Ainsi dans le cas de Waze, il est nécessaire de garder en tête que l’utilisateur doit toujours avoir l’impression d’avoir bénéficié d’un trajet lui faisant gagner du temps. Trop souvent réorienté et détourné, il se sentira manipulé à des fins qui ne servent pas ses intérêts. Il est donc nécessaire de mesurer la dualité entre avantage, intérêt business et attentes de l’utilisateur.

Comme dans toute stratégie marketing, il faut dissocier le court terme du long terme et le premier doit nécessairement servir le suivant. Privilégier une décision rendue par une IA car elle sert immédiatement l’intérêt financier ou concurrentiel d’une société pourrait avoir un effet négatif sur un partenariat à long terme ou sur la relation client qui viendrait à se méfier voir se désengager de la solution. Il est donc nécessaire d’intégrer dans un algorithme d’IA une modélisation de ces relations (KYC et KYP) afin d’influencer une décision par son impact sur ces critères.

Si nous nous basons sur le business model de Waze, il lui faudra toujours mesurer l’impact de l’affichage d’une publicité sur la satisfaction de l’utilisateur et de ses clients :

  • des publicités trop présentes et l’utilisateur se lassera et se tournera vers d’autres outils; le marché des solutions GPS est très compétitif…
  • un espace publicitaire sous-exploité et les clients ne seront pas satisfaits. Et ce, malgré les 3 avantages que détient Waze quant à l’impact de ces publicités pour ses clients: ciblage d’un marché local difficile à atteindre, possibilité de jouer sur l’acte d’achat impulsif (sur la route, au passage) et une communauté d’utilisateur de presque 70 millions d’utilisateurs actifs par mois.

Conclusion

Les IAs sont actuellement en phase de mutation: la confiance que nous leur portons aujourd’hui nous a permis de multiplier les applications intégrant des algorithmes de machine learning, augmentant drastiquement le nombre d’utilisateurs impactés. Nous leur accordons ainsi un domaine d’action et de décision beaucoup plus important. Cela nécessite de leur conférer plus d’autonomie car elles vont rapidement devenir trop nombreuses et trop complexes à gérer.

L’autonomie passe par l’acquisition d’un instinct de survie économique et l’intégration, dans les critères et les algorithmes, d’indicateurs et de cibles business.

Cette intégration ne doit pas, pour autant, se faire au détriment des besoins et des attentes des utilisateurs ou des clients. Dès aujourd’hui, il est important de rassurer les utilisateurs finaux en proposant spontanément plus de transparence sur les traitements de données. Et si la solution était qu’une IA puisse être modélisée par un smart contrat exécuté dans la blockchain ?

“Remember - BEWIZYU, always”…

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Guillaume Renaudin
maytheforce.bewizyu

Technical expert in Data & Cloud with special skills in IA