Bonne fête papa chéri : pour une interruption du travail obligatoire et généralisée

Louise Donnet
Bidonnes
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6 min readJun 9, 2019

Après plusieurs mois de débats nationaux, le Parlement européen et le Conseil ont adopté en janvier dernier une directive sur l’équilibre vie privée / vie professionnelle qui accorde aux pères un congé de 10 jours et aux deux parents un congé parental de quatre mois, dont deux non transférables d’un parent à l’autre.

Jusque-là tout va bien, sachant que dans certains pays européens comme l’Italie les pères n’avaient jusqu’alors droit qu’à deux jours de congé. En Belgique, le congé maternité dure quinze semaines, dont neuf obligatoires. Le congé paternité, lui, dure dix jours et est facultatif. Reste ce fameux congé parental. Là où le bât blesse, c’est au niveau de la rémunération, laissée à l’appréciation de chaque État. En Belgique, il est rémunéré de manière forfaitaire, à hauteur de 750€ net par mois pour un.e travailleur.se à temps plein. Le calcul est vite fait : les femmes gagnant un salaire moyen inférieur aux hommes, il est souvent plus profitable à la famille que ça soit la mère qui reste à la maison, elle qui perçoit 82 % le premier mois puis 75% de son salaire durant son congé de maternité.

Infographie réalisée par touteleurope.eu

Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque du côté des pères : selon une enquête de La Ligue des Familles, 60% d’entre-eux aimeraient un congé de paternité aussi long que celui de leur compagne. C’est désormais le cas en Espagne, où la durée du congé paternité obligatoire vient de passer à huit semaines, pour à terme égaler les seize semaines du congé de la mère.

En fait, l’absence d’une volonté politique à ce niveau véhicule un message très clair : c’est à la mère de s’occuper de l’enfant dès la naissance, elle est indispensable. Ce qui met une pression et une responsabilité dingue sur les épaules (déjà voûtées par le portage) des jeunes mamans. Pourtant, il n’y a rien là-dedans de naturel ou évident. Ce dont le bébé a besoin, c’est juste d’une figure d’attachement : ça peut être sa mère, son père, sa grand-mère, son grand-père, bref ! N’importe quel adulte qui va répondre à ses besoins et lui prodiguer amour et affection.

Et le corollaire de cette situation, c’est qu’on déresponsabilise le père, comme si on n’avait pas besoin de lui. Son rôle est de ramener l’argent du ménage. Et s’il est sympa, il changera les couches de temps en temps. On part du principe qu’il est moins compétent que la mère. Mais c’est complètement faux. Si une mère connaît mieux le fonctionnement de son enfant, c’est simplement parce qu’elle aura passé plus de temps avec lui.

Tout commence à la naissance. Après l’accouchement, le père est écarté, on lui conseille d’aller se reposer à la maison. Mais se reposer de quoi, au fait ? C’est lui qui vient de pondre un bébé de 4 kg peut-être? J’ai décidé d’accoucher dans un hôpital qui prévoyait un lit d’appoint pour le père et j’ai tenu à ce qu’il reçoive toutes les informations, au même titre que moi. De retour à la maison, on s’est entraidés tous les trois, notamment pour l’allaitement, qui était un peu difficile et pour lequel j’avais littéralement besoin de trois bras.

Tout se passait bien et puis, après dix jours, il a dû reprendre le boulot.

Et là, j’ai rien compris à ce qu’il m’arrivait. Je me remettais doucement de mon accouchement. La nuit, je me réveillais toutes les deux heures pour allaiter mon bébé et je passais mes journées à le nourrir / le changer / le bercer / me nourrir. Pas le temps de prendre une douche, de faire une sieste, de passer un coup de fil, rien. J’ai été propulsée dans ce quotidien : pas le choix, pas de question à se poser. Le père décide de son investissement un peu comme il veut. Il propose son aide : « tu veux que je le prenne ?» Faisant de la mère la capitaine du bateau, en charge de la survie de l’équipage. Alors qu’elle planifie, organise, vérifie les stocks de couches, il exécute, dans le meilleur des cas. Il fait ce qu’il peut et ça lui paraît déjà énorme alors que c’est si peu au regard de nos besoins.

Les premières semaines, un fossé d’incompréhension s’est creusé entre nous. « Pourquoi tu ne ferais pas ça demain ? » « Tu n’as qu’à aller là-bas » : tout parait facile pour le père dont la vie n’est que moyennement bouleversée. Il ne s’imagine pas de quoi sont faites les journées d’une mère en congé de maternité, que chaque étape de la journée est savamment millimétrée, que les journées sont rythmées et qu’au moindre faux-pas, tout cet équilibre peut s’écrouler. Et c’est normal, c’est un secret bien gardé. La réalité des femmes isolées avec leur bébé est complètement méconnue, si ce n’est invisibilisée.

A partir de là, c’est l’engrenage puisque cette situation initiale créera par la suite des inégalités dans la répartition des tâches au sein du ménage. Rien d’étonnant : la mère acquiert une forme d’expertise qui la conduit à être la seule à savoir où se trouve le carnet de santé, quel marque de lait l’enfant digère ou non, à quelle heure il est trop tard pour déposer l’enfant à la crèche. Une charge mentale qui rime avec frustrations puisqu’une fois qu’elle décidera de reprendre le travail, c’est elle qui devra le plus souvent écourter ses journées pour emmener le petit chez le pédiatre, zapper les réunions et donc manquer peut-être des occasions d’évoluer professionnellement. Le seul moyen de résorber ce fossé, c’est que les pères ou les coparents puissent vivre et expérimenter ce que c’est que de s’occuper d’un bébé non-stop. C’est aussi comme ça qu’ils pourront trouver leur place et développer un lien privilégié avec leur enfant.

S’il faut imposer un congé obligatoire pour le deuxième parent, c’est aussi tout simplement parce que répondre aux besoins élémentaires d’un nouveau-né nécessite une personne H24, et une deuxième personne pour la seconder ou du moins pour répondre aux besoins élémentaires de la première personne. En gros, besoin de quelqu’un qui tienne l’enfant cinq minutes le temps de faire caca. Ne fut-ce que ça.

Beaucoup s’imaginent que pendant le congé maternité, vu qu’on ne travaille pas, on a plein de temps pour soi, ce qui n’est absolument pas le cas. Bah oui, d’ailleurs on parle de “congé”: ça sous-entend repos, vacances, détente. “Profite bien de ton congé maternité !” Comme si on disait “Profite bien de ton congé maladie !” : non, ça n’a pas de sens ! On dit “Rétablis toi bien” et pour cette période post-partum on devrait dire : “Établissez-vous bien” ou “Bon accueil”. Et on devrait appeler ça un “arrêt pour l’accueil du nouveau-né”, une “interruption d’accompagnement” ou quelque chose comme ça. Que ça ne soit pas centré sur le parent mais sur l’arrivée du bébé.

Pas besoin d’être mère pour adhérer à l’idée qu’il faut imposer aux pères un « congé de paternité ». C’est une condition sine qua none pour parvenir à plus d’égalité hommes / femmes au niveau professionnel : ça aplatirait les choses niveau perspective de carrière, égalité salariale, discrimination à l’embauche, mise au placard. Et cela réglerait bien des choses aussi dans le cadre privé. Évidemment, cette mesure concernerait également les couples homosexuels où la problématique est la même et devrait être élargie pour permettre aux cohabitants ou à un membre choisi de la famille d’en bénéficier, dans le cas des mères élevant seules leur enfant.

Pour la fête des pères, oubliez donc la cravate en papier : offrez-leur, offrez-nous, une interruption du travail obligatoire et généralisée.

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Louise Donnet
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en cours de (dé)construction d'un féminisme intersectionnel et inclusif. work in progress