À quoi servent donc les livres ?

Marie Té
Bienvenue chez Booksquare
4 min readMay 1, 2016

À la sortie du métro Javel, je suis tombée sur un SDF qui vendait des vieux livres. J’ai discuté un moment avec lui et lui ai donné quelques centimes. Je lui ai dit que je ne prendrai pas de livre en échange puis j’ai aperçu Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. « Sauf celui-ci ! », lui ai-je dit et il me l’a donné aimablement. J’avais entendu parler de ce livre vaguement et surtout la quatrième de couverture me rappelait l’histoire d’un roman de science fiction que j’avais lu étant petite, Virus LIV3 ou la mort des livres de Christian Grenier. Dans ce dernier, un virus avait été mis au point par une communauté appelé les Zappeurs, adeptes des écrans et hostiles aux livres. Ce virus permettait, à la lecture d’un livre, d’entrer physiquement dans l’histoire et de devenir personnage à part entière du roman mais au fil du récit, les pages s’effaçaient inexorablement, ce qui aboutissait à la destruction de tous les livres existants.

L’histoire de Fahrenheit 451 reprend le même thème de la destruction des livres mais cette fois-ci non pas par un virus virtuel mais par le feu. Dans cette ville du futur, des pompiers sont chargés de brûler les maisons qui contiennent des livres et d’arrêter les personnes qui en détiennent. Fahrenheit est une réflexion sur l’essence des livres : A quoi servent-ils ? Quelle fonction ont-ils dans une société et pourquoi chercherait-on à s’en débarrasser ?

Aujourd’hui les livres nous paraissent inoffensifs, voire vains, à l’heure de la dictature des écrans. Alors pourquoi des pompiers, détournés de leur fonction première, s’acharneraient-ils à pourchasser leurs détenteurs, comme s’ils décelaient quelque chose de dangereux pour l’équilibre social ?

Pour Jacques Chambon, auteur de la préface dans l’édition que j’ai acheté, ce qui est dangereux c’est l’impérialisme actuel des médias et le « grand décervelage auquel procèdent la publicité, les jeux, les feuilletons, les informations télévisés ». C’est effectivement dans une société régi par les écrans télévisuels que vit Montag, le héros pompier de ce livre. Les livres y ont été bannis pour effacer l’inégalité entre les hommes, creusée par la culture. A la place, les esprits sont abrutis par la profusion de l’image qui ne laisse plus de place à la pensée individuelle. « On doit tous être pareils. (…) Chaque homme doit être l’image de l’autre, comme ça tout le monde est content ; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison ». La mise en avant du groupe au détriment de l’individualisme est illustré dans d’autres dystopies comme Le Meilleur des Mondes de Huxley ou encore 1984 d’Orwell. La destruction de la pensée individuelle est en effet une caractéristique des régimes totalitaires qui souhaitent refonder l’homme. Et quoi de mieux pour détruire la pensée individuelle que de s’attaquer aux livres ! La culture est ce qui permet à l’homme de s’élever, de s’extraire de la masse, de forger une personnalité individuelle et des opinions particulières. Elle est donc l’ennemi de tout Parti totalitaire qui veut imposer ses idées et donc anéantir toute opinion qui irait à leur encontre. La recherche de l’égalité parfaite entre les hommes a souvent été l’ambition des régimes communistes dictatoriaux et la destruction des livres permet de ramener tout le monde au même niveau, en empêchant le développement de l’intelligence. Le livre a souvent été moteur de querelle dans la société : il est parfois écrit pour bouleverser les mœurs, pour mettre en exergue les problèmes sociétaires. « Les noirs n’aimaient pas Little Black Sambo. Brûlons-le. La case de l’oncle Tom met les Blancs mal à l’aise. Brûlons-le. Quelqu’un a écrit un livre sur le tabac et le cancer des poumons ? Les fumeurs pleurnichent ? Brûlons le livre. La sérénité Montag. La paix Montag. A la porte les querelles », explique Beatty, le capitaine des pompiers à notre héros.

Mais la suppression des livres n’est pas seulement là pour anéantir l’opinion individuelle : elle serait garante également du bonheur. « Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de « faits », qu’ils se sentent gavés, mais absolument « brillants » côté information. Ils auront alors l’impression de penser (…). Et ils seront heureux parce que de tels faits ne changent pas. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie pour relier les choses entre elles. C’est la porte ouverte à la mélancolie. » Lire un livre, c’est donner l’occasion à l’homme de questionner la vie, de chercher du sens, et parfois de se perdre dans les écueils de la philosophie. C’est cette recherche de sens par le livre qui mènera Montag à choisir la délinquance, puis à devenir un fugitif.

Fahrenheit 451 nous invite à nous questionner : A quoi sert un livre ?

Outre un terrain propice à la réflexion, le livre nous invite à rêver, à voyager dans l’espace et le temps, à découvrir des personnages et vivre avec eux, à pénétrer dans l’intimité d’un écrivain. « Aujourd’hui je n’ai pas trouvé de meilleure définition à ce qu’apporte la littérature : entendre une voix humaine », dit Beigbeder. Le livre est une rencontre avec l’autre, avec son univers, avec ses doutes, ses joies et ses peines. Le livre est la porte ouverte vers l’humain. Alors continuons de lire avec Booksquare !

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