Pourquoi j’ai quitté l’hôpital pour une Startup.

Émilie Eyssartier
Biloba
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4 min readJun 15, 2020

Je ne m’étais jamais imaginée passant la plus grande partie de mon temps devant un ordinateur.

Etre chirurgien pédiatrique était le but que je m’étais fixé, et exercer à l’hôpital était une évidence. Etre utile aux plus grand nombre a toujours été mon ambition. Je suis fière d’y être parvenue, et j’ai aimé chaque minute passée à exercer ce merveilleux mais exigeant métier.

Et pourtant, j’ai décidé de quitter mes patients et l’hôpital. Ce fut un déchirement.

J’ai décidé de quitter l’hôpital après un lundi matin de plus où il n’y avait plus de gants stériles à ma taille au bloc opératoire, où il m’a fallu bricoler pour pouvoir utiliser un masque à visière avec mes loupes chirurgicales car il n’y en avait plus d’autre ; un autre matin où l’étudiant en médecine, qui tenait lieu d’instrumentiste, avait été réquisitionné ailleurs, et où le matériel dont j’avais besoin, que j’avais demandé, vérifié, n’était finalement pas disponible ; un autre matin où l’infirmière responsable de la salle opératoire travaillait avec moi pour la première fois et n’avait jamais fait de pédiatrie. Après un matin de plus où la débrouille et l’à-peu-près étaient la règle.

J’ai décidé de quitter l’hôpital après plus de 420 gardes de chirurgie et de pédiatrie, et plus de 830 astreintes au cours desquelles j’ai vu des urgences pédiatriques débordant de non-urgences à trier, et de prises en charge retardées pour de mauvaises raisons ; je n’ai cessé de constater ces nuits là, années après années, que l’organisation de notre système de santé avait besoin d’être repensée, qu’il manquait quelque chose en amont des urgences et des cabinets de consultation.

J’ai décidé de quitter l’hôpital après avoir fait des cours aux étudiants en médecine, aux élèves sage femmes, aux élèves puéricultrices, aux élèves infirmières de bloc opératoire, aux internes, aux infirmières du service, à mes confrères ; après avoir mis en place des formations par la simulation pour les étudiants en médecine, les internes, les infirmières de bloc, mes confrères, pour tenter d’optimiser et de sécuriser les prises en charges, de gagner du temps, parce que notre système de santé est saturé.

J’ai décidé de quitter l’hôpital après avoir été responsable d’unité, membre de différentes commissions, après avoir participé à des dizaines de réunions pour tenter d’améliorer les choses, et n’avoir réussi qu’à perdre du temps.

Pendant mon parcours, j’ai travaillé dans 6 hôpitaux différents, dont 5 CHU. Toujours le même constat, de plus en plus criant le temps passant : des professionnels motivés, investis, mais une organisation inadaptée, ankylosée, à réinventer.

Puis j’ai entendu Benjamin Hardy parler de Biloba. Le projet que Baptiste Rousseau et lui étaient en train de construire m’a immédiatement parlé, et j’ai compris que pour prendre part au changement qui était en train de s’opérer, il fallait sortir du système que je connaissais, et monter dans le train maintenant.

Biloba apportait une solution à un problème essentiel : l’isolement des parents face à ce difficile apprentissage qu’est la parentalité.

Comment les aider à savoir si leur inquiétude est justifiée, et comment éviter d’inonder les plages de consultation et les urgences avec des problèmes qui n’en sont pas ? Plus largement comment permettre un tri en amont de l’hôpital et des cabinets médicaux afin d’optimiser les parcours de soins ? La réponse à ces questions est primordiale pour donner un peu d’air à notre système de santé, et diminuer les dépenses inutiles.

Le confinement a été le déclencheur et le moment idéal pour commencer à remplir cette mission : aider les parents à savoir s’ils devaient consulter ou leur permettre de rester chez eux en ayant eu une réponse fiable était plus que jamais nécessaire. J’ai eu la chance d’être parmi les premières à tester Biloba, cette application géniale, et je n’ai pas été déçue : nous étions une dizaine de bénévoles à nous relayer, nous connectant quelques heures par jour, quand nous le pouvions, et nous avons réalisé plus de 5 000 consultations en un peu plus d’un mois !

Guider les parents, répondre à leurs interrogations à distance, était pour moi une évidence, je le faisais déjà par mail depuis longtemps, mais le chat rend les choses bien plus simples et plus rapides. Son asynchronicité permet de répondre à bien plus de demandes, d’optimiser son temps, d’être bien plus efficace que la télémédecine comme elle est pensée habituellement.

Je suis absolument convaincue que le chat médical est le complément indispensable à l’exercice classique de la médecine, grâce à son efficacité, son immédiateté, sa proximité, mais aussi sa rentabilité financière et temporelle.

Les possibilités de ce mode d’exercice sont infinies, et nous travaillons déjà sur les prochaines étapes.

J’ai enfin la sensation de pouvoir aider à faire avancer les choses à grande échelle, de considérer la forêt entière et non la feuille de l’arbuste devant moi. Je découvre une autre façon de travailler, où la technologie est au service de la médecine et non contre elle, où elle en devient magique.

Je vais pouvoir rassurer, soutenir bien plus de parents, soigner bien plus d’enfants, que je ne l’aurais fait en continuant à m’épuiser dans l’ancien système, et ainsi contribuer à désengorger, à soulager le parcours de soins classique.

Plus que jamais je me sens utile.

« Lorsque deux forces sont jointes,

leur efficacité est double »

Isaac Newton

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