Le concept le plus important à comprendre au sujet du Bitcoin: Le CONSENSUS

Un sujet multi facette, complexe et passionnant. Essayer de comprendre Bitcoin, c’est un peu comme rentrer dans un labyrinthe. À chaque détour vous ne savez pas sur quoi vous allez tomber. Peut-être sur un cul de sac ou peut-être sur une chose inattendue. Si vous êtes d’une nature curieuse, c’est un sujet fascinant qui est fait pour vous car il implique de nombreux domaines: informatique, cryptographie, politique, économie, finance, sociologie. Tout y passe et pour envisager l’impact du Bitcoin sur notre société, il est nécessaire de faire le lien entre tous ces aspects. Pour le profane, il est difficile de savoir par quel bout l’aborder sans faire fausse route. Quelle est donc la meilleure façon d’aborder ce sujet ?

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Les 4 façons d’aborder ce sujet

On peut éviter la technicité du Bitcoin. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’est pas nécessaire de comprendre les rouages techniques du Bitcoin pour en saisir son importance. Par exemple, vous n’avez pas besoin de connaître les équations de Maxwell sur l’électro-magnétisme pour saisir l’intérêt de l’électricité et comprendre son impact sur nos vies. Ou bien encore, vous n’avez pas besoin de comprendre le fonctionnement d’un moteur à 4 temps, son système d’injection ou la fonction d’un carburateur pour saisir l’intérêt d’une voiture et voir comment elle dessine nos villes. Dans un cas comme dans l’autre, vous ne savez pas comment ces inventions fonctionnent mais vous utilisez ces technologies à titre personnel et vous voyez qu’à titre collectif elles ont un impact considérable.

Il en est de même pour le Bitcoin. Vous n’avez pas besoin de comprendre ce qu’est un algorithme de hachage, le minage par la preuve de travail, la cryptographie asymétrique par clef privée/clef publique ou bien encore la fameuse blockchain. D’un point de vue technique, comprendre tout ceci est passionnant. Mais pour le grand public à qui je m’adresse c’est un sentier difficile à arpenter que je déconseille dans un premier temps.

Rester au niveau des concepts. Pour un soucis de pédagogie, je pense qu’il est mieux selon moi de rester au niveau des concepts généraux et d’invoquer la technicité avec parcimonie uniquement lorsque celle-ci est nécessaire. Au cours de mon exploration de ce sujet, j’ai eu successivement 3 moments d’épiphanie qui correspondent à 3 façons spécifiques d’aborder ce sujet (en plus de la 4ème ci-dessus qui concerne le fonctionnement technique du Bitcoin):

  • le premier: les caractéristiques monétaires du Bitcoin
  • le second: la désintermédiation via la blockchain
  • la troisième: le consensus

Si Bitcoin est une invention si incroyable, c’est déjà parce qu’il révèle des potentiels énormes spécifiques à chacun de ces 3 axes. Mais combinés ensemble, son potentiel en est démultiplié. Le consensus est le concept le plus important car il est le fondement du fonctionnement du Bitcoin sans lequel les deux autres aspects du Bitcoin ne pourraient exister. Mais étrangement, il est l’aspect le moins expliqué auprès du grand public. Pour ces raisons, je vais aborder le Bitcoin sous cet angle-là.

Quand vous comprenez que la chose la plus importante dans Bitcoin est ni la monnaie, ni la blockchain mais le consensus.

Les propriétés incroyables d’un consensus

Le consensus est d’une simplicité biblique. On va le définir et expliciter toutes ses propriétés particulièrement fascinantes car chacune d’entre elles sans exception se retrouve dans le fonctionnement du Bitcoin.

1. Un consensus est un ensemble de règles publiques qui met tout le monde d’accord. Il caractérise un accord unanime au sein d’une communauté. Prenons un exemple : Si j’affirme la proposition suivante « 1+1 = 2 », il s’avère que vous êtes d’accord avec moi, que l’ensemble des députés quel que soit leur bord politique sont d’accord avec moi. Mieux encore, l’ensemble des français, des citoyens du monde sont eux aussi d’accord avec moi.

Le consensus a la capacité de mettre d’accord des personnes issues de milieux socio-économiques, culturels, religieux, politiques, idéologiques, géographiques différents et cela sans avoir recours au débat, à la discussion ou à la concertation. Dans un monde de plus en plus divisé, trouver ce qui nous réunit au delà des différences est particulièrement précieux. On peut remercier les consensus d’exister.

2. Math, jeux, musique, langage, les consensus peuvent prendre des formes extrêmement variées. Les consensus sont présents de partout au sein de notre société et peuvent remplir des fonctions très différentes. À travers la simple addition 1+1 = 2, j’ai explicité un consensus mathématique. Mais il existe plein d’autres consensus. Par exemple, le football est un consensus. Il est défini par un ensemble de règles : une partie dure 90 minutes, on joue avec les pieds, pas avec les mains sauf pour le gardien, règle du hors jeu, coup franc, etc… Les deux équipes peuvent se détester mais sur le terrain elles doivent respecter les règles du football, c’est-à-dire les règles de son consensus, sous peine de se prendre un carton ou d’être exclu du consensus, c’est-à-dire du match.

De façon générale, tous les jeux sont des consensus (les échecs, les jeux de cartes, tous les sports), de même que les danses (tango, salsa, etc). Les musiques et les expressions artistiques constituent eux aussi des consensus parce qu’il y a à chaque fois en fonction des pratiques, des règles spécifiques à respecter. Les langues aussi constituent des consensus dont le respect des règles de prononciation et de syntaxe permet aux participants d’un même consensus linguistique de se faire comprendre.

4. Un consensus se suffit à lui-même. Les formules mathématiques ne requièrent pas le recours à une autre langue pour être comprises. Sur un terrain de foot, il n’est pas nécessaire de parler. Idem lorsque l’on joue aux échecs ou lorsque l’on danse le tango. Les consensus sont de fait des moyens d’expression et de communication à part entière.

5. Le consensus est le fondement de toutes constructions sociales. Il en constitue la pierre angulaire. Le consensus est de fait l’essence même de toute culture. Flamenco, échecs, football quel que soit le consensus, vous trouverez toujours une communauté qui s’y constitue organiquement autour.

6. Le créateur d’un consensus n’a aucune légitimité. Très souvent il est impossible de savoir qui est le créateur d’un consensus. Qui a inventé les maths, le français, les échecs, le football, le tango ? Qui sont les inventeurs ou les instigateurs de tous ces consensus ? Fondamentalement cela importe peu car même si le créateur était connu, il n’en est pas le propriétaire, et ne possède pas les moyens de changer les règles du consensus à sa guise. Il n’y a pas de brevet ou de droit d’auteur dans un consensus.

7. Les consensus sont souverains. Les consensus ont de fait une capacité de résistance extrêmement forte face à toute tentative de subversion. Sauf à déployer une force incommensurable sur un temps suffisamment long, personne ne peut changer les règles d’un consensus car il faudrait forcer l’ensemble des participants à accepter contre leur grès ces nouvelles règles. Par exemple, aucune puissance ne peut changer les règles de la syntaxe française (en passant de: sujet + verbe + complément à: verbe + sujet + complément) Même en enseignant ces nouvelles règles de français en primaire, plusieurs générations continueraient à pratiquer le français d’une façon libre à travers le monde.

Autre exemple. Dans le cas du football, même si la Fifa décidait de changer les règles en forçant les joueurs à jouer avec les mains, à travers le monde les gens continueraient à jouer avec les pieds. Il reviendrait à la Fifa de reconstituer une nouvelle communauté autour de leur nouveau consensus qui aurait dévié du consensus original. Et ceci pendant que la majorité resterait sur la version initiale du football. (Dans le monde des cryptos, ce ‘schisme’ porte le nom de ‘fork’)

8. Les consensus appartiennent à ceux qui les pratiquent. C’est eux qui font respecter les règles de pair à pair à chaque instant au lieu d’une autorité centrale (exception faite du football dans les matchs officiels) Si une personne ne parle pas le français correctement, libre à vous de la corriger. Si un musicien n’accorde pas correctement son instrument, libre aux autres musiciens de le corriger. Les règles d’un consensus peuvent néanmoins évoluer mais ce sont les participants qui de façon organique et collective adaptent les règles en fonction de leur besoin.

La langue française n’appartient pas à l’État français, à la nation française, elle appartient à quiconque l’utilise à travers le monde. La langue française est une langue vivante car ses règles évoluent de façon organique en fonction des communautés qui inventent de nouveaux mots pour leur besoin.

9. Les consensus sont libres. Les consensus émergent du choix délibéré d’un individu à se conformer à une règle commune. Chacun est libre de pratiquer un consensus et d’intégrer une communauté. Personne ne peut vous forcer à pratiquer un consensus et personne ne peut vous en empêcher. Si vous voulez parler le français, vous pouvez, si vous ne voulez pas, libre à vous. On ne peut pas vous interdire de jouer aux échecs, de parler le chinois ou de faire des mathématiques.

10. Les consensus créent de l’égalité entre les participants. Que vous soyez riche ou pauvre, les règles du français sont les mêmes pour tous, que vous soyez bon ou mauvais les règles des échecs sont les mêmes.

11. Les consensus créent de la fraternité entre les participants. L’humain étant un animal social, il a naturellement une incitation à se conformer à des règles pour s’intégrer au sein d’une communauté. Plus on est nombreux à participer à un même consensus, plus le sentiment d’appartenance à une communauté est grande. Parce qu’ils sont consentis, les consensus constituent la relation la plus symbiotique entre l’individu et la communauté.

12. Les consensus sont des biens communs, universels et intemporels. Le consensus comme moyen d’organisation précède les structures sociales complexes que l’humain a inventé: monarchie, république, démocratie. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le consensus incarne à la perfection les valeurs de la République française (Liberté, Égalité, Fraternité)

Les consensus constituent le summum du bien commun. Ils sont immatériels et ne connaissent pas de frontières. Les règles des maths, du football ou de la langue française ne s’arrêtent aux frontière de la France.

Tout ce qui vient d’être énoncé ci-dessus s’applique au Bitcoin sans exception, car le Bitcoin est un consensus.

Bitcoin est un consensus

Avant d’être un système monétaire, le Bitcoin est fondamentalement un ensemble de règles. Des centaines et des centaines de règles: règles monétaires, économiques, règles de sécurisation, de vérification, règles d’écriture sur la blockchain. Ces règles sont écrites non pas en français, mais en langage informatique. A l’opposée de logiciels comme Google ou Facebook, dont le code source est privé et non visible par l’ensemble des utilisateurs, les règles du Bitcoin sont publiques et dans le monde informatique, on appelle cela un protocole.

Le protocole est un terme pompeux mais vous savez ce que c’est: il y a des protocoles à l’armée, dans le cadre médical, dans les cuisines des grands restaurants, dans les cours des rois et des reines de l’ancien temps. Ce sont des règles connues, acceptées et exécutées par une communauté dans un contexte donné. Bitcoin est un protocole.

Le protocole Bitcoin (l’ensemble des règles publiques du Bitcoin) établit des règles qui permettent à des machines appartenant à des personnes (qui ne se connaissent pas et issues de milieux socio-économiques, culturels, politiques, géographiques différents):

  • de se mettre d’accord sur un ensemble de principes économiques et monétaires
  • d’utiliser ces règles pour vérifier et valider de façon indépendante l’existence de toutes les transactions et de les enregistrer ad vitam æternam sur un document commun infalsifiable (la blockchain) C’est-à-dire qu’au lieu de vérifier que ‘1+1= 2’ chaque machine vérifie indépendamment l’ensemble des transactions de bitcoins des utilisateurs.

Comme tous les consensus:

  • Bitcoin est libre et sans frontière.
  • Ses règles sont les mêmes pour tous de partout dans le monde. Chacun est libre de l’utiliser, ou ne pas l’utiliser. Vous ne pouvez ni empêcher les gens de l’utiliser, ni les y forcer.
  • Toutes celles et ceux qui l’utilisent sont en accord avec les principes sous-jacents du Bitcoin.
  • L’identité du créateur (Satoshi Nakamoto) n’a aucune importance. Il a certes défini des règles publiques qui sont connues mais comme pour n’importe quel consensus, il n’a aucun moyen d’imposer une directive sur l’évolution de ces règles.
  • Bitcoin est souverain. L’histoire récente du Bitcoin a montré sa résistance face à des industriels fortunés qui ont tenté de changer en vain les règles de son consensus contre la volonté de la majorité des utilisateurs. Cette tentative s’est soldée par un fork (Bitcoin cash) dont la communauté est bien plus réduite que celle du Bitcoin.

Mais plus important encore, cette invention nous a révélé que l’argent, comme n’importe quel consensus, est avant tout une construction sociale. Pour la première fois avec Bitcoin, les populations sont en mesure de définir des principes monétaires sans avoir recours à une autorité régalienne. Avec Bitcoin, l’expression ‘le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’ prend tout son sens.

La révolution des technologies de consensus

Aborder le Bitcoin sous son aspect le plus fondamental, à savoir le consensus, nous permet de mieux caractériser la quintessence de cette invention à partir de laquelle découle toutes les autres propriétés du Bitcoin.

Étudier le fonctionnement spécifique et l’intérêt de la blockchain ainsi que les mécaniques cryptographiques du protocole devient alors un peu moins obscur dès lors que l’on a saisi à quelle fin et selon quel principe toute cette technicité est utilisée.

Saisir l’importance de ce concept permet aussi de cerner la nature et l’ampleur de la révolution à laquelle nous faisons face. En effet, il ne s’agit pas de la ‘révolution Bitcoin’ ou de la ‘révolution Blockchain’ qui dans un cas ou dans l’autre n’est pas très parlant pour la plupart des gens. Il s’agit de la révolution des technologies de consensus dont Bitcoin en est le fer de lance. Une révolution où les nouveaux entrepreneurs, au lieu de construire des business models pour acquérir des clients, sont en train de concevoir des consensus économiques et monétaires pour laisser les les communautés se les réapproprier.

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JAK TRAN
Bitcoin, Ethereum, DAOs, smart contracts pour les nuls

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