Voici pourquoi toute forme de régulation des cryptos serait vite dépassée

L’approche actuelle des régulateurs consiste entre autres à définir un cadre offrant un semblant de sécurité aux investisseurs particuliers. Une telle mesure visant à tracer une ligne rouge entre les bons acteurs et les mauvais est certes louable mais sera très vite rendue caduque par l’émergence de nouveaux comportements. En réalité, entre ces deux extrêmes (entrepreneurs d’un côté et escrocs de l’autre), il n’y a pas de ligne de démarcation claire mais une zone grise immense dans laquelle va s’engouffrer l’ensemble des populations.

Pour comprendre cela, il convient d’adopter une pensée exponentielle, c’est-à-dire d’envisager une société où des comportements pour l’instant marginaux deviennent la norme. Cette façon d’aborder l’innovation est la seule à même de nous faire percevoir l’ampleur du changement de paradigme qui est en train de se produire. Comprenez bien ceci, un changement de paradigme est in fine un changement radical du comportement des masses.

Avec l’apparition du Bitcoin, nous assistons en effet à une création ininterrompue de crypto-monnaies qui au stade actuel est une affaire de spécialistes. Cependant, si nous considérons le scénario le plus extrême, à savoir que tout le monde sera en mesure de créer sa propre cryptomonnaie aussi facilement et gratuitement que l’on créé des pages webs ou des boites mails, on peut voir a quel point il devient futile, ou du moins précoce d’une part de vouloir dresser une typologie des crypto-monnaies (personne ne semble intéressée par une typologie des sites internet) et d’autre part de séparer le bon grain de l’ivraie. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, même si cela nécessite encore de savoir coder, créer un token en 2018 et déjà bien plus facile que de lancer une nouvelle crypto en 2014. Gageons que cela sera accessible à tout un chacun dans les années à venir.

Pour mieux contextualiser comment le grand public va à terme se réapproprier ces technologies, imaginons une histoire fictive entre deux collégiens: Thomas et Julie.

Crypto-natifs. Thomas et Julie sont ce que nous appellerons des crypto-natifs. C’est-à-dire des personnes nées après 2009 (année de naissance du Bitcoin) et qui n’ont donc pas connu le monde sans Bitcoin.

Le soir après ses devoirs, Thomas aime jouer aux jeux vidéos et vu qu’il n’est pas très mauvais il se live-stream sur Twitch, permettant à d’autres de le voir jouer (sans même parler du Bitcoin, ce type de loisirs peut sembler déjà difficilement compréhensible pour beaucoup) Sur sa chaine Twitch, il engrange plus de 20k followers. L’un d’eux lui suggère de créer un token. La création d’un token étant aussi simple et gratuite que la création d’une boite mail, Thomas créé le Thomcoin et le distribue gratuitement à ses followers.

Dans la cour de récréation de son collège, il distribue aussi ses tokens à ses camarades par téléphones et QR codes interposés. Une de ses camarades, Julie, elle aussi à une chaine Twitch qui rassemble environ 15k followers. Elle lui emboite le pas et se met à son tour à créer des tokens et les distribue gratuitement à ses followers et ses camarades de classes.

Dans ce futur très proche, des places d’échanges décentralisées de cryptomonnaies contrôlés par aucune autorité seront utilisées par le grand public au même titre que les échanges centralisés d’aujourd’hui comme Coinbase, Paymium etc… De la même façon que le web est constitué de pages web et que Google a construit des ‘robots’ pour référencer l’ensemble des sites internet dans son moteur de recherche, il y aura des robots qui référenceront l’ensemble des millions de tokens en circulation et permettront leur échange de pair à pair.

Un matin, Thomas se réveille et constate que ces bots ont créé un marché qui permet aux utilisateurs d’échanger le Thomcoin contre n’importe qu’elle autre tokens et contre du bitcoin. À sa grande surprise, la valorisation totale de ses tokens s’élèvent à 200k€. Au collège, il commence à fanfaronner notamment devant Julie dont la valorisation du Juliecoin s’élève ‘seulement’ à 100k€. Les autres collégiens commencent à prendre position pour l’un ou pour l’autre en échangeant leurs juliecoins contre des thomcoins et vice-versa.

Si cela vous semble étrange, souvenez-vous de votre enfance lorsque vous jouiez aux ‘billes’ ou bien aux ‘pogs’ et cherchiez à en avoir le plus. Ces billes et pogs ne sont ni plus ni moins que des tokens physiques. Avec les cryptomonnaies, l’activité sociale et ludique que consiste “l’échange de valeurs” n’a pas disparu, mais son support s’est digitalisé.

Vexée, Julie rentre chez elle et parce que c’est une fille futée, elle va tenter de comprendre pourquoi son Juliecoin vaut moins que le Thomcoin. Peu à peu, elle va accumuler des connaissances sur le fonctionnement des marchés et cela à seulement 14 ans. Elle va découvrir des bots qui vont lui permettre de manipuler le marché du Thomcoin et du Juliecoin. Quelques jours plus tard, la valorisation du Thomcoin va perdre 70% de sa valeur et celle du Juliecoin va s’apprécier de 130%. Dans la cour de son collège, c’est désormais elle qui fanfaronne.

Dans les années 90, les adolescents prenaient soin de leurs tamagoshis. Dans les années 2020, ils prendront soin de leurs cryptos porfolios.

Cette fiction qui sera probablement rattrapée par la réalité apporte des perspectives et enseignements intéressants. Elle raconte l’histoire d’une manipulation financière orchestrée non pas par George Soros sur la livre sterling dans les années 90 mais par Julie sur le thomcoin dans les années 2020. Dans ce nouveau paradigme, les guerres monétaires ne seront plus l’apanage des États-nations mais constitueront le terrain de jeux des crypto-natifs.

Avec un tel scénario où la création monétaire ex-nihilo deviendrait une activité quasi ludique, il est difficile d’imaginer les Thomas et Julies de toutes les cours d’écoles — qui d’ailleurs ne sont pas encore en âge d’avoir un compte en banque — demander l’autorisation de créer leur token, demander l’obtention du label de l’AMF, d’expliquer la provenance de ces fonds ou de déclarer leur crypto-revenus sur des bots de trading. Au lieu d’envisager la régulation sous l’angle de la protection des investisseurs particuliers, l’approche des régulateurs devrait privilégier et considérer l’émergence de ces nouveaux mœurs qui ‘désacralisent’ la chose monétaire.

Dans ce que certains appellent une explosion cambrienne des cryptomonnaies, pour les crypto-natifs, il n’y aura pas de différences notables entre échanger des euros ou échanger des tokens qu’ils auront créés ou obtenus par le biais de jeux vidéos.

Pour envisager une régulation adéquate et pertinente sur le long terme, il ne s’agit pas d’aborder les cryptomonnaies sous l’angle de la sécurité des investisseurs. Il s’agit d’une façon générale de questionner le rôle même du régulateur face aux changements de mœurs au cours de l’histoire.

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JAK TRAN
Bitcoin, Ethereum, DAOs, smart contracts pour les nuls

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