Ivan de Lastours, manager au Hub BPI

“A la BPI, notre job est d’être enthousiastes”

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5 min readNov 15, 2018

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Ivan travaille sur la valorisation financière et technologique des startups au sein du Hub Bpifrance. Il nous explique le rôle de la BPI au sein de l’écosystème blockchain et nous donne son point de vue sur ce marché en pleine ébullition. Entretien riche et sans langue de bois.

Disclaimer : les propos d’Ivan de Lastours n’engagent pas la BPI.

Quelle est la mission de Bpifrance auprès des acteurs de l’écosystème blockchain en France ?

Au tout début, très modestement, un groupe de travail a été créé pour comprendre et se cultiver sur un sujet que nous connaissions mal. Rapidement, Bpifrance a été sollicitée par de nombreux porteurs projets basés sur la technologie blockchain, notamment pour des ICOs. Très vite, on a donc réalisé qu’il était fondamental d’accompagner ces entrepreneurs sur un marché encore peu mature. En tant que banque publique, cela nécessite de s’auto-transformer, de ne pas se laisser disrupter, pour conseiller le mieux possible. C’est à la fois une question de crédibilité et de responsabilité.

Comment sélectionnez-vous les projets que vous financez ?

On travaille sur une grille d’évaluation pour équiper nos chargés d’affaires. On a mis au point trente questions pour tester les porteurs de projets et détecter les meilleurs talents.

Pour l’anecdote, un fonds d’investissement nous a même contacté pour qu’on les aide à comprendre un dossier. On est dans notre rôle d’éducation et de pédagogie. En parallèle, on regarde la possibilité de mener des investissements en fonds propres et en token (cryptomonnaies). C’est une volonté de Bpifrance. On veut pouvoir le faire. On doit savoir le faire. On se met en ordre de bataille pour lever les obstacles. Maintenant, on est aussi tributaire du marché. Si les crypto s’écroulent, les porteurs de projets viendront nous voir pour un investissement en fonds propres.

Certains sont assez pessimistes sur l’état actuel de l’écosystème, son évolution. Quel est votre sentiment ?

Franchement, notre job c’est d’être enthousiastes. Si Bpifrance ne fait pas ce travail, qui va le faire ? Il y a des projets, des gens brillants en France. Il faut arrêter de dire que c’est déjà mort. Il y a des choses qui existent. Je comprends la frustration de certains entrepreneurs, ca m’arrive même d’ailleurs de me faire bacher par certains dans des groupes telegram…

Rappelons que pour les investissements de démarrage, la France est l’un pays les plus intéressants pour lancer un projet. Au bout de deux ou trois ans pour les levées de fonds, c’est plus compliqué certes. Toutefois sur le secteur blockchain il y a un vrai dynamisme, pas de ralentissement dans ce que nous observons. Le cadre réglementaire et législatif est plutôt positif. Et le marché business to business est prometteur comme le montre l’accord entre Ledger et Engie… Il y a de quoi être optimiste.

En termes de leadership…

[Il coupe] Alors, oui, on est pas leader. C’est un jeu géostratégique et certains acteurs mettent beaucoup de moyens. Les écosystèmes asiatiques, US et israéliens vont très très vite. Les chinois pensent que la blockchain, c’est eux !

L’espoir est sans aucun doute au niveau européen. Mais franchement personne ne sait exactement ce qui va se passer.

Combien de projets avez-vous financés en 2018 ? Quels sont les plus réussis ?

Je vais vous les lister :
- Utocat, qui a récemment réalisé une belle levée de fonds d’1,6 millions d’euros.
- Acinq, on les a subventionnés pour qu’il puisse développer leur technologie.
- Woleet, qui particie au programme Impact USA et qui est l’heureux détenteur d’une bourse French Tech.

Mais il y a aussi Ledger, Ownest, Stratumn, Tilkal, KeeeX…

J’anticipe les critiques, on va dire qu’on va pas assez vite et qu’on ne fait pas assez. C’est certain : l’écosystème a besoin de soutien et il faudrait faire encore plus. Mais on fait des choses ! Après c’est la dure loi de l’investissement : si tu ne finances pas — et il y a toujours une bonne raison pour ne pas investir — tu te fais critiquer. Si tu finances, tu te fais aussi critiquer parce qu’on t’explique après qu’il ne fallait pas, que c’était trop cher ou pas viable, ou que sais-je…

Dernièrement, Bpifrance a déclaré vouloir contribuer à l’essor des ICO en France. Où en êtes-vous aujourd’hui ? Croyez-vous encore à cette méthode de levée de fonds de plus en plus décriée ?

Le fait d’avoir un cadre légal a attiré des gens sérieux qui auraient hésité il y a 2 mois. Honnêtement, c’est compliqué à savoir aujourd’hui. Je n’ai pas de boule de cristal. Il est certain que les ICOs ont montré d’autres voies d’investissements possibles et de nouveaux moyens de soutenir des projets ambitieux. Cela a permis de démocratiser la notion de token (utility et equity) et c’est déjà une avancée fantastique. Nous sommes aujourd’hui sur un ralentissement de ce mode de financement mais nous espérons qu’il puisse se rationaliser un peu, repartir de plus belle et devenir ainsi un outil plus important de l’écosystème.

Beaucoup de projets français se voient aujourd’hui refuser l’accès à un compte bancaire. Quel est votre point de vue sur ce problème ? Quelle solution préconisez-vous ?

Oui ce n’est pas normal, et si il y a un refus l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) sera là pour vérifier si la motivation dudit refus est justifiée ou non. Ils ont récemment communiqué à ce sujet. Restent les aspects comptables et fiscaux. Le travail de l’AMF et du Trésor est assez remarquable, mais ces sujets sont hyper complexes. Chaque cas est spécifique d’où la difficulté de définir un cadre précis.

Comment voyez-vous l’évolution du marché français en 2019 ? Quelles sont vos projections ?

C’est un peu l’année où tu retournes dans ta chambre. Ca va être une année de consolidation, de travail sur le fond. Alors oui il y aura des morts, mais c’est une purge nécessaire. Avec bien sûr de nouveaux entrants, et je suis certain que des projets géniaux vont émerger.

Quel regard portez-vous sur Bitcoin ?

C’est le crime parfait. Il soulève plein de questions qui personnellement me fascinent. Est-ce qu’on saura un jour ? J’espère.

Avez-vous déjà financé des projets utilisant une blockchain publique, si non pourquoi ?

Oui, on a l’exemple d’Utocat, sur Ethereum.

Aujourd’hui la tendance c’est la preuve de concept sur Ethereum, et ensuite de faire le projet sur Hyperledger, une plateforme “open source” de développement de blockchain.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur blockchain qui chercherait des financements pour développer son projet ?

Tu vas sur mon.bpifrance.fr ! Je sais je suis corporate :-)

La bonne recette, c’est une bourse French Tech (ou deep tech pour les projets hyper techniques). On est régit par l’ ACPR et la banque européenne, donc tout ce qu’on fait est très surveillé. Mais au moins tous nos investissements sont sécurisés financièrement !

Propos recueillis par Dimitri Granger, le 8 novembre 2018.

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