La blockchain au service du gouvernement et des citoyens

Entretien passionnant avec Xavier Lavayssière, chercheur au sein de l’équipe “Blockchain Perspectives” et ancien attaché au service scientifique de l’ambassade de France aux Etats-Unis.

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4 min readApr 18, 2018

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Blocs : La blockchain est régulièrement vantée pour ses mérites. Quels bénéfices pour le gouvernement, et à terme les citoyens, pourraient-ils en tirer ?

Xavier Lavayssière : Il faut distinguer ce qu’apporte la technologie de ce qu’apporte une nouvelle pratique numérique et collaborative. En France, on passe un temps remarquable à demander à une administration une trace en papier d’une information pour la transmettre à une autre administration. En numérisant et organisant les services entre eux, on peut faciliter la vie du citoyen. Les technologies blockchain pourraient améliorer la mise en relation de ces sources d’information, surtout pour travailler avec des acteurs externes, privés ou étrangers.

Finalement il s’agit plutôt d’une optimisation des services du gouvernement, que d’une décentralisation et d’un pouvoir accru donné au citoyen.

Le Bitcoin et certains projets blockchain constituent déjà un nouveau pouvoir initié par des citoyens. Bien que très marginal, ce pouvoir inquiète des institutions habituées à en avoir le monopole. Je le répète : pour moi, la vraie révolution viendra de la possibilité qu’offre la technologie de structurer des services en partenariats entre acteurs publics, privés et individus.

Par exemple la traçabilité des médicaments : des initiatives privées travaillent au suivi de leurs lots, notamment pour des enjeux logistiques, auxquels viennent s’ajouter les enjeux de la contrefaçon ou des enjeux de sécurité comme le respect de la chaîne de froid… Autorités sanitaires, douanes, sociétés pharmaceutiques et acteurs de la distribution ont des enjeux convergents à ce que l’information soit partagée, tout en ayant des intérêts et des fonctionnements différents. Il me semble que c’est dans ce type de projet que la technologie a le plus de potentiel. Le rôle de l’Etat s’en retrouvera repositionné vers les fonctions essentielles d’organisation du service et de garantie des informations critiques.

Ne serait-il pas possible de mettre à profit l’infalsifiabilité de la blockchain pour organiser des élections incorruptibles et décentralisées ?

Le vote est un processus unique puisqu’il requiert notamment un registre central des votants, pour éviter les fraudes, et un parfait anonymat des votes pour éviter les pressions. Il n’existe aujourd’hui pas de procédé fiable permettant de garantir un vote de façon entièrement décentralisée.

En Europe, les enjeux de démocratie ne se situent de toute manière pas dans le vote. Quand le vote est corrompu, le problème se situe bien en amont des élections. La technologie peut en revanche faciliter l’action d’acteurs non gouvernementaux qui veulent organiser un processus démocratique, comme à Hong Kong en 2014.

ndlr :
1. Le mouvement politique Nous Citoyens a experimenté une solution de vote via la blockchain pour les élections régionales et départementales. D’après eux, l’expérience s’est avérée concluante. Vous pouvez retrouver le déroulé de ce vote expérimental :
https://www.frenchweb.fr/voter-via-la-blockchain-experimentations-et-retours-dexperience/240683

2. La Colombie a aussi utilisé la blockchain pour permettre aux expatriés, qui ne pouvaient pas passer par le processus officiel, de voter. En savoir plus ici : https://hackernoon.com/blockchain-for-voting-and-elections-9888f3c8bf72

Quel est pour vous le meilleur cas d’utilisation de la blockchain par un gouvernement aujourd’hui ?

Des cas simples sont envisagés, comme un registre de commerce et des sociétés à l’échelle européenne. Cela simplifierait les démarches et la consultation d’information pour un coût de transformation raisonnable. Des cas plus intéressants de registres d’identité comme en Estonie ou de traçabilité des produits demandent encore de la recherche et développement.

En fait, je pense surtout que l’on ne parle pas assez des enjeux de repositionnement de l’Etat que cette technologie induit. La dynamique de transformation que facilitent les technologies ne se fera pas seulement grâce à quelques startups, mais avec de vrais choix politiques, un accompagnement des services, et une réflexion sociétale.

Aujourd’hui, le gouvernement veut réguler la blockchain. Que cela signifie-t-il concrètement et que régule-t-on exactement ?

Avant de pouvoir réguler, le premier problème est l’illectronisme, à savoir l’analphabétisme numérique des responsables politiques et administratifs. Sans compréhension de l’économie numérique il est difficile d’encadrer finement ces nouvelles technologies et usages. Avec l’ECAN, nous travaillons à les accompagner sur ces sujets.

Coté cryptomonnaies et jetons, il s’agit d’adapter les principes des réglementations financières à un nouveau support et de nouvelles pratiques. Quelle comptabilité et quelles taxes pour des actifs qui sont aussi des moyens de paiement ? Quel cadre pour la vente publique de jetons ? Comment éviter les manipulations de marché ?

Pour les autres cas d’usage, il s’agit au contraire de reconnaître la valeur de certaines utilisations de la technologie, comme on l’a fait pour l’écrit et la signature électronique. Les ordonnances sur les minibons de trésorerie et les titres financiers vont dans ce sens.

Vous êtes plutôt optimiste pour la suite ?

Je vois déjà le chemin parcouru. En France, nous avons complètement raté les précédentes révolutions numériques. Des sujets comme l’open source, les interfaces programmables et les systèmes décentralisés étaient encore marginaux il y a quelques années. Or, pour le sujet blockchain nous avons déjà une petite dizaine de rapports en préparation alors que la peinture est encore fraîche. Donc non seulement nous avons des chances d’être dans la course pour le développement de cette industrie, mais aussi de préparer la prochaine.

Propos recueillis le 18/04/2017 à Paris.

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