Vidal Chriqui, directeur général de BTU Protocol
“L’avenir de la blockchain dépend de la manière dont les gens vont s’en emparer”
Chercheur en blockchain depuis 2011, Vidal Chriqui fait figure en France de dinosaure dans un écosystème encore très jeune. Nous sommes allés à sa rencontre pour parler de sa vision de la blockchain, du secteur et de la raison d’être de son projet “BTU Protocol”. Entretien sans langue de bois.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la technologie blockchain ? Le défi technique d’abord ou la dimension idéologique ?
La première fois que j’ai entendu parler de Bitcoin, j’ai compris que ce n’était pas un système comme les autres. Les systèmes distribués traditionnels sont gérés par un même acteur, une même entité juridique. Bitcoin permet pour la première fois de réunir une multitude d’acteurs indépendants les uns des autres, avec des intérêts différents. Dès le début, ce qui m’a intéressé, c’est le protocole Bitcoin, pas la monnaie. C’était une brique manquante de l’Internet, on passait de l’internet de l’information avec des objets duplicables — qu’on peut photocopier à l’infini -, à un internet de la valeur avec des objets non duplicables. Cette évolution permet aujourd’hui de procéder à des transferts de valeur pair à pair — entre les individus — qui pourraient à terme se passer des intermédiaires que l’on connait. Pour moi c’est une réinitialisation, un « upgrade » considérable de l’Internet, et par extension de notre rapport à la politique et à l’économie. Et l’on a pas encore exploré tous les cas d’usage…
Quand on est comme vous un ingénieur sur un projet blockchain, on promeut en quelque sorte une certain vision du monde, n’êtes-vous donc pas aussi un idéologue ?
Quand je parle de blockchain, je parle uniquement des réseaux ouverts. J’ai l’occasion de discuter avec de nombreux ingénieurs en blockchain privée : ils ne sont pas satisfaits de leur travail, ils ont le sentiment de faire ce qu’on appelle de la « blockchain bullshit ». Le vrai sujet sont les blockchains publiques. Pour répondre à votre question : bien sûr il y a une idéologie. Certains épousent un maximalisme qui dit peu ou prou que la décentralisation et Bitcoin sont l’alpha et l’oméga, que c’est maintenant ou jamais. Moi je suis plutôt un pragmatique. La décentralisation c’est pas noir ou blanc, ce sont des paliers. Par exemple, à chaque mise à jour, Bitcoin augmente son niveau de décentralisation. Cet idéal je l’explore mais je ne sais pas si on va aller jusqu’au bout du rêve. Je pense que c’est possible. Il faut observer. Comme toutes les technologies, elle dépend de la manière dont les humains vont s’en emparer.
Quand vous regardez dans le rétroviseur, qu’est-ce que vous inspirent les 7 années que vous avez passées dans le secteur ?
Les choses vont dans le bons sens. Dans les écoles d’ingénieurs, on commence à enseigner la blockchain. Il y a de plus en plus de gens formés. Sur les ICO on voit qu’il y a plus d’ouverture de la part des pouvoirs publics. Cependant, beaucoup de choses restent à faire. Par exemple, on manque d’un cadre juridique finalisé, aujourd’hui une preuve sur une blockchain n’a pas encore de statut. On a pas assez de développeurs-chercheurs. Il faut être capable d’avoir des programmes de recherche de premier plan.
Quels sont les projets en France qui vous enthousiasment ?
Eclair. C’est un produit français de l’entreprise ACINQ qui travaille sur le Lightning Network, une surcouche qui va permettre de régler le problème de « scalabilité » du réseau bitcoin. Ils sont français et il préparent le futur.
Vous êtes le co-fondateur de BTU Protocol. Sur votre site internet, votre promesse est la suivante « permettre à chacun de devenir une plateforme de réservation ». Qu’est-ce que ça veut dire exactement ?
En réalité on s’adresse d’abord à des geeks et à des professionnels. Aujourd’hui, par exemple, le fondateur d’un grand guide de voyage est très intéressé par notre solution qui pourrait être bénéfique pour son entreprise. En effet, ce guide référence des millions d’hôtels. Or quand il s’agit de réserver, les internautes commercent avec Booking.com via l’affiliation. Grâce au protocole BTU, le guide pourra intégrer une interface de réservation avec une monnaie de réseau pour proposer des offres directement à leurs clients sans intermédiaires entre eux. Les commissions qui allaient dans la poche des grandes plateformes centralisées comme Booking ou LastMinute iront alors dans la poche du guide de voyage.
Décentraliser la réservation permettra d’augmenter le nombre d’acteurs dans ce secteur, de redistribuer les parts de marché, d’augmenter la compétitivité et donc d’inciter les fournisseurs de services à être plus innovants techniquement et commercialement.
Dans la série Silicon Valley, Pied Piper lance un produit exceptionnel mais qui s’avère être au final trop en avance sur les usages des consommateurs. Vous n’avez pas peur de vous trouver face au même problème avec BTU Protocol ? Un service que personne n’utilise parce que c’est trop compliqué ?
Justement non ! L’utilisateur utilisera une interface qui ressemble à celles que l’on voit partout aujourd’hui. Des millions d’utilisateurs passeront par le protocole BTU sans le savoir. Ce sont les développeurs qui vont l’utiliser, l’utilisateur final ne sera pas forcément au courant.
Donc on est encore loin du jour où « tout le monde pourra devenir une plateforme de réservation ».
Vous avez raison. En 2018 ou en 2019, c’est impossible. On veut démocratiser l’usage mais il y a plusieurs étapes. La première est de convaincre les développeurs et les professionnels. Quand on prend l’exemple du blogueur qui pourra intégrer une interface de réservation sur son blog, c’est emblématique, c’est pour simplifier l’explication de notre solution. Toutefois, les blogueurs pourront bien disposer de notre protocole puisqu’il sera compatible d’une part avec les réseaux sociaux grands publics comme Facebook et Youtube et d’autre part avec des CMS ultra-utilisés comme Wordpress.
Vous avez lancé votre ICO, comment se déroule la vente physique de token à la Maison du Bitcoin ? C’est une première mondiale dans le monde des ICO ? Est-ce une réussite ?
Nous sommes très contents. Nous avons vendu des tokens à des particuliers mais aussi à des entreprises. Les acheteurs sont satisfaits, ils aiment cette assistance physique. Ca les rassure. Et pour eux c’est une expérience. Pour nous, c’est avant tout une vitrine. Le critère de succès n’est pas le volume d’achat. La Maison du Bitcoin est un lieu physique à Paris, nos acheteurs sont partout dans le monde, par exemple en Australie ou au Moyen Orient. Notre critère, c’est la robustesse de notre outil juridique. Le fait que la vente physique ait été validée est déjà une grande victoire sur ce plan.
Propos recueillis le 29/05/2018 à Paris.