Combinée au vote en ligne, la blockchain pourrait selon certains observateurs et porteurs de projets augmenter la participation des électeurs et rétablir la confiance du public dans la démocratie…Blocs s’oppose à cette idée et contre-argumente.
Les processus électoraux sont des événements fastidieux comportant de nombreuses difficultés comme les processus d’inscription sur les listes électorales, l’accueil de millions d’électeurs dans les bureaux de vote ou encore l’enregistrement et le comptage des bulletins.
Une étude publiée par Pew Research en 2012 indiquait qu’aux USA environ un enregistrement sur huit était invalide ou inexact et qu’environ 1,8 million de personnes décédées étaient toujours inscrites sur les listes électorales. Aussi, dans le sud des Etats-Unis, des bureaux de vote ont dernièrement été fermés dans certains quartiers pauvres, d’autres sont restés en sous effectif, inaccessibles ou mal équipés. En sus, on ne compte plus les dysfonctionnements, les accusations de « bourrages d’urne » et de corruptions qui ont emaillé pléthores d’élections à travers le monde.
Pour résoudre ces problèmes, un mot magique a été écrit et prononcé à de nombreuses reprises ces derniers mois : « BLOCKCHAIN ! ».
De prime abord, la blockchain semble être un remède certain aux craintes qui entourent le vote en ligne. En effet, elle permet de garantir l’immutabilité des votes formulés par les électeurs. Chaque votant peut également vérifier que son vote a été enregistré correctement. Les candidats peuvent faire confiance au décompte des voix et les agents électoraux peuvent contrôler et auditer les résultats. Dans une blockchain, chaque bloc étant lié de manière cryptographique au précédent, il s’avère impossible pour un agent mal intentionné de modifier les informations contenues dans un des blocs — ici un bulletin de vote — sans être détecté.
Toutefois quand on interroge les experts, l’enthousiasme laisse place au scepticisme. Xavier Lavayssière, chercheur au sein de l’équipe Blockchain Perspectives et ancien attaché au service scientifique de l’ambassade de France aux Etats-Unis, confirme :
« Je ne connais aucun expert sérieux qui recommanderait ou validerait des solutions de type “blockchains” pour des élections officielles. Si la recherche en cryptographie offre des perspectives intéressantes, il n’existe pas aujourd’hui de système qui présente de façon démontrable les propriétés de sécurité nécessaires. De plus des questions politiques et sociologiques ne sont pas résolues, comme la sérénité du vote en ligne ou la lisibilité du processus de décompte.
En effet la blockchain ne suffit pas à résoudre toutes les contraintes liées au vote en ligne et elles sont nombreuses comme nous l’avons déjà abordé dans ce thread sur Twitter :
1 — Aujourd’hui, aucune blockchain ne serait capable de gérer directement une brusque montée en charge avec des millions de transactions en forme de votes.
2 — Rien ne garantit que le téléphone ou l’ordinateur du votant n’ait pas été infecté par un logiciel malveillant. Celui-ci peut par exemple tromper l’utilisateur sur le choix émis et sur sa prise en compte par le système.
2 — Tout devrait être vérifiable pour garantir la sécurité, or certains fabricants de ces systèmes de vote en ligne refusent cette transparence. C’est le cas du prestataire de l’Etat de Virginie qui permet à certains électeurs servant à l’étranger dans l’armée de voter via une blockchain.
3 — Le vote en ligne élimine le secret de l’isoloir. L’achat de vote ou la menace d’un tiers deviennent alors des pratiques beaucoup plus faciles à réaliser. Or, le vote à bulletin secret rend impossible la vérification d’un vote acheté ou forcé.
4 — Enfin, il suffirait par exemple de couper quelques connexions Internet pour perturber un scrutin démocratique. Une opération bien moins visible et complexe que paralyser physiquement un ou plusieurs bureaux de vote.
Mais qu’en est-il alors de l’exemple estonien qui propose à ses concitoyens de voter en ligne depuis 2005 ? Selon Arnaud Castaignet, responsable des relations publiques du programme e-residency de la République estonienne
« Aucun hack ou manipulation des élections n’a été détecté jusqu’à présent, la majorité des électeurs continue de voter de façon traditionnelle mais le pourcentage de vote en ligne progresse. »
En effet en 2017, 31% des votants ont exprimé leur suffrage en ligne, contre 15% en 2009. Toutefois, un rapport indépendant d’experts internationaux publié en 2013 s’alarme des vulnérabilités de ce système en matière de sécurité. Selon eux, des attaques informatiques pourraient être menées pour modifier les votes, soit par des pays étrangers — ils ciblent particulièrement les Russes — soit par un candidat qui aurait engagé des pirates informatiques.
Les limites du vote dématérialisé sont donc nombreuses et la phrase d’un cryptographe reconnu, Ronald Rivest, servira de conclusion à cet article :
« les meilleures pratiques pour le vote par Internet sont comme les meilleures pratiques pour la conduite en état d’ébriété — il n’y a pas de moyen sûr de faire l’une ou l’autre. »
Renaud Loubert-Aledo.