Blockchain : faut-il s’inspirer du modèle chinois ?

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5 min readNov 29, 2018
An assembly of top communist officials for China’s 19th National Congress. Photo by: Dong Fang

Perçu comme l’un des pays les plus avancés dans le secteur de la blockchain, le Chine sert souvent de comparaison pour évoquer le retard pris par le marché français. Cependant, si les efforts des chinois pour développer cette technologie sont sans commune mesure, l’Empire du Milieu ne doit pas servir de référence.

Il existe un modèle chinois dans l’industrie de la blockchain. Il est singulier et se caractérise par un contrôle quasi total du gouvernement ; avec une règle simple : tout ce qui n’est pas moi ou dans mon intérêt ne peut exister. La défiance des autorités chinoises est immense envers les cryptomonnaies décentralisées et donc hors de son contrôle. Les levées de fonds publics (ICO) ne sont pas autorisées, les plateformes d’échange présentes sur son territoire s’exilent ou cessent leurs activités les unes après les autres. Cet été, sous la pression des régulateurs, Baidu fermait ses forums dédiés aux cryptomonnaies, pendant que WeChat et Alibaba interdisaient toute transaction en cryptomonnaies sur leurs services de paiement mobile. Ces mesures ont été prises pour différents motifs plus ou moins fallacieux : protection de l’intérêt général, lutte contre le blanchiment d’argent, le trafic de drogue ou encore la fraude financière.

Par conséquent, considérer la Chine comme un champion de la blockchain peut paraître paradoxal. En réalité, il existe dans la stratégie chinoise une subtilité qu’un haut fonctionnaire de la province de Guizhou révèle habilement :

Quand on parle de blockchain, beaucoup de gens parlent de « décentralisation ». J’aimerais apporter une petite correction. Je pense que l’essence de la blockchain est « la désintermédiation ». Il n’y a aucun moyen de se débarrasser du centre.

Pour le dire autrement : la blockchain doit servir les intérêts et le fonctionnement du pouvoir central ; rejetant ainsi l’idéologie historiquement associée à Bitcoin et à la blockchain qu’est la libre circulation de la monnaie et des actifs, basée sur un réseau pair à pair sans autorité centrale. Lors de la 13ème Assemblée Nationale Populaire, principal événement politique de l’année en Chine, Pékin l’a bien fait comprendre : la stabilité intérieure et la croissance économique sont les facteurs clés. Difficile d’imaginer la Chine laisser Bitcoin ou le moindre service décentralisé menacer son autorité ou ses intérêts.

China’s President Xi Jinping swears under oath after being elected.

A fond dans la blockchain privée et centralisée.

D’un côté la Banque centrale de Chine (PBoC) fustige les cryptomonnaies décentralisées, d’un autre elle s’emploie à mettre au point sa propre cryptomonnaie nationale. Les avantages d’une telle entreprise ont été expliqués par la PBOC : réduction des coûts d’exploitation, meilleur contrôle des flux monétaires illicites, meilleure fiabilité et efficacité pour le recouvrement des taxes. En outre, si la PBOC émet sa propre crypto-monnaie et l’utilise pour remplacer le dollar dans ses échanges commerciaux, elle pourrait, selon le forum économique mondial, remettre en question la domination du dollar au sein de sa zone d’influence économique et politique.

Mais les efforts de la Chine ne se limitent pas à ceux de sa banque centrale. Le pays a lancé sa première zone pilote “blockchain” dans la province de Hainan. Certains observateurs la décrivent comme la Silicon Valley de l’industrie blockchain. Wang Zing, chef du département des technologies de l’information et de l’industrie de Hainan, explique :

«La zone pilote a pour objectif d’attirer des talents blockchain du monde entier et d’explorer l’application de la technologie dans des domaines tels que le commerce transfrontalier, la finance inclusive et la notation de crédit.»

Et les ambitions chinoises ne semblent pas s’arrêter aux seules activités financières et bancaires. Le site web du Parti communiste chinois a publié une introduction à la technologie blockchain à destination de tous les officiels du pays. Le document encourage les responsables nationaux et locaux du Parti communiste à envisager la blockchain d’un point de vue scientifique, commercial, écologique et social.

Photo du document du Parti Communiste chinois “Blockchain — Leading Cadres Reader”.

Il s’agirait non seulement d’étudier la “blockchainisation” de tous les secteurs d’activités mais aussi celle des identités des individus en créant des identités virtuelles pour tous les citoyens chinois. D’après Decryptmedia, THEKEY — une start-up blockchain « exclusivement autorisée par le gouvernement chinois » — , a déjà pris des mesures dans ce sens. Le projet a permis de connecter les données personnelles de 210 millions d’individus dans 66 villes. Ces données incluent les identifiants délivrés par le gouvernement, les comportements des personnes et leurs empreintes digitales, le tout « authentifié par les autorités gouvernementales compétentes », selon la société.

Un registre immuable contenant une liste des actions des citoyens associée à leur identité : du pain béni pour une techno-dictature. Les conséquences d’un tel système seraient dramatiques, comme l’explique Frank Braun, lors de son entretien avec Blocs au printemps dernier :

Si vous combinez une blockchain d’identification avec une blockchain de paiement, une blockchain de propriété de voiture, une blockchain de suivi de vaccination, etc. vous vous retrouvez dans une situation où chaque humain et toutes ses actions sont stockées de manière permanente et immuable. Les humains sont finalement étiquetés et surveillés comme du bétail.

Vous l’aurez compris, le modèle chinois n’est ni enviable ni vertueux pour la société française et par extension pour les sociétés européennes. Toutefois, si nos pouvoirs publics ne se réveillent pas pour libérer notre marché et nos entrepreneurs en définissant un cadre législatif compétitif, il se pourrait que la Chine attire les meilleurs talents et impose les futurs normes et standards de la technologie blockchain. Technologie qui, rappelons-le, a le potentiel de redéfinir les contours de nombreux secteurs d’activité mais aussi du système monétaire dans son ensemble. Dans notre entretien la semaine dernière, Alexandre Stachtchenko s’alarmait à raison :

Nous ratons des emplois, des talents, des compétences, des capitaux etc. et perdons par ricochet notre influence culturelle et notre souveraineté. Ce qui est fort dommageable, car les valeurs sous-jacentes à ces technologies sont bien plus proches des valeurs européennes qu’américaines ou chinoises.

Renaud Loubert Aledo, le 29 Novembre 2019.

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