Pierre Person, député La République En Marche (LREM)

« La Blockchain est une innovation comparable à celle d’Internet »

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6 min readMay 3, 2018

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Pierre Person, député de la 6ème circonscription de Paris

Alors que le gouvernement s’apprête prochainement à légiférer sur le sujet, Pierre Person, député LREM et rapporteur de la mission d’information sur les cryptomonnaies, exhorte les pouvoirs publics et les français à porter un regard optimiste et responsable sur la technologie blockchain et les crypto-actifs.

Les membres de la mission d’information sur les cryptomonnaies ont-ils l’autorisation de posséder des cryptomonnaies ?
Il n’y a aucune contre-indication à cela à condition que ce soit déclaré. J’ai moi-même encore quelques ether (ndlr : cryptomonnaie d’Ethereum). La question sous-jacente au bout du compte est celle du délit d’initié. Je pense que la décision du législateur n’a pas d’incidence sur le cours des crypto-actifs. Aussi, je ne vois pas le problème à détenir des crypto-actifs pour une personnalité politique, bien au contraire. C’est surtout une preuve d’intérêt et de volonté de mieux maîtriser le sujet. La représentation nationale a beaucoup changé et est d’ailleurs beaucoup plus ouverte aux enjeux de cet ordre.

Avez-vous déjà investi dans une ICO ?
Investissement, c’est un bien grand mot ! J’ai investi dans une ICO pour tester au mois de décembre 2017. Il s’agissait d’une solution de registre décentralisé sur la supervision des cartes grises. Je me suis servi de mes ethers pour les convertir dans le cadre de cette ICO et mieux en comprendre le fonctionnement.

A titre personnel, considérez-vous la blockchain et les cryptoactifs comme des innovations technologiques majeures, au même titre qu’Internet ?
La blockchain est une innovation comparable à celle d’Internet et permettra aussi de le réinventer entièrement. Elle constitue la promesse d’un Internet décentralisé, à contre-courant de sa verticalité actuelle. La décentralisation redonne du pouvoir aux individus et constitue donc un nouveau moyen de gouvernance, qui aura de profondes implications politiques, notamment sur les démocraties.

Quelles sont donc aujourd’hui les questions prioritaires de la mission d’information sur les cryptomonnaies ?
Il s’agit dans un premier temps de sortir des caricatures et de faire de la pédagogie pour démystifier le sujet auprès de l’opinion publique. Pour cela, nous avons fait le pari de recevoir à la fois des acteurs économiques, des acteurs institutionnels, tels que l’AMF, mais aussi des chercheurs et des évangélistes. Avant de démarrer les auditions, il nous a semblé pertinent de débroussailler un large spectre de thèmes liés aux cryptoactifs sans avoir en tête certains angles prioritaires. Les thèmes que l’on retrouve le plus sont néanmoins la qualification juridique des ICO, la fiscalité et le fait de créer un ensemble de normes qui favorisent la confiance. Il faudra trouver un compromis entre le “tout régulation”, qui a empêché la France d’appréhender tous les enjeux d’Internet et le “laisser-faire”, parfois synonyme de Far-West.

Cette mission aborde-t-elle d’une façon ou d’une autre la question de l’harmonisation à l’échelle européenne, pour faire de l’Europe un concurrent de taille face aux Etats-Unis et aux puissances asiatiques ?
Cet aspect-là de la réflexion est indispensable. Cela dit, l’enjeu est dans un premier temps de travailler sur les normes françaises. Par la suite, le sujet étant extraterritorial par définition, il est fondamental que les différents Etats membres de l’UE convergent vers une harmonisation fiscale et normative globale.

Aujourd’hui, le G20, la Commission, le Parlement se sont déjà penchés sur la question. J’ai moi-même reçu l’équivalent de l’AMF au niveau européen, qui ont déjà engagé un grand nombre de travaux. Agir en faveur d’une démarche européenne forte est incontournable et il ne faut pas répéter l’erreur commise avec Internet. Cela n’exclut pas pour autant une possible émergence de géants nationaux dans chacun des Etats membres. Je souhaite d’ailleurs qu’il y ait en France de grandes plateformes d’échange pour assurer le pont entre les monnaies FIAT et les cryptoactifs. Sans de tels géants français, il sera difficile d’imposer nos règles de manière exhaustive.

Par ailleurs, les lois sont toujours influencées par une culture. Sur une thématique transnationale comme celle-ci, il est donc préférable d’impulser des initiatives qui pourraient être reprises au niveau européen, plutôt que de subir dans dix ans une législation imprégnée d’une culture qui n’est pas la nôtre. Les labels proposés par l’AMF en sont un parfait exemple.

Réfléchissez-vous aussi à la sensibilisation des investisseurs aux risques des cryptomonnaies ? Des risques liés aux scams des ICO, mais aussi à la volatilité des cryptomonnaies ?
Ici, le parallèle est flagrant avec les jeux d’argent en ligne. L’Etat se doit de protéger et de sensibiliser ses citoyens pour prévenir les comportements excessifs. Par exemple, il est absolument nécessaire de décourager le petit épargnant qui voudrait investir l’intégralité de son portefeuille dans les crypto-actifs parce qu’il considérerait que la rentabilité de son plan épargne est trop faible. Toutefois, on ne doit pas le décourager. Il s’agit plutôt de l’inciter à trouver le bon équilibre. C’est le travail de l’AMF.

Cours de la cryptomonnaie ZCOIN d’Octobre 2017 à Mai 2018

La mission formulera-t-elle des recommandations pour encourager la recherche dans le secteur ?
Notre législation fiscale doit permettre d’investir massivement dans la recherche, qui est encore effectuée à l’heure actuelle par bon nombre de start-up qui lèvent des fonds par ICO. Quand vous avez été un précurseur en 2012–2013, que vous voulez vous servir de ces crypto actifs pour vous lancer dans votre activité économique, la fiscalité est extrêmement lourde. La plus-value est prélevée avant d’avoir pu faire le transfert vers la personne morale.

On a ainsi de futurs entrepreneurs qui se retrouvent bloqués et sont forcés de s’expatrier pour lancer leur business, qui pourrait se révéler être une licorne de demain. Il faut à tout prix créer une fiscalité attractive sur le sujet. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons décorrelé la mission blockchain de la mission sur les crypto-actifs. Si la première sert des objectifs sur le long terme, la seconde est vouée à apporter des réponses à des questions urgentes.

La diversité des horizons politiques des membres de cette mission a-t-elle une incidence sur vos discussions ?
Complétement. J’aurais un exemple à ce sujet. Le président de la mission blockchain est M. Aubert, avec qui nous avons plusieurs divergences politiques. Nous ne sommes pas du tout en ligne sur les questions de souveraineté. Lui, aspire à une souveraineté nationale renforcée quand je défends une souveraineté européenne. Il me semble qu’axer le sujet des crypto-actifs sur la souveraineté française est une erreur. Nous devrons donc en rediscuter. Cette rupture technologique dépasse la simple question de l’Etat nation et de la souveraineté française. Les crypto-actifs n’ont pas de frontière. Cela implique de penser nos politiques publiques à une échelle plus large.

En tant que membre d’un mouvement libéral voyez-vous la blockchain et les cryptoactifs comme un levier de croissance économique ou plutôt comme un levier d’émancipation pour les individus ?
Les deux sont reliés dans la doctrine libérale. L’émancipation des individus passe par leur émancipation économique. Ce qui est intéressant, c’est de lire que la littérature sur le sujet permet de comprendre que la blockchain redonne du pouvoir à l’individu, aujourd’hui confisqués par des entités centralisées.

Si le lecteur devait retenir une chose de la mission d’information, ce serait quoi ?
Que nous devons innover en la matière et que le législateur est ouvert sur le sujet. Le souhait du législateur n’est en aucun cas de freiner le développement des crypto-actifs mais de mettre en place des règles — fussent-elles au minimum — pour protéger les consommateurs et les investisseurs. La France doit devenir un environnement attractif et un leader en la matière.

Propos recueillis le 30/04/2017 à Paris.

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