Webmaster. Un métier d’avenir ?

Passe ton bac d’abord

Mathieu Pasquini
Boogieplayer
8 min readJan 17, 2018

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Avant d’entrer dans une analyse de profondis, tu me connais, je suis un homme de précision et de détail, donc soyons précis : un webmaster c’est qui c’est quoi ?

Selon Wikipedia il faut dire webmestre -déjà- et cela désigne une personne qui gère un peu tout d’un site web. Pour être plus précis nos amis de l’Onisep nous donnent un résumé du métier :

À la fois technicien, graphiste et rédacteur, le webmestre est responsable de la vie d’un site, du développement à l’animation, en passant par la mise en ligne et la veille technologique. Un métier à géométrie variable nécessitant d’avoir plusieurs cordes à son arc.

Oui, vous avez bien lu, apparemment on peut être à la fois un technicien, un graphiste et un rédacteur. Spécialiste de tout, expert en rien. D’ailleurs, c’est bien connu, un médecin généraliste sait faire à la fois de la neurochirurgie, de la transplantation d’organes et de l’ostéopathie. Ce qui était peut être vrai il y’a 15 ans ne l’est plus du tout de nos jours, et je vais en faire une analyse sous le prisme d’un quidam (ou plusieurs quidams) qui souhaiterai(en)t vivre directement de ce métier afin de démontrer que : le métier de webmaster n’a pas de sens technique ou économique et de fait n’existe pas.

Pour notre analyse on va poser quelques postulats simples, qui pourront être transposés facilement à différents environnements professionnels.

  1. Notre quidam sera une personne ayant une bonne connaissance, au moins égale à la moyenne, des différents aspects de son métier,
  2. Notre quidam travaillera en France pour des clients français. 10 heures par jour, 6 jours par semaine. Avec 1 semaine d’arrêt en décembre et 3 semaines en août. Soit 2640 heures dans l’année, ou 11 mois,
  3. Notre quidam respectera l’ensemble des lois (pas de black hein !),
  4. Notre quidam créé une société de droit français (disons une sarl ou une eurl) qui sera domicilié à Paris (la plus petite CFE de france) et il travaillera de chez lui, et recevra ses clients en louant des bureaux à l’heure dans une pépinière,
  5. Notre quidam aura un salaire net de 2000 € et sera affilié au RSI et aura les avantages habituels et normaux : voiture de direction, téléphonie, pc portable, Madelin etc.
  6. Notre quidam part avec zéro client et prospect. Vierge d’un réseau ou d’une famille riche ;)
  7. Notre quidam, en tant que webmaster, prendra en charge lui-même l’ensemble des demandes client.

Ça y est, c’est parti, Jean-Michel Quidam vient de finir de créer sa société, qui répond au doux nom de CréaOueb SARL, dont le but est de fournir des sites web à ses futurs clients et de les administrer. Je rappelle que Jean-Michel doit tout faire pour ses clients, mais ce n’est pas un frein car notre ami est grave motivé.

Comme il est grave motivé, et qu’il peut tout faire, Jean-Michel travaillera 10 heures par jour 6 jours sur 7, soit 60 heures par semaine ou environ 250 heures par mois . Et en cas de problème sur les serveurs, sites ou autre, il pourra intervenir 24h/24. Et oui !un client et son site web ça se choie.

Et en webmaster qui connait tout, il sait trouver sur le web des logiciels libres et gratuits qui vont l’aider à manager sa petit société et son métier, à commencer par la compta via Grisbi. Ce qui va lui permettre de connaitre le minimum de chiffre d’affaire hors taxe, le point mort, que CréaOueb sarl devra faire tous les mois.

  • Le social et personnel : 2000 € salaire net+ 900 € de RSI + 200 € de Madelin incluant un peu de retraite, la mutuelle et la prévoyance = 3100 €
  • Le fonctionnement de l’entreprise : 30 € de domiciliation, 200 € pour 4 heures de location de bureaux, 50 € d’assurance professionnelle, compte bancaire 9 € (source), 100 € la comptabilité par un cabinet pour le bilan et la TVA, 100 € de communication et réseautage= 780 €
  • Le fonctionnement du webmaster : smartphone + abonnement 45 € (Source), PC 30 € (allez un petit plaisir), un portable sous linux 0 € (cadeau de la famille à Noël), une petite voiture pour les rendez-vous en LLD avec l’assurance 200 €, connexion web fibrée à 40 € (faut pas déconner) = 315 €
  • CréaOueb sarl doit donc faire tomber dans ses caisses tous les mois de l’année la somme de 4195 € afin de faire face à l’ensemble des ses frais fixes, ou 50340 € dans l’année. Jean-Michel ayant annoncé travailler 11 mois en une année (2640 heures), ce qui ramène son CA mensuel à 4576.36 € HT, car il ne travaille que 11 mois par an, mais doit dépenser tous les mois la même somme. Un rapide calcul montre que chaque heure travaillée doit permettre d’encaisser 19.06 €. Bien entendu chaque heure ne peut pas être vendue. Les rendez-vous, le réseautage, la comptabilité, la gestion etc. prennent beaucoup de temps. L’expérience montre que tout cela peut prendre la moitié de son temps, c’est pourquoi le taux horaire sera doublé à 37 €, et pour faire un peu de marge, disons 30%, les heures vendues seront donc à 48 € HT... et en fait arrondies à 50 € HT.

Jean-Michel étant quelqu’un de prudent et d’organisé il a regardé la concurrence. Et surtout, il a bien lu cet excellent dossier sur le prix de vente d’un site internet, il en déduit que le marché c’est pour lui :

  • un site vitrine, entre 500 € et 3 000 € HT, soit 10 h à 60 h de travail
  • un site marchand, entre 1 000 € et 20 000 €, soit 20 h à 400 h de travail

Devant faire rentrer dans les caisses plus de 4 500 € par mois, il en déduit qu’il faut faire au minimum un gros site vitrine par mois et un petit site marchand, ou un moyen site marchand et un moyen site vitrine ou un gros site marchand. Ça devrait le faire se dit il.

Ça devrait le faire…

Hélas… En vrai ça le fait pas. Pourquoi ? parce que dans la vraie vie du webmaster, et du chef d’entreprise, rien ne va jamais complètement comme on le prévoit. Faire un site internet et plus largement du code, est extrêmement chronophage. On peut passer 5 heures pour faire quelque chose qu’on devait faire en 15 minutes, on ne passe jamais 15 minutes pour faire quelques chose de vendu pour 5 heures. Jean-Michel, afin de rendre son petit site vitrine à 1000 €, soit 20 h, soit deux jours, n’a pas d’autre solution que d’utiliser des briques toutes prêtes, comme un WordPress et un template. Seulement le client veut toujours “un peu plus”, une toute petite fonctionnalité qui oblige notre webmaster à prendre sur son temps non vendu pour faire fonctionner le petit truc en plus. Les marges commencent à baisser. Le client n’est pas content de la charte, ce n’est pas exactement ce qu’il voulait. Ça ne marche pas sur son vieux PC et son navigateur Edge, “le bouton n’apparaît pas”, “ça me dit ‘une erreur est arrivée’” (Oui, les clients pensent que les sites web leur parlent), “ça s’affiche pas du tout comme on l’avait dit sur mon téléphone” etc… etc… les heures filent. Notre webmaster, qui sait tout faire, se plonge dans les arcanes du CSS et de l’HTML, prend du temps pour essayer de corriger le code du moteur graphique du site… Le temps passe, les marges baissent.

Le client voudrait en fait afficher un petit bloc supplémentaire en haut (enfin pas complètement en haut) avec la possibilité de collecter les mails, pour que des gens laissent leur mail pour leur écrire. Qu’à cela ne tienne, y’a des plug-in Jean-Michel a vendu l’affaire 1 heure pour 15 minutes d’installation. Hélas, les plug-in WordPress qui font ça cassent la mise en page bricolée (voir plus haut). Donc, faut coder un petit quelque chose à la main, vite… vite… Et voilà notre webmaster qui sait tout faire en train de plancher sur le code PHP et MySQL de WordPress pour ajouter un bout de code pour faire fonctionner le bazar. Il est tard, ça bug (normal), faut corriger et tester. Ouf ça marche.

Total et conclusion ce qui est vendu 20 heures aura duré 30 heures. Du temps perdu, jamais facturé. Jean-Michel envoie la facture. Le 11 du mois. Seulement le client paye à 60 jours fin de mois le 10. Gnnné ? Notre webmaster qui sait tout faire plonge sur le web et essaye de comprendre le truc. Et il comprend. “Hein !? je ne serai payé que dans 2 mois ?!”. Comment faire en attendant, il faut faire rentrer les sous.

Heureusement un devis est à faire, un bon gros site marchand, qui vaut 20 000 € à la vente. Problème, le prospect négocie, il a d’autres offres moins chères. Et les emmerdes, qui volent en escadrilles, s’enchaînent. La faille meltdown fait paniquer un autre client qui n’arrête pas d’appeler pour être sûr que son serveur est protégé et si son pc sous Windows 10 est en danger, il demande aussi de l’aide. Notre webmaster, qui sait/doit tout faire, doit jongler entre tout ça et le temps passe… Il prend le risque de baisser son prix sur le site marchand, tant pis, il faut faire rentrer l’argent.

Le temps passe, et repasse le temps et fini par fatiguer notre webmaster. D’autant plus qu’il a rendez-vous avec sa banque car il est à découvert de 500 €, et que le contrat du site marchand ne tombe pas. Il y’a aussi la nouvelle version de PHP, et de boostrap, et de webmin, et de plein de chose qu’il faut vérifier. Les sites à mettre à jour. La compta à faire.

On le voit le métier de webmaster n’a pas de viabilité réelle dans le temps, c’est un métier de généraliste qui finit par demander à être pointu, expert, dans beaucoup trop de domaines très riches, très denses et très différents. Les seuls moyens de fonctionner sont :

  • de se cantonner dans un domaine : développement JS ou PHP, administration système, web-design etc. De ne faire que cela, de ne vendre que son savoir faire et de se maintenir à jour. C’est l’idéal du freelance, et c’est comme ça que c’est viable
  • d’être une web-agency qui regroupe en son sein les principaux métiers : développement, web-desing-intégration, admin-sys, suivi de projet, gérance, etc. où chacun exerce sa spécialité et se maintien à jour
  • heu non y a pas d’autres moyens :p

Même dans le cas d’une PME de vente de robinets en ligne qui fait 12 millions de C.A, n’avoir qu’un webmaster-à-tout-faire pour gérer le site plongera la PME dans les mêmes tracas et à terme des problèmes très compliqués à surmonter.

De fait la notion même de webmaster n’a finalement pas de sens, c’est un mot pratique et simple pour désigner une soi disant réalité qui n’existe pas, allez “qui n’existe plus”. C’est comme dans le bâtiment un “homme à tout faire” ça n’existe pas, on est électricien, plombier ou charpentier, ça paraît évident, pour construire une maison il faut beaucoup de corps de métier. C’est exactement la même chose pour un site internet et a fortiori un SaaS, il faut comprendre que pour qu’il soit bien fait et solide dans le temps, il faut s’entourer de professionnels compétents -en un seul mot- dans leur métier.

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Mathieu Pasquini
Boogieplayer

Mathieu Pasquini, aka boogieplayer, is a piano player and https://Shadow-Moses.net CEO. L.A.M.P genie, NeuroHacker & BoogieWoogie drifter.