Comment et pourquoi donner du feedback en équipe

Combier Camille
Bourgeon Agile
Published in
10 min readJan 3, 2024

Nous sommes au moment de l’année où se profilent les entretiens annuels ! L’objectif de ces entretiens est d’évaluer les performances d’un individu et de prendre en considération les impacts de chacun de ses comportements. L’intention est louable, surtout dans une optique d’amélioration continue, mais nous savons aussi que cet entretien est particulièrement complexe et stressant. Afin d’être au plus près du terrain, vous pratiquez peut-être dans votre entreprise les entretiens 360. Je vous propose dans cet article de parler de l’acte de donner du feedback et de comprendre ce que cela peut apporter, sous quelles contraintes, et les principaux pièges à éviter.

Cet article est rédigé pour Bourgeon Agile, nous aimons apprendre, expérimenter, partager et collaborer. Vous retrouverez nos articles en suivant ce lien. Sentez-vous libre de ne pas être d’accord, et de commenter cet article, nous souhaitons entendre la voix de chacun pour améliorer notre perspective et notre apprentissage.

Le Feedback

Le feedback est un outil qui permet à un membre d’équipe de découvrir une perspective nouvelle à propos de ses comportements. Quand il travaille, ses actions ont inévitablement un impact positif, négatif ou neutre sur ses collègues. Cette boucle de rétroaction est un moyen pour les prendre en compte et d’adapter ou renforcer ses comportements.

Exemples :

John est souvent en retard au stand-up de son équipe, car il a une réunion juste avant, qui ne termine que rarement à l’heure. Un membre d’équipe pourrait tout à fait lui dire que son absence est préjudiciable, car il a du mal à planifier la journée.

ou sur un impact positif

John est un développeur expérimenté et passe de nombreuses heures à aider les autres membres de son équipe. Ses collègues pourraient faire un feedback expliquant comment il les aide et pourquoi c’est important pour eux, ce qui aidera John à renforcer ce comportement.

Dans les deux cas, John peut découvrir une perspective de l’impact de ses actions sur des membres d’équipe. C’est un axe intéressant quand il s’agit de s’améliorer.

Le feedback dans l’équipe

Le feedback est une pratique indispensable dans une équipe agile. Cela permet une prise en compte des besoins et des impacts de chacun de ses membres. Il permet à l’équipe de s’améliorer. En Scrum, il intervient a minima en rétrospective, même si dans l’idéal, on aimerait qu’il puisse être donné en tout temps.

En tant que Scrum Master, on aide l’équipe à construire la confiance pour leur permettre de se donner des feedbacks en direct avec les bons mots. Nous savons à quel point cet exercice est périlleux et peut être source de conflits.

Pour cela, j’utilise plusieurs outils dont la CNV (communication non violente). Je vous propose donc un petit guide simplifié pour vous y essayer. Notez toutefois que je ne souhaite pas réduire la CNV à cet outil, mais je trouve que l’enchaînement Observation, Sentiment, Besoin et Demande est un moyen efficace d’offrir une perspective à l’autre. On retrouve d’ailleurs un outil similaire dans les pratiques proposées par le Management 3.0.

Etape 1 : Exprimez le contexte et les observations !

La difficulté dans cette première étape est d’exprimer uniquement des faits et retirer tout jugement ou généralisation. Préférez, “Lundi matin quand tu es arrivé à 9 h 10, soit 10 minutes après le début de notre stand-up” que “Lundi quand tu étais en retard”. Soyez attentif aux approximations et généralisations. Par exemple, une phrase qui commencerait par “Tu es toujours…”

Etape 2 : Exprimez vos sentiments !

L’expression des émotions est bien souvent mal considérée en milieu professionnel, et pourtant, elle est la clef pour un don de feedback réussi. Elle engage l’empathie et facilite la compréhension et le changement.

“Je me suis senti frustré”

Il existe une panoplie de faux sentiments, qui sont des évaluations masquées ; des jugements qui ne sont pas des émotions. Par exemple, je me sens agressé ou encore je me sens nul. Vous pouvez trouver plus de détails et une liste d’évaluations masquées en suivant ce lien.

Etape 3 : Exprimez pourquoi cela vous dérange et vous impacte !

C’est quand on est capable d’exprimer son besoin que la magie opère, la nature humaine a tendance à vouloir aider les autres à remplir les leurs. Et comme nous ne sommes pas connectés en Wi-Fi sur les besoins des autres, la première étape est de les exprimer. Ne considérez pas que c’est « évident » et que l’autre « aurait pu deviner » !

Un besoin en CNV est universel, tous les êtres humains en partageant la même liste.

« J’ai besoin de savoir mon temps bien utilisé » ou « J’ai besoin de collaborer dans la construction de cette solution »

Seulement, je pense que trouver son besoin fondamentale sans avoir l’habitude de l’outil CNV ou sans être accompagné est un acte complexe. Pour simplifier mes facilitations, je l’amène comme ceci : “Vous exprimerez pourquoi cela vous fait ressentir cette émotion, ce que ça remplit ou vide chez vous, et ce que ça vous permet ou vous empêche de faire”.

Je me sers ensuite de cette réponse pour creuser le besoin fondamental si nécessaire.

Etape 4 : Faites des propositions ou demandez un retour !

Si vous faites des propositions, rappelez-vous qu’elles doivent être concrètes, réalisables, soumises à une limite temporelle et négociables !

“Qu’est-ce que ça te fait quand je dis ça ?” ou « Comment peut-on s’arranger pour améliorer la situation ? » ou « Peux-tu essayer de décaler ta réunion récurrente ? » ou encore « Est-ce qu’on peut demander à l’équipe de décaler le stand-up sur cette journée ? »

Ceci est une simplification de ce que j’explique à l’équipe pour donner du feedback, mais vous en avez ici les grandes lignes. J’insiste sur le fait que, quand on donne du feedback, il faut parler de soi (ses observations, ses émotions, ses besoins) et pas de ce que l’autre est (“tu es …”).

Un autre axe important est de ne pas se concentrer sur les points à améliorer, mais aussi sur les points à renforcer. Aussi, on invite le destinataire du feedback à tout noter, y compris le positif. On demande également à chaque membre d’équipe d’avoir autant de feedback positif que négatif. Cela aide à la priorisation et à la facilitation. N’oublions pas que connaître ses forces est un bon moyen de résoudre d’autres problématiques, car on peut souvent appliquer ses compétences sur d’autres sujets.

Je vous propose dans la suite de cette article de vous donner quelques pièges que nous avons rencontrés et/ou astuces pour que votre prochaine session feedback se passe pour le mieux.

Feedback et confiance

Lors d’une session de feedback, il est nécessaire pour le réceptionnaire de pouvoir clarifier les situations. Il est donc indispensable qu’il soit donné en face à face ou en équipe. Evitez tout feedback exprimé en direct au manager sans la présence de la personne ! Dans notre équipe par exemple, nous avons une session de feedback où tout le monde est présent et chacun, dans un espace sécurisé, peut ainsi entendre les feedbacks des autres. Cela permet de challenger et de confirmer certaines observations et ressentis.

Attention aussi au niveau de confiance dans l’équipe. Si le niveau est faible, les membres ne se sentiront pas engagés et disponibles pour donner leurs observations, ressentis et besoins. Il est donc nécessaire en amont de travailler la confiance. Chacun doit être libre de s’exprimer sans crainte d’être jugé ou exclu.

Pour apporter un niveau de confiance suffisant pendant ces sessions, nous nous assurons de la présence d’une personne habituée à la formulation et à la reformulation. Cela permet de clarifier en direct. Vous pouvez aussi vous référer à cet article pour creuser la problématique de confiance dans une équipe.

Feedback et rémunération

Une attention particulière est aussi à donner au contexte du feedback. S’il a un impact direct sur la rémunération, beaucoup esquiveront la discussion, en espérant le « Si je ne dis rien, les autres ne diront rien non plus ». Généralement, il est donc conseillé de pratiquer le feedback tout au long de l’année et pas simplement quand arrivent les entretiens d’évaluation.

C’est un point critique dans la réussite de l’exercice, et extrêmement dépendant de la culture de l’équipe ou de l’entreprise. Dans une entreprise où l’individu est valorisé plus que l’équipe, cela peut entraîner des dérives avec de la manipulation des objectifs pour avoir de bons feedbacks ce qui pourrait se traduire in fine par une meilleure rémunération..

Le message caché

Il est important de ne pas laisser de messages cachés dans ces sessions. Par exemple John qui essaie de donner un feedback positif, mais son réel point est un peu plus subtil :

“Quand je vois que tu prends le temps de réfléchir en réunion, je me sens apaisé, car j’ai besoin d’espace pour m’exprimer”

Ce feedback est un feedback maladroit mettant en évidence un comportement pour exprimer qu’il est agacé quand il/elle s’exprime abondamment en réunion et qu’il a besoin d’espace. En tout cas, il mériterait une clarification, c’est dans ce genre de situation que j’interviens et que je questionne.

Feedback Généraliste

Attention aux généralités, vous observerez en fonction de votre groupe que certains s’attachent à des ressentis. “Tu es plutôt comme ci, ou comme ça”… ou “J’ai observé plusieurs fois que …” sans exemple concret et précis.

J’aime creuser ceux-ci, car ils sont particulièrement pernicieux. Ils énoncent des généralités sans avoir du concret pour comprendre et questionner.

Je demande alors un exemple. S’il n’y en a pas et que c’est une généralité, je demande à celui qui donne le feedback de le noter pour lui et d’aborder à nouveau le sujet la prochaine fois où il a ce ressenti pour clarifier la situation.

Feedback en creux

Une autre formulation maladroite est le feedback en creux. Il consiste à occulter l’impression générale pour s’attacher au détail. Ainsi, sur un ressenti à 90 % positif, on va s’attacher aux 10 % restants. Voici un exemple :

“Ce qui m’a manqué dans cette réunion, c’est juste une pause”

On note ici, en première lecture, qu’on pourrait ajouter une pause dans notre réunion. Seulement, le mot « juste » implique qu’il y a un feedback tout autre à aller chercher sur le reste de la réunion. Cela appelle une clarification qu’on pourrait obtenir en posant à notre tour la question :

« Je note l’idée de la pause pour la prochaine fois, j’ai aussi l’impression que tu as apprécié le reste. Qu’as-tu particulièrement apprécié dans le déroulé de la réunion ?”

Il est souvent nécessaire de clarifier certains points « sous-entendus ». C’est pour cela que nous demandons à nos équipes de faire les feedbacks en face à face.

Feedback positif générateur de pression

Une autre tendance est de vouloir exprimer du feedback positif pour apporter de la reconnaissance. Seulement, la gratitude peut avoir un effet négatif quand elle est mal utilisée. Pour l’expliquer, prenons une nouvelle fois un exemple :

“Ta réunion était géniale ! Je compte sur toi pour la prochaine”.

On peut imaginer la vague de reconnaissance arrivant avec cette phrase, puis dans un second temps la pression qu’elle entraîne. En effet, avec ce simple feedback, on ne sait pas quel comportement a été apprécié. Etait-ce parce que la réunion a démarré à l’heure ? Car elle a fini en avance ? Parce que les slides étaient simples ? Ou même en lien avec quelque chose qui n’aurait pas été réalisé en conscience ?

Ainsi, pour formuler du feedback positif, nous utilisons la même recette : les faits, le sentiment, les besoins remplis et enfin l’expression d’une demande précise. Voici un exemple:

“Lors de la réunion, tu as distribué la parole en faisant des tours de table, je me suis senti écouté et cela remplit mon besoin de contribuer. J’adorerais que la prochaine fois tu animes la réunion en faisant circuler la parole de nouveau.”

On voit qu’ici le comportement et la conséquence sont bien définis et simplifient l’action à prendre.

La récurrence

Qui se souvient de ce qui s’est passé il y a 10 mois ? Et qui s’en préoccupe ? La mémoire est volatile, et plus l’événement qu’on veut relater est loin dans le temps, plus il est difficile d’être précis et juste. Nous ajoutons facilement quelques suppositions ou généralisations. C’est en grande partie pourquoi, lors d’entretiens annuels, vous observerez que les faits utilisés sont pour la plupart récents et provenant des dernières semaines.

Dans ce cas, pourquoi les entretiens devraient-ils se faire uniquement annuellement ?

En faisant ce constat, nos équipes ont décidé de pratiquer le feedback de façon plus régulière à raison d’une fois par trimestre. Certains groupes ont même défini un protocole simple et sécurisé permettant de proposer du feedback en direct, à l’aide d’une phrase type comme : « J’ai une perspective à t’offrir, quand serais-tu disposé à en discuter ? ». Cela permet de l’accepter ou non en fonction de l’énergie du moment.

Occulter le positif

C’est sans doute lié à la culture française, mais nous observons aussi que peu de membres d’équipes prennent la peine de noter le feedback positif qui leur est donné. C’est un tort, car avoir conscience de ses forces est souvent un excellent moyen de se dépasser et de trouver des solutions à ses faiblesses. Voici un exemple :

« John est très fort en animation de réunions d’équipe. Il sait les structurer pour s’assurer qu’il en ressorte des éléments concrets pour avancer. »

Cependant, lors de la dernière séance de feedback, on lui a offert la perspective qu’il avait du mal à naviguer dans une réunion qui était dirigée par son manager, ou même par le client. S’il a conscience de sa force dans l’animation de réunions d’équipes, il peut décider d’essayer d’animer les réunions organisées par son management ou par le client.

En résumé

Le feedback en équipe est un excellent moyen de progresser. Je vous ai proposé ici un outil simple permettant d’en donner. Cependant, nous voyons que les pièges sont nombreux et que l’intention reste primordiale.

La première étape est de construire la confiance et de la valider au sein de l’équipe. Ensuite, il est nécessaire de former les membres du groupe sur cet outil, puis d’éviter les pièges liés à la rémunération et autres manipulations.

Mon conseil est de le pratiquer souvent afin de simplifier son utilisation. D’ailleurs, certaines de nos équipes optent, non pas pour un feedback annuel, mais plusieurs fois par an, ce qui permet aussi aux personnes de progresser dans leur formulations.

Quelques liens pour aller plus loin

https ://hbr.org/2019/03/the-feedback-fallacy

https ://www.forbes.com/sites/forbeshumanresourcescouncil/2021/07/23/the-feedback-fallacy-how-to-make-feedback-work-in-the-workplace/ ?sh=31c2416a5bd2

https ://management30.com/practice/feedback-wraps/

https ://reveille-ton-leadership.com/4-approches-pour-donner-de bons-feedbacks/

https ://bloculus.com/sauvez-des-vies-faites-des-feedbacks/

Vidéo Introduction CNV : 5 trucs pour être heureux

Concertience — Formations CNV

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