Aude Harel de Casanove
Burnout : rallumons la flamme !
5 min readJun 26, 2017

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Le burn out, c’est le vide. Plus qu’une terre brûlée à l’intérieur.

Des douleurs physiques intenses, une immense fatigue, des sanglots, une sensibilité exacerbée, l’absence de goût aux choses de la vie (nourriture comprise), un laisser-aller (ne pas prendre soin de son apparence, ne plus se maquiller, ne même plus s’habiller dans la journée), une mémoire défaillante. Et la peur au ventre.

Dans votre « armée des 12 signes », j’ai coché les 10 premières cases. Je crois que j’ai pris conscience de la gravité de la situation et accepté l’arrêt juste à temps pour ne pas adopter de comportements à risque (signe n°11). Je suis en arrêt depuis 5 mois. En réalité, tout a commencé à brûler il y a plusieurs mois, années même, sans doute. J’ai longtemps été dans le déni. Ces derniers mois, avec l’aide de mon médecin et de ma psychothérapeute, j’ai mené un difficile travail sur moi-même qui me permet de prendre un peu de recul. Et de comprendre comment moi, la « super woman », j’ai craqué un « beau » matin.

Ce jour où il m’a été physiquement impossible d’aller travailler tant les douleurs (nuque, épaules, bras) étaient violentes. Une névralgie surtout, qui m’a empêchée de bouger.

Pourquoi, comment, à ce moment-là ? Quelques jours seulement après des vacances ! Il me semble qu’il y a eu deux éléments déclencheurs. L’un, très personnel, violent, 2 mois plus tôt ; l’autre, un conflit professionnel exponentiel avec un collègue qui a commencé à s’attaquer à moi juste avant lesdites vacances, et après l’épisode traumatique personnel, donc lorsque j’étais en position de fragilité.

Je travaille dans la fonction publique, je suis professeure et dirige une formation universitaire, et je suis en burn out. Oui, croire que ce triste sort puisse être réservé aux salariés du privé est totalement erroné. La fonction publique souffre de l’austérité, des postes supprimés dès qu’il y a un départ, d’un manque de financement qui nous force à jouer les commerciaux pour trouver l’argent nécessaire à la formation des étudiants. On est pressés comme des citrons. Plus on en fait, plus on nous en demande. La responsabilité que l’on m’a confiée, avant d’être une reconnaissance, est un esclavage. Pas d’horaires imposés en dehors des cours, donc une vie privée noyée dans le travail. Je rentrais tard le soir, je travaillais en rentrant, je travaillais le week-end, submergée par des centaines d’e-mails, de tableaux à compléter pour le lendemain, sans la moindre décharge d’enseignement, et en ayant à cœur une seule chose : mes étudiants. Donc, toujours disponible pour eux.

Je n’ai pas seulement pris la direction de la formation, je suis devenue la formation, au point de m’en oublier moi-même. Pendant des années. Au détriment de ma santé, de mes enfants, de ma vie personnelle.

Je ne sais pas de quoi sera fait demain. Mais j’ai appris, au cours de ces longs mois d’arrêt, que j’avais un corps, que je devais l’écouter. Que j’étais un être humain et pas une « super woman ». J’y ai joué plusieurs années, je m’y suis tuée à petit feu.

Je reprendrai le travail en démissionnant de ma fonction de direction, pour retrouver un équilibre, un temps de travail partiel (sous réserve d’accord de l’université), une vie sereine pour les miens et moi. J’ai beaucoup travaillé sur moi pour comprendre que c’était nécessaire. Pour accepter de décrocher de ce qui relevait d’une addiction au travail, créée, encouragée, par le système. Il m’aura fallu tomber dans l’abîme pour réagir et ne pas me laisser emporter par les eaux qui m’auraient menée à la noyade.

Je ne suis pas encore sortie d’affaire, je me sais fragile, sous traitement, mais je vois la guérison au bout du tunnel. J’ai la chance d’avoir un médecin traitant attentif, prêt à m’écouter et à me tendre des kleenex pendant une heure s’il le faut. Un médecin qui m’avait alertée il y a plusieurs années mais à qui je résistais. Déni.

Aujourd’hui, je l’écoute. C’est lui qui décide. J’obéis.

J’ai aussi la chance d’avoir trouvé du premier coup une psychothérapeute qui m’a permis d’identifier mes failles, mes erreurs, et de retrouver un corps perdu au milieu d’un fonctionnement exclusivement cérébral.

Je suis tombée très bas, je n’étais plus moi-même, je me reconstruis avec bienveillance.

Je marche beaucoup, longtemps, chaque jour. Un besoin inexplicable et nouveau pour la citadine que je suis de sortir à pied, d’aller au bord de l’eau, de sentir l’air, le soleil, d’écouter les bruissements dans les feuillages alentours. J’ai découvert avec surprise qu’il y avait une vie en dehors du travail, que j’avais un corps, qu’il exprimait mon mal-être, que je devais l’écouter.

J’ignore ce que l’avenir me réserve mais aujourd’hui, après cinq mois d’arrêt, je me sens revivre, je me veux optimiste.

Avant de conclure ce témoignage, je voudrais juste alerter les workaholics, leur dire que le danger rôde, qu’il s’appelle burn out, qu’il est sans pitié et que certains n’en reviennent pas. J’adore mon travail mais mon travail m’a détruite. L’avenir dira si j’ai vaincu le mal.

Je voudrais leur dire d’écouter les maux de leur corps, et leur médecin.

Je voudrais leur dire qu’ils ne sont pas responsables s’ils craquent, que le système les aura leurrés, abusés, broyés.

Je suis en période de sevrage, victime de surmenage, de la malveillance toxique d’un collègue, et dépendante d’un système sans visage qui dévore ses proies.

J’étais celle qu’on admirait pour sa force, son investissement sans faille, sa solidité. Aujourd’hui, je ne suis plus que l’ombre de cette femme hors norme. Mais une ombre qui retrouve le sourire et croit en des jours meilleurs.

Je raconte mon vécu quotidien à partir du jour où le diagnostic de burn out est tombé sous la forme d’un journal sur une page Facebook : https://www.facebook.com/JournalFemmeBurnOut/

Ecrire mes maux, mes souffrances, mes douceurs aussi, est un partage thérapeutique pour moi, et peut-être me lire est-il un soutien, un espoir pour d’autres victimes.

Je témoigne comme on mène un combat : alerter, protéger, faire réagir.

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