Les gens du web et le burnout : ouvrons le dialogue !

Retour sur l’atelier “Guérir le burnout” du 28 mai 2016 à Sud Web

Crédit photo : Marie Guillaumet http://marieguillaumet.com

C’est la deuxième fois que mon compère Goulven Champenois et moi-même intervenons sur le thème du burnout en 2016. Au palmarès des expériences traumatiques qui polluent nos quotidiens, le burnout se pose en maître incontesté. Et en vainqueurs de quelques batailles contre lui, Goulven et moi ressentions le besoin de partager nos expériences respectives dans un discours actionnable, focalisé sur les solutions à court terme et vers, pourquoi pas, un futur sans burnout.

Le 22 avril dernier, nous avons été accueillis à la conférence Mix-IT, l’occasion pour nous de tester notre sujet (Retrouvez la captation vidéo de notre intervention et les supports de présentation associés). Les commentaires positifs ne se sont pas fait attendre : définir clairement ce qu’est le burnout, obtenir des clés pour le détecter et le soigner et de nouvelles idées pour l’éradiquer, tout ceci était visiblement plus que nécessaire. Certaines personnes présentes sont même venues nous voir pour témoigner à leur tour de leur mal-être latent et nous dire combien certains de nos messages leur ont fait du bien.

À Sud Web, nous avons proposé d’aborder le sujet sous forme d’atelier ouvert à l’échange et à la discussion. Pendant 1h30, nous avons invité notre auditoire à se positionner sur l’échelle du burnout, à lever la main à l’énoncé des 12 signes (notre fameuse “armée des 12 signes” disponible ici), à nous raconter leurs anecdotes et histoires, nous faire part de leur ressenti… Et, là encore, même avalanche de témoignages émouvants, de partage, de remerciements. D’où l’envie d’écrire ce billet pour partager cette expérience avec le plus de monde possible !

À chaque témoignage de souffrance et de mal-être au travail qui me parvient, les mêmes sentiments m’étreignent : la surprise, d’abord, de voir autant de personnes concernées. Mais aussi la rage de voir combien nous pouvons nous laisser happer par cette maladie encore mal comprise, et notre impuissance face à elle quand elle s’installe et nous coupe toute impulsion de survie. L’injustice aussi, face à un monde managérial et médical encore peu sensibles au problème, à la pression sociale qui nous soumet à cet engrenage bien huilé qui pressurise les travailleuses et travailleurs, qu’elles/ils soient indépendant-es, salarié-es, dirigeant-es d’entreprise, étudiant-es, ou même chômeurs-euses ou parents au foyer.

Et des témoignages de souffrance, j‘en ai quelques-uns en stock, maintenant. Depuis mon propre burnout, et depuis le mois de mars (annonce de la validation de notre candidature pour une intervention à Mix-IT), j’ai échangé avec des dizaines de personnes : proches, moins proches, simples connaissances ou inconnu-es venu-es me solliciter sur Twitter, chaque discussion venant enrichir ma petite collection. Ce que j’en ai compris, c’est que chaque témoignage fait du bien à son-sa propriétaire et que chaque histoire mérite d’être racontée, pour enfin libérer la parole et briser l’omerta autour du mal-être que nous ressentons dans le travail.

Icônes par Kirill Kolchenko http://thenounproject.com/lovy/

Chaque histoire est différente, chaque histoire est importante.

“Pfou, je me suis pris un petit singe dans la gueule…” est probablement le retour le plus percutant que j’ai recueilli jusqu’à présent. Au tout début de l’atelier, nous invitons les participants à se positionner sur une échelle du burnout, depuis “c’est la grande forme !” jusqu’à “c’est le fond du trou”. Nous renouvelons notre enquête à la fin de l’atelier, où il arrive souvent que des personnes prennent une claque en découvrant que leur état est peut-être bien pire qu’elles ne le pensaient…

Et quand les participant-es se dévoilent, on saisit l’ampleur du problème. En situation d’épuisement professionnel, on perd le fil de la réalité, on ne compte plus les petits tracas, on n’y fait même plus attention. On accumule sagement, sans prendre conscience que quelque chose ne va pas :

“Je ne me rendais même plus compte que mon état de stress était permanent, que ce n’était plus juste à cause d’un projet qui dure ou d’une remarque mal placée. Si je fais le compte, je me sens épuisée quasiment tous les matins depuis des mois. Le jour où j’ai frappé dans un meuble sans raison apparente, je crois que j’ai vraiment effrayé mes collègues… C’était la goutte de trop.”

On accepte des comportements agressifs et dégradants de la part des autres, on ne fait plus la différence entre ce qui devrait être “normal” ou pas :

“Notre patron nous disait “vous comprenez, je serais certainement mieux sans salariés, sans avoir à payer vos salaires et les charges sociales qui vont avec, mais bon, je fais tout ça pour vous, heureusement que vous m’avez”. Comment se sentir bien dans ces conditions, en se laissant persuader que notre salaire est une faveur qu’il daigne bien nous octroyer ?”

On se laisse envahir par un sentiment de culpabilité, on se dit que c’est de notre faute, on tente de lutter comme on peut en redoublant d’efforts :

“J’accumulais les petites erreurs de code, j’oubliais des points virgule, je prenais 2 heures de pause déjeuner pour rentrer chez moi histoire de faire une sieste tellement j’étais au bout du rouleau. J’avais besoin de repos, jusqu’à ce que mon boss me dise “il faut que tu raccourcisses tes pauses repas, tu n’es plus assez productif”. C’était un engrenage sans fin, et j’étais le seul coupable.

Pire encore : certaines personnes atteignent un état d’épuisement tel qu’elles ne voient plus de solution. Elles ont une vie professionnelle sur-sollicitante mais n’entrevoient aucun répit dans leur vie personnelle, où un crédit immobilier, des travaux et des enfants à élever vampirisent le peu de temps qu’il leur reste et rendent quasiment impossible à mettre en oeuvre toute stratégie de sortie. Dans ce genre de situations, il est pourtant capital de se dégager du temps, ne serait-ce qu’une heure par jour, ou par semaine. Et cela me soulage énormément quand, au détour d’un atelier Sud Web, ces personnes peuvent relâcher un tout petit peu de tension, trouver un lieu de dialogue bienveillant l’espace d’une heure ou deux, où elles peuvent entendre des témoignages similaires et parler de leur propre épuisement, de toute la difficulté de lutter au quotidien.

Partager pour prévenir, partager pour réparer

Pour Goulven et moi, le burnout prend une place importante dans nos vies depuis plusieurs années. Il en a d’abord pris en étant là, en envahissant nos vies. Nous nous sommes battus, et aujourd’hui nous transformons l’essai et continuons d’en parler sans relâche : du pourquoi de son existence, de nos expériences personnelles dans nos luttes pour nous en sortir, des moyens que nous entrevoyons pour le prévenir, le combattre, l’éradiquer.

Parler est notre thérapie, notre libération, notre moyen de comprendre comment nous avons pu en arriver là, quelle est notre part de responsabilité dans cette lente descente aux enfers, comment notre environnement a contribué à nous détruire à petit feu jusqu’au point où nous n’arrivions plus à sortir de chez nous, ou seulement dans la panique la plus totale, à en avoir peur des voitures garées au bord de la route.

À travers nos interventions, toutes les riches discussions que nous avons avec les personnes présentes et grâce à leurs témoignages, non seulement nous nous sentons moins seuls, mais nous prenons du recul, un recul nécessaire pour mieux nous connaître. Nous comprenons chaque jour un peu plus comment nous fonctionnons, où sont nos limites et où sont celles que nous ne voulons plus jamais franchir. Nous avons découvert d’autres façons d’organiser nos vies, d’autres manières de vivre nos professions. Nous avons mis le doigt sur l’holacratie, sur le paradigme opale de Frédéric Laloux, et rêvons maintenant de contribuer à une autre facette de notre société, une facette encore très discrète mais qui existe malgré tout. Nous la cherchons activement pour la nourrir à notre tour et la faire grandir pour qu’elle profite au plus grand nombre.

Illustration : Joan Cornella http://joancornella.net/

Entretemps, je crois qu’il est essentiel de s’exprimer. L’être humain est un animal grégaire, influencé par ses pairs, doté d’une capacité de tisser des liens et d’un besoin viscéral de relations, de contact et d’interactions. Et surtout, je suis persuadée que nous avons besoin de personnes prêtes à exposer leurs blessures et leurs échecs. On ne peut pas, j’insiste, on ne PEUT PAS continuer comme ça, en acceptant et en nourrissant malgré nous un système qui abîme autant de gens, sans en parler à voix haute. On ne peut pas laisser les gens seuls face à leur souffrance silencieuse. On ne peut pas laisser tout l’espace de parole occupé par une voix unique qui répète inlassablement que tout va bien. Car non, tout ne va pas bien. Le mal-être qui imprègne le monde du travail est palpable.

Parler contribue également à lutter contre le déni : cela fait des décennies que le monde du travail et le concept d’emploi n’a pas évolué d’un iota, alors qu’Internet secoue tous les aspects de nos vies. En tant que salarié-es (ou même indépendant-es), nous acceptons toujours le même fonctionnement qu’il y a trente ou quarante ans. En tant que dirigeants, leaders, managers, nous nous trouvons souvent démuni-es devant le mal-être de nos équipes, et ne nous autorisons pas à voir notre propre souffrance, trop occupé-es à remplir nos rôles. Le point commun à managers et salarié-es est que nous blâmons systématiquement l’individu, sans avoir la force, l’empathie (ou parfois l’ouverture d’esprit) de voir plus loin. “C’est parce qu’il a trop de projets en dehors du boulot, c’est parce qu’elle ne sait pas gérer son temps, untel ne sait pas communiquer, une-telle devrait faire du yoga, ça l’aiderait”. Non, la souffrance est trop globale, trop étendue pour qu’elle ne se règle qu’à coups de cours de Zumba, ou avec un module e-learning de “sensibilisation sur le stress au travail”. Elle est trop complexe pour n’être que de la responsabilité des individus, quels que soient leurs rôles dans l’entreprise. Parler contribue à ouvrir les yeux de celles et ceux d’entre nous qui ne veulent pas vraiment voir ce qui se cache derrière le voile. Parler contribue à lutter contre la peur de l’après, la peur nourrie par les « on a toujours fait comme ça ». On ne peut simplement plus faire “comme ça”, et il va falloir faire avec. Nous n’avancerons qu’en étant radicalement intransigeant-es avec le burnout et la souffrance au travail, pas avec les individus.

Alors parlons.

Aujourd’hui, nous sommes tous deux persuadés que le partage est l’une des clés de la guérison du burnout. Il y en a d’autres, et le partage ne saurait être la seule. Mais il est capital que la parole de chaque personne souffrant de près ou de loin du burnout puisse trouver un environnement accueillant, bienveillant pour être écoutée. Il est capital de développer l’empathie, cette empathie qui manque cruellement au “monde de la tech”. Il est capital de mettre les gens en relation pour que chacun-e puisse se nourrir des histoires des autres et se sentir moins seul-e. L’empathie, la vulnérabilité, le besoin de sens sont dorénavant des constantes de notre époque charnière. À nous de les valoriser à travers nos prises de parole.

Vous souhaitez nous aider ? C’est très simple : rejoignez l’armée des gens qui acceptent leur vulnérabilité, qui exposent leurs blessures. Rejoignez le mouvement de ceux qui vont écrire, parler, agir au quotidien pour dire “non, je ne fais définitivement pas partie de ce monde, je suis un pingouin bloqué sur la banquise, et s’il n’y a pas de mer au delà pour que je puisse nager à mon aise, alors je vais chercher une piscine où je me sentirai moi-même”. Que vous soyez salarié-e, manager, dirigeant-e, au chômage, au foyer, exprimez-vous. Cherchez les vraies raisons derrière la frustration, la souffrance, les propos secs des gens de votre entourage, demandez-vous s’ils ne sont pas simplement en souffrance, s’ils n’ont pas besoin de parler eux aussi, et ouvrez-leur un espace de dialogue bienveillant.

Dans les mois qui viennent, Goulven et moi allons donner forme à un projet qui nous tient à cœur : notre volonté est de mettre à votre disposition une plateforme dédiée aux témoignages, un espace d’expression autour du burnout et de la souffrance au travail. Nous souhaitons mettre les gens en relation, développer l’empathie et la bienveillance, permettre à ceux qui vont mal de trouver un petit refuge de compassion et de compréhension. Par extension, nous souhaitons rassembler des ressources utilisables par tous : textes de lois, contacts, associations, livres, vidéos... Et nous sommes persuadés qu’au fil des témoignages, d’autres usages se révéleront.

“Stay tuned”, comme on dit dans notre jargon de communiquants ! Et en attendant, n’hésitez pas à nous faire part de votre propre expérience du burnout, dans les commentaires de ce billet ou par tout autre moyen de communication :)

Et surtout… prenez soin de vous !

Liens et références

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Marie-Cécile Godwin Paccard
Burnout : rallumons la flamme !

UX Designer, facilitator, speaker. Let's talk about inclusive design, society, ethics, collapse and burnout - author on @guerirleburnout @commonfutures #FR #EN