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Témoignage : “un burnout sévèrement burné”

Guérir le burnout
Burnout : rallumons la flamme !
10 min readAug 29, 2016

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Nous accueillons aujourd’hui la contribution de Guillaume, lui aussi rescapé du burnout, et son témoignage personnel poignant et plein d’espoir.

Mon témoignage s’adresserait à ces gens dans l’oeil du cyclone, mais je pense parler aussi à ceux qui les côtoient, à ceux qui en sont proches, ceux qui pourraient s’inquiéter de voir un frère, une soeur, un ami, une amie sombrer lentement dans la maladie.

Il est difficile de toucher les gens atteints pour les aider à prendre conscience, car la maladie n’est pas bien reconnue par le corps médical (t’as mal au ventre ? ça doit être le stress, prends du Xanax). Pas de diagnostic concret et officiel pour réveiller ce proche en pleine descente.

Mon témoignage pourrait donner quelques pistes pour détecter des symptômes, et vous aider à comprendre le vécu des personnes en burnout.

La piste vers le burnout

Je suis designer, en CDI, en freelance, et entrepreneur.

J’ai toujours combiné plusieurs vies professionnelles : le CDI la journée, le freelance en mode soir et week-end, les projets perso sur mon « temps libre », les hackatons le week-end, les meetups certains soirs. J’ai une culture du travail enseignée par mon père qui, très tôt, s’est habillé du costume de l’entrepreneur, artisan pour des grands comptes, qui a travaillé de cette même manière, construisant une entreprise à la sueur de son front.

Pour être complètement transparent avec vous, je préfère dire que je n’ai rarement toléré ni répit ni repos. Le travail bien fait et des clients contents sont une grande source de satisfaction d’une part, et venant d’un endroit où on se tire plus vers le bas qu’autre chose, avoir du travail et arriver à le rendre prospère est une chose très importante.

À l’époque de mon burnout, je ne savais pas encore dire non quand on me proposait du travail. (pour info c’était du travail bien payé, donc l’argent n’a rien à voir dans le burnout que j’ai vécu).

L’escalade

Il y a quelques années de cela, je m’imposais encore ce rythme effréné. J’ai commencé à moins voir mes proches, je gardais un mode de vie nomade, à bouger vers les points d’activités (travail, soirées …). J’ai commencé à entendre des remarques du type « il faut prévoir 3 semaines à l’avance pour te voir ! » « le planning de Monsieur le Ministre est plein » etc. J’en riais mais j’étais le seul à en rire. Je dormais 3 / 4 heures par nuit, j’enchaînais, et ce côté « warrior » secouait mon adrénaline et mon ego.

Ce besoin de repousser les limites, de gagner de nouveaux projets, d’en vouloir et d’en faire toujours plus me dévorait littéralement. Rien de malsain : c’est le chemin de la réussite. J’ai été sportif et j’avais la même façon de faire : toujours en faire plus pour faire un chrono, battre un record. Sauf qu’en étant sportif, la blessure est concrète. Un tendon ou un muscle qui se déchire t’empêche de courir.

Une blessure au cerveau est indolore, on ne la remarque pas. Elle devrait te faire arrêter d’essorer ton cerveau comme une éponge, mais tu ne la détectes même pas.

Et tant que mon état physique tenait, je continuais et j’en faisais plus. On a tendance à mélanger état physique et état mental…

Et soudain c’est le drame …

J’ai commencé à enchainer des toux, des rhumes, des petites maladies sans incidence mais qui restaient là tout au long de l’année. C’était mes nouveaux amis. Je ne faisais pas le lien avec mon état. Après tout, au boulot tout le monde vient bosser même en étant malade, je pensais que j’attrapais juste des microbes, ici ou dans le métro et autres nids à bactéries. Et puis, pas le temps d’aller chez le médecin : on a toujours mieux à faire que de prendre soin de soi. Le travail est plus important. Il y a ce culte du “warrior en agence” qui survit à coup de paracétamol, peu importe qu’il soit malade ou non. Et il va me dire quoi que je ne sache pas déjà, le médecin ? Hein ? Donc automédication (fin de l’humilité).

J’étais toujours à 3h de sommeil par nuit et faisais souvent une sieste de 15 minutes le midi, où je sentais mon corps et mon esprit sombrer d’un coup. Je commençais à entendre de la part de proches ou de collègues « dormir c’est important » « tu vas devenir fou ». Je répondais tout simplement : « je dormirai quand je serai mort » (fin de tout raisonnement logique).

J’ai commencé à être assez agressif. Je le suis de nature, plutôt impulsif et explosif, mais ce train de vie exacerbe toutes les travers négatifs qu’on peut avoir. Très vite agacé par des situations « quotidiennes », des gens que, en temps normal j’aurais tenu à l’écart, je me mettais à leur rentrer dedans sans retenue, avec un langage fleuri et une certaine agressivité. Lorsqu’on me le faisait remarquer, je répondais que je n’étais pas là pour me faire des amis, que je n’aimais pas les incompétents (fin de la courtoisie et d’une partie de ma vie sociale).

La suite logique c’est que je me suis mis à juger les gens, je les rangeais dans des cases, et je devenais méprisant, en parlant sur le dos de certaines personnes (fin de la remise en question).

Le plus fatiguant finalement, hors fatigue physique, c’est le fait d’être contacté constamment, des mails, des textos, des demandes de devis, des modifications, des participations à des événements, etc. Être constamment sur son smartphone, faire 3 tâches simultanément. C’est un cercle vicieux, plus on en fait, plus on a besoin d’en faire (fin de la concentration).

EN fait, cela faisait un moment que je ne faisais plus de sport (fin de la conscience du corps et de l’attention envers soi-même).

Dans la tempête

J’y ai laissé une femme qui ne me voyait jamais. Quand elle me voyait, elle ne voyait pas grand chose d’intéressant, finalement. Étonnant que ça soit moi qui me soit séparé d’elle et non l’inverse.

J’avais encore des amis, que je ne voyais pas souvent, qui me comprenaient, donc qui me trouvaient toutes les excuses possibles : “tu es courageux, tu veux t’en sortir, c’est tout à ton honneur, etc. Mais tu devrais faire plus attention à toi et tu devrais aussi profiter de la vie car elle te file sous le nez…”

Je rencontrai une femme qui deviendrait plus tard ma femme et la maman de ma fille. Où ? Bin dans un hackathon, forcément !

Et dans cette tempête s’ajoutèrent des orages : des demandes de modifications plus fréquentes, des mécontentements et des retards dans le travail. Un sentiment fréquent de travail non achevé, également. On peut toujours s’améliorer et la caractéristique principal d’un designer est sa propre remise en question. Je suis content d’un travail sur le moment, plus le temps passe et moins j’en suis content : c’est la preuve que je m’améliore. Mais dans ce cas-là, je parle d’une régression : la qualité du travail dégringolait car ça faisait 2 ans que j’étais bloqué sur ce train de vie éreintant.

J’avais de moins en moins de contrôle sur mon travail, donc je n’avais plus le dessus pour guider le client vers la réussite d’un projet. Le client prenait le dessus, me faisait sentir qu’il avait besoin de mes compétences et de quelqu’un de confiance, et prenait ce rôle lorsqu’il n’y avait rien en retour. Je n’avais aucune force pour reprendre le dessus et être force de proposition. Je m’énervais et je niais tout en bloc. Un projet réussi donne toujours de l’énergie pour repartir et il y en avait toujours un de temps en temps, donc je stagnais dans cette situation, jusqu’au dégout de mon propre métier car j’avais plus d’échecs que de réussites.

Le déclic

Un week-end, je décide de couper un peu du travail (j’en rigolais, en disant : “je prends des grandes vacances”).

Ma femme avait un mariage en province, j’étais également invité. Ordinateur sur les genoux pour travailler en voiture : 3h de route, c’est 3h de travail. Je n’arrivais pas à me concentrer. Je commençai à être malade en voiture (une grande première) et je me sentais terriblement énervé. Je regardais sans cesse mon téléphone. Je commençais à me sentir malade, encore un mal de gorge et un rhume. En arrivant à l’hôtel, j’ai une sorte de crise d’hystérie. Concrètement : mon cerveau ne savait plus où aller. J’annonce à ma femme que je n’irais pas au mariage car je n’en avais pas la force. Engueulade normale et grosse déception pour les mariés... Je pense que c’est la dernière étape du burnout pour moi : encré dans mes habitudes répétées inlassablement, j’ai subitement peur et je fuis.

Je m’endors. Je me réveille le lendemain : je sors de la chambre d’un petit hôtel en bois, et je me retrouve dans la nature, il y a du soleil, des arbres, de l’herbe, des feuilles, des insectes, de la vie.

Je ressens subitement le besoin de changer : mode de vie, hygiène de vie, hygiène de travail, tout ! En fait, cette dernière étape en forme de crise m’a fait réaliser que plus rien n’avait de sens.

Bon ! On recommence, mais en mieux !

Du jour au lendemain, j’ai repris le pouvoir sur mon mode de vie. J’ai décidé de refaire du sport, de voir des amis au moins une fois par semaine et le samedi soir.

Je m’impose 6 heures de sommeil par nuit.

Je fais le tri dans mes relations, dans mon boulot : je délègue les travaux qui ne m’enrichissent pas à d’autres designers, je ne garde que les projets qui font grandir, et les clients avec qui la relation est proche de celle qu’on peut avoir avec un ami : confiance, langage commun, transparence. Je dégage les clients qui n’écoutent pas les conseils et recommandations, qui ne respectent pas les horaires d’activité.

J’ai repris le dessin, l’illustration, l’écriture.

J’ai commencé à planter et prendre soin de plantes, fleurs, et j’ai même récolté quelques tomates, poivrons, et avocats. Ça m’apporte une grande satisfaction et ça aide à se sentir mieux.

J’ai stoppé en parallèle la nourriture pourrie (McDo, KFC, bouffe industrielle, sucreries en tous genres), les sodas et autre boissons contenant une dizaine de sucres par gorgée. Bref je consomme mieux et plus sainement. Je me rapproche des modes de vie traditionnels, quand l’homme vivait en harmonie avec son environnement, quand il prenait le temps de faire et de penser.

Ce fut l’opportunité pour moi de découvrir la méditation et de me recentrer et m’améliorer. Je m’impose d’aller dehors, prendre le soleil, la pluie, faire vivre beaucoup plus mes sens.

J’applique également mes méthodes de travail (agile) sur moi-même : l’amélioration continue, des rétrospectives personnelles régulières. J’ai repris confiance en moi, je suis en meilleure forme, je ne suis pas retombé malade depuis.

Je me suis focalisé sur des projets qui ont un sens, qui ont un but social. En tant que designer, on travaille notre empathie pour comprendre les autres, et on la met à profit pour comprendre nos utilisateurs. En plein burnout, on est dénués de toute empathie, ce qui ne facilite pas la collaboration ni la communication avec les autres corps de métier et les clients.

Je passe un peu de temps à gérer mes priorités, faire un peu de nettoyage dans toutes ces activités chronophages qui ne m’apportaient rien (les jeux « mobile-caca » par exemple, les « séries-dodo » également).

Quoi de neuf depuis ?

Ce changement s’est étalé sur plusieurs semaines, et le résultat a été quasi immédiat. C’est maintenant que j’aime en parler, car ça fait 3 ans que j’ai changé ma vie, et je ne suis pas tombé malade une seule fois depuis. J’apprends beaucoup de choses sur moi-même, qu’elles soient nouvelles ou enfouies dans un passé lointain.

Je vois un peu plus mes proches et je prends plus le temps de vivre. Je suis plus à l’écoute de mes sensations, donc quand je tire trop sur la corde, soit je le sens et je fais en sorte de passer par une période de calme, soit mon corps me le fait comprendre par un rhume qui passe, ou un coup de fatigue.

J’évangélise un maximum autour de moi sur le fait qu’il faut un bel équilibre de vie, se rapprocher de la nature. Aucun animal ne se laisse aller, aucune plante ne souffre d’obésité, ou de vie déviante, encore moins de burnout. Donc s’inspirer de la nature, comprendre comment fonctionnent les éléments entre eux pour trouver sa place et vivre de manière équilibrée.

Si un de vos proches est dans cette situation, il n’en parlera pas forcément de lui même, car il aura peur d’être jugé incompétent, incapable.

Le plus difficile est d’en parler car on a souvent honte de ne pas être à la hauteur. Je suis le premier à me juger faible quand je n’arrive pas à atteindre le niveau d’exigence que je me suis imposé. Je pense que c’est une des causes qui m’ont mené jusqu’au burnout. Si un de vos proches est dans cette situation, il n’en parlera pas forcément de lui même, car il aura peur d’être jugé incompétent, incapable. Et sortir quelqu’un d’un burnout peut prendre du temps. Il faut l’accompagner à en sortir, et le changement ne pourra venir que de la personne, pas de son entourage.

Une personne seule a toujours des difficultés à voir s’il y a du sens ou non dans ce qu’elle fait. On est tellement enracinés dans des habitudes grotesques : manger rapidement et n’importe quoi, être sollicité constamment par de la pub, par les médias, jeter tout par la fenêtre sans se soucier de que ça va devenir, s’agglutiner aux gens au lieu d’attendre le prochain train, se jeter sur son téléphone au lieu d’observer ce qu’il se passe autour de soi, travailler avec des gens dans le même cadre que nous, donc potentiellement des gens qui vont nous transmettre leur impatience, agressivité, ou d’autres cabrioles pour camoufler leur incompétence ou leur mal-être.

En conclusion

Ce week-end précis où je vous raconte mon récit, j’ai décidé de re-prioriser mes activités, car depuis la naissance de ma fille, je suis retourné brièvement par la case burnout. Encore une preuve que je dois comprendre que je ne peux pas tout faire, ou en tout cas plus faire comme avant. Je dois laisser des activités de côté, ou les caser le midi pour avoir du temps pour ma fille le soir. Car si je ne prends pas le temps d’être au top pour moi-même avant tout, je ne pourrais rien transmettre à mes enfants comme je le souhaite :)

Vous avez des questions à poser à Guillaume ? N’hésitez pas à lui en faire part dans les commentaires ci-dessous, il se fera un plaisir de vous répondre à travers nous.

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