De quelques grands menteurs dans l’histoire

Bobards et contrevérités ont toujours fait partie de la panoplie de ceux qui nous gouvernent. Tour d’horizon de quelques mensonges d’ampleur qui ont bouleversé le cours de l’histoire.

Roscoff Quotidien
Cahier de brouillon
11 min readAug 3, 2013

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Le mensonge est devenu l’ordinaire du scandale médiatique. Pourtant, il surprend encore. Comme si nous étions convaincus que la vérité était le cœur de la politique pure. Or, déjà dans la Grèce ancienne, Platon dans son œuvre centrale, la République, écrite vers 372 avant notre ère, jugeait que le mensonge devait être banni de la cité et réservé aux seuls dirigeants : eux avaient le droit de faire croire aux citoyens qu’ils étaient vraiment nés de la terre de leur cité.

DES ERREURS ENSEIGNÉES DANS LES ÉCOLES

Disciples inconscients de Platon, tous les tyrans ont menti tyranniquement. Staline en la matière a battu des records. Il fait récrire complètement l’histoire, effaçant les personnages qui le dérangent et les remplaçant par d’autres imaginaires. Le suicide de sa femme, il le camoufle. Il faut relire les actes d’accusation des victimes des procès de Moscou, entre 1936 et 1938. Le procureur Vychinski, qui agissait directement sous ses ordres, accusait par exemple deux dirigeants bolcheviks qui s’opposaient à Staline, Zinoviev puis Boukharine, d’espionner au profit des nazis. Vychinski mentit même aux condamnés sur leur sentence de mort, pourtant immédiatement exécutée.

Quand s’abattait la disgrâce, les bureaucrates inventaient les crimes conformes à la volonté du chef pour liquider les plus zélés serviteurs : Kirov ou Iejov, organisateurs de la terreur, ont eux-mêmes subi cette violence métallique. Après la guerre, ce fut au tour des médecins et des juifs accusés d’avoir assassiné son cher Jdanov, plus vraisemblablement mort à cause de son alcoolisme.

Menteur, Hitler ne le fut pas moins, qui clamait à son peuple ne pas avoir voulu la guerre, alors qu’il montait sans cesse des agressions contre les nations voisines. A-t-on oublié qu’il fut le commanditaire de la fausse attaque d’un poste radio frontalier allemand par de misérables détenus, tout droit tirés d’un camp de concentration, vêtus d’uniformes polonais et exécutés sur place, pour servir de pseudo-agresseurs étrangers et fournir ainsi un prétexte à l’invasion de la Pologne ?

Le Premier ministre de la tsarine Catherine de Russie lui faisait visiter de faux villages, les dirigeants soviétiques, eux, faisaient concocter de fausses statistiques. Ce qui explique que, d’un coup, l’Union soviétique, puissance dominante, apparut nue, dans les années 70-80, quand les vrais chiffres de la production industrielle furent révélés. Tout un monde de bureaucrates menteurs était rattrapé par le réel.

Mais les menteurs ont également proliféré dans les démocraties. Un coup d’œil sur les manuels de la IIIe République soulève une interrogation : pourquoi certains mensonges étaient-ils vantés aux écoliers ? Deux exemples royaux sont présentés de façon positive afin d’exalter leur sens civique. Le premier venait de Louis XI. Victime d’un piège tendu par le duc de Bourgogne, à Péronne en 1468, il avait accepté un traité diminuant sa puissance. Revenu à la liberté, après deux ans de saine réflexion, il avait dénoncé le pacte et put ainsi reprendre l’extension du royaume. Il avait menti, certes, mais pour la grandeur de la France.

FRANÇOIS IER AUSSI, MAIS POUR LA PATRIE

Le deuxième exemple concernait François Ier. La légitimité de son mensonge était encore plus nette. Ce roi fait chevalier par le preux Bayard était un modèle. Or, le malheureux souverain avait été capturé lors de la défaite de Pavie, le 24 février 1525, et emmené en détention à la cour de Charles Quint, son mortel ennemi. Après un an de tergiversations, il concédait une paix calamiteuse et était libéré contre deux de ses fils. Revenu en France, François Ier s’empressait de dénoncer le traité, obtenant même le soutien du pape pour rejeter cet accord extorqué par chantage.

En somme, mentir sous la contrainte était parfaitement juste, surtout au service de la patrie. Telle était la leçon apprise par les jeunes gens. Comment s’étonner, alors, que les mensonges du ministre de la Guerre et de l’Armée pendant l’affaire Dreyfus, en 1894 puis en 1899, aient été considérés comme légitimes par une large fraction de la population française ? Maurras, le chantre des nationalistes monarchistes, allait jusqu’à exalter la nécessité du «faux patriotique» établi par le colonel Henry pour faire accuser le capitaine Dreyfus. L’occasion était trop grave pour tolérer la vérité, devait-on conclure.

Au XVIIe siècle, un écrivain espagnol et jésuite, Baltasar Gracian, affirmait que l’art de la dissimulation et du mensonge était indispensable à la survie dans une cour. Les Français avaient bien compris la leçon, au point qu’ils avaient la dissimulation et la ruse chevillées au corps.

Parmi les plus doués en ce domaine demeure le cardinal de Retz, Gondi, dont le portrait peint par Alexandre Dumas ne rend pas la finesse des analyses dévoilées par ses Mémoires. Gondi y explique comment il se fabrique une image populaire, avant de s’imposer aux élites et de changer progressivement d’attitude pour gagner les cœurs et les charges. Il sera l’âme de la Fronde, en 1650, l’un des rares moments où le peuple et les grands ont pensé prendre le pouvoir des mains du roi, plus d’un siècle avant la Révolution française.

Cette tradition du menteur politique était vouée à une belle descendance. Au point que nous lui devons quelques bons mots. La marquise de Pompadour, par exemple, avait lâché tranquillement : « La vérité agace plus que le mensonge. » Plus tard, Talleyrand ajouta : « Le mensonge est une trop bonne chose pour qu’il soit permis d’en abuser. »

EN BANDES ORGANISÉES

Disciple du cardinal de Retz, le général de Gaulle devait fonder la Ve République sur une remarquable volte-face. N’avait-il pas donné tous les gages aux Français d’Algérie dans son discours d’Alger le 4 juin 1958 : « Je vous ai compris » ? Pourtant, il pensait déjà devoir abandonner l’Algérie à moyenne échéance. De Gaulle était-il pour autant un strict menteur ?

D’autres figures sont plus tentantes. Laissons de côté François Mitterrand avec la trouble affaire de l’Observatoire, les fausses déclarations sur le nombre d’adhérents à la Convention des institutions républicaines, ses dénégations sur son passage à Vichy, ses trous de mémoire sur la francisque, son silence sur les indélicatesses financières de son entourage, le mensonge par omission (légitime ?) sur l’existence de sa fille, les écoutes pour la protéger, les activités douteuses de sa garde élyséenne…

Arrêtons-nous un instant sur son ami, Charles Hernu, oubliant de signaler sa participation active au régime de Vichy, ses liens avec des officiers traitants soviétiques, et regardons ses dénégations sur l’affaire du Rainbow Warrior, le sabotage du navire de l’organisation écologiste Greenpeace, en 1985. Puis la reconnaissance de sa responsabilité et sa démission. Le menteur avait été mis à nu. Avait-il agi sur ordre ?

Et si les menteurs allaient en bande, les plus puissants traînant les autres ? Le scandale du Watergate illustre la logique de mensonge en bande organisée. Le président Nixon était un grand menteur. Un de ceux qui regardent droit dans les yeux les téléspectateurs et leur déclare tranquillement qu’il n’est pour rien dans les cadeaux qui lui sont offerts et que les pots-de-vin dont on l’abreuve n’exercent aucune influence sur ses décisions. Il trouve même l’anecdote qui attire la sympathie quand il s’adresse aux électeurs américains, lors d’une émission télévisée le 23 septembre 1952, en pleine révélation sur ses louches donateurs.

Très détendu, il raconte : « Un Texan avait entendu ma femme dire à la radio que nos deux enfants voulaient un chien. Et, croyez-le ou pas, la veille du départ de notre voyage de campagne, nous avons reçu un message de la gare de Baltimore disant qu’un paquet nous attendait. Nous sommes allés le chercher. Et vous devinez ce que c’était. C’était un petit cocker. Et notre petite fille de 6 ans, Tricia, l’a appelé Checkers. Et vous savez, les enfants, comme tous les enfants, aiment le chien, et je veux juste ajouter cela maintenant : quoi qu’on en dise, nous allons le garder. » Richard Nixon émeut l’Amérique, sauve ainsi son ticket présidentiel avec Eisenhower et parvient à être élu vice-président.

«EH BIEN, JE NE SUIS PAS UN ESCROC»

Vingt ans plus tard, il revient à nouveau devant les téléspectateurs pour tenter de se disculper des accusations à propos de la pose illégale de micros au siège du Parti démocrate (l’immeuble du Watergate). Il doit aussi affronter le scandale de son vice-président Agnew, contraint à la démission pour avoir pratiqué l’évasion fiscale…

Or, le 17 novembre 1973, grâce à une émission télévisée, il reprend de nouveau l’initiative en lâchant cette phrase : « Les gens ont le droit de savoir si leur président est un escroc ou pas. Eh bien, je ne suis pas un escroc. J’ai gagné tout ce que je possède. » Finalement, trop de mensonges et de dénégations lui firent perdre son crédit. Au regard de la postérité, il reste un menteur, on en oublie son action en faveur d’une détente avec la Chine.

C’est d’ailleurs de Chine, plus précisément de Formose, que prétendit venir le plus étonnant menteur de l’histoire mondiale. Son vrai nom est aujourd’hui encore inconnu. Il conserve seulement celui que lui avait donné son plus fervent protecteur, un pasteur écossais, William Innes : George Psalmanazar, pseudonyme composé à partir d’un nom biblique. Car Innes se glorifiait d’avoir converti au christianisme ce prétendu païen, qui ne connaissait Formose que par la lecture d’un livre. Cela n’empêcha pas ce Psalmanazar de prétendre être le premier habitant de l’île à visiter l’Europe.

LA MÉTHODE : TOUJOURS SURENCHÉRIR !

En 1703, le faux « sauvage » débarqua à Londres, décidé à incarner son rôle en mentant sans vergogne. Son imposture dura plusieurs années, lui valant grâces et pensions de seigneurs du royaume qui trouvèrent même dans les attaques dont il fut l’objet de la part d’un jésuite revenu de Formose une raison supplémentaire de le soutenir, tant la haine de la Compagnie de Jésus fédérait une large partie de l’opinion britannique.

Psalmanazar écrivit un livre sur son supposé pays d’origine. Il inventa une langue qu’il était seul à parler, un alphabet, et décrivit des animaux imaginaires sans se troubler quand ses propres inventions étaient illogiques. Sur le tard, alors que l’intérêt pour sa personne retombait, il donna des indications sur sa façon de mentir : il fallait toujours surenchérir. D’autres impostures eurent moins de fortune, comme celle de cette femme du Devonshire qui se fit passer pour une princesse caraboo, originaire de l’archipel de Java. Elle finit sa carrière dans le music-hall : le public au XIXe siècle aimait les curiosités.

DES FAUX QUI ONT CHANGÉ L’HISTOIRE

Spectaculaires, ces menteurs presque mythomanes paraissent peu de chose au regard de l’histoire. Toutefois, quand leur action raconte une véritable crise politique et morale, les conséquences se révèlent considérables. Le Protocole des sages de Sion est un faux, mais il constitua la base de l’antisémitisme moderne. Une fausse attaque de « vedettes » nord-vietnamiennes dans le golfe du Tonkin, inventée par les Américains, permit aux Etats-Unis d’intervenir massivement dans la péninsule indochinoise. Jeanne d’Arc a-t-elle, sur les conseils de Yolande d’Aragon, «imaginé» ses voix ? Elles n’en contribuèrent pas moins à changer le cours de l’histoire.

Autre exemple : Stavisky, petit escroc flambeur investi dans les affaires, déclenche par sa mort, en décembre 1933, un séisme politique qui, après l’émeute du 6 février 1934, fait tomber le gouvernement et monter l’extrême droite. Ses descendants, tel Madoff, n’ont pas tous eu la même influence. On peut le regretter. Au moins, quand les escrocs mentent, cela fait partie de leur profession. Quand les journalistes mentent — et Dieu sait que certains d’entre eux, pendant la guerre d’Algérie par exemple, ont menti -, cela est censé constituer un attentat contre leur propre profession.

Vous seriez fâchés d’apprendre

On serait sans doute fâché d’apprendre que le fameux testament de l’empereur Constantin est un faux, et que, à la fin de sa vie, il n’était pas chrétien, mais schismatique arien.

Que Clovis, après son baptême, fit assassiner ou assassina lui-même l’essentiel de sa parentèle à coups de hache.

Qu’il n’y eut que deux chevaliers français tués à la bataille de Bouvines.

Que la plupart des Arabes arrêtés par Charles Martel à la bataille de Poitiers n’étaient pas arabes, qu’ils avaient été appelés en renfort par des princes chrétiens, qu’il ne s’agissait que d’une tentative de razzia, et qu’il n’y eut pas vraiment de bataille…

Que l’une des saintes qui parla à Jeanne d’Arc n’a jamais existé et fut inventée par l’Eglise.

Quelques énormes bobards idéologico-guerriers

1914

La guerre sera brève, fraîche et joyeuse

«L’ennemi à bout de souffle». L’Intransigeant, 29 septembre 1914. En fait, les Allemands ont perdu une bataille (la Marne), mais la guerre ne fait que commencer.

«Les Cosaques à cinq étapes de Berlin».

Le Matin, 24 août 1914

L’Allemand est un ruminant

Brochure patriotique, 1914. Les Drs Beauvisage et Capitan affirment que la consommation excessive de pommes de terre entraîne chez les Allemands un «développement anormal de leur intestin, ce qui l’a ramené au type d’intestin des bovidés».

L’Allemand pue

Les mêmes auteurs constatent chez l’Allemand des «sécrétions sudorales dont la puanteur rappelle à la fois le tan pourri, la punaise des bois, la peau de bique mouillée et le cirage».

1916

Verdun, une promenade de santé

Février 1916, après Verdun, l’Echo de Paris affirme : «Nos pertes ont été relativement minimes.» D’ailleurs, nos poilus avaient la belle vie : «Les caves de Verdun étaient plutôt confortables — chauffage central et électricité, s’il vous plaît -, et on ne s’y ennuyait pas trop.»

1927

Un exploit français, la traversée de l’Atlantique

«Nungesser et Coli ont réussi».

Sous-titre : «A 5 heures, atterrissage à New York». La Presse, 9 mai 1927.

Et le quotidien de décrire l’atterrissage sur l’eau devant New York et la foule en liesse entourant les héros sur la 5e Avenue…

En fait, l’avion de Nungesser et Coli s’est écrasé en mer, probablement au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.

1939

Hitler : une baudruche !

«Croque-mitaine se dégonflera.»

Paul Claudel à propos d’Adolf Hitler.

«Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.» Paul Reynaud, président du Conseil.

1940

Les Allemands l’ont dans le chou

«La bataille s’engage dans les conditions les plus favorables».

L’Epoque, 11 mai 1940.

«Les zones prises par les Allemands sont en général celles qu’il avait été délibérément décidé de leur abandonner.»

L’Action française, 18 mai 1940.

Union soviétique

Le pays du mensonge déconcertant

«Nous avons inventé le mensonge communiste. Les responsables locaux nous envoient des rapports qui embellissent la réalité.» Lénine, septembre 1920.

«L’homme, le capital le plus précieux.»

Joseph Staline, 4 mai 1935. Discours aux élèves de l’académie militaire, futurs officiers qui ne survivront pas tous à la purge Toukhatchevski de 1937.

LA FAUSSE VICTOIRE DE MARIGNAN

Marignan, 1515. Grande victoire emportée par François Ier sur les soldats suisses. En fait, le 13 septembre de cette année-là, les piqueurs suisses, qui se battaient pour le compte du duc de Milan, attaquèrent, effectivement, les troupes françaises à Marignan, mais les enfoncèrent. Ils avaient gagné la bataille lorsque… l’armée vénitienne, alliée de la France, les prit à revers. Ils tinrent bon cependant et, les Français ayant subi trop de pertes pour les poursuivre, ils purent se retirer en bon ordre. C’est pour compenser le désastre de Pavie que Marignan fut transformée en grande victoire !

QUAND NAPOLÉON RÉÉCRIVAIT LA RÉALITÉ

Bonaparte, et plus encore quand il fut devenu Napoléon, trouva un bon moyen de se mettre la «réalité» dans la poche. Patron de fait de tous les journaux, c’est lui-même qui relatait les événements qui le concernaient. Et, en l’occurrence, aucun mensonge ne le faisait reculer. Ainsi, l’épisode du pont d’Arcole est totalement faux. En vérité, il tomba dans l’eau et ses troupes durent reculer. De même se fait-il peindre franchissant le col du Grand-Saint-Bernard sur un cheval fougueux, alors qu’il chevauchait un baudet. Il transforma des semi-défaites en victoire (par exemple, la bataille de la Moskova) et fit en sorte que des atrocités qu’il avait lui-même encouragées, comme en témoignent des lettres à ses frères, ne soient jamais rapportées.

Pourquoi le putsch du général Malet faillit-il réussir ? Parce que, pour la première fois, le Bulletin de la Grande Armée avait dû admettre, entre les lignes, que la retraite de Russie se passait très mal. En revanche, contrairement à ce dont tout le monde est convaincu, la bataille de la Bérézina fut une victoire de Napoléon.

Source : Marianne http://www.marianne.net/De-quelques-grands-menteurs-dans-l-histoire_a230713.html

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