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Comment le Design Thinking peut aider les politiciens à redescendre sur Terre ?

Des pains au chocolat à 15 centimes ? L’écart entre la réalité et le monde politique est devenu indescriptible tellement il est béant. Et, pourtant, le design thinking peut et va diminuer cet écart entre politique et citoyen.

Le constat est bien triste que celui du politicien qui a été élu pour qu’il nous représente et qui ne comprend pas les problèmes auxquels nous sommes confrontés. L’élite, comme elle aime s’appeler, nous donne ce sentiment d’un manque de réalisme, de connexion avec le monde, tel que nous le vivons, celui auquel nous sommes confrontés et qu’ils semblent ne pas connaître. Comment expliquer ce fossé ? Faut-il vraiment qu’ils fassent des études pour entrer en politique ? Comment ces gens, formatés à devenir de parfaits politiciens, qui restent entre eux, ne communiquent qu’entre et pour eux sans jamais s’intéresser aux problèmes réels des citoyens, peuvent, ne serait-ce que prétendre une seule seconde, représenter ces derniers ? Et je ne parle pas de lire ou d’écouter les problèmes de M. ou Mme Tout le monde. Je parle d’être réellement confronté personnellement aux dits problèmes. D’avoir la véritable valeur des choses et du travail pour pouvoir en parler … Et si le design thinking pouvait, comme il le fait déjà dans certains pays, aider la politique à véritablement comprendre l’électorat ?

Vous avez dit design thinking ?

Tout d’abord, intéressons nous à ce qu’est le design thinking. En résumé, le design thinking est l’ensemble des méthodes qui vont permettre de répondre aux problèmes (souvent inconscients) de l’utilisateur final.

En d’autres termes, on part des problèmes de cet utilisateur pour lui proposer un service adapté, un produit répondant à sa problématique. Néanmoins, ça n’est pas une solution miracle. Il ne suffit pas d’appliquer chaque étape à la lettre pour que cela fonctionne. C’est un travail d’adaptation de la situation, qui ne fait pas toujours ses preuves. Cependant, le fait de mettre l’humain au centre du processus permet de se rendre compte de ses difficultés et de pouvoir essayer d’y remédier. Le design thinking est un doux mélange entre empathie et vision. Et c’est là que le designer intervient : il transforme une idée, une vision, parfois inconsciente, parfois précise, en une réalisation tangible.

Le design comme évolution de la politique

La politique, en France, est à tel point différente du design thinking que le mot “politique” devient un antonyme du terme “design thinking”. L’obsession du résultat sans jamais tenir compte du procédé de compréhension des problèmes est devenu normal aux yeux de la classe politique, et pourtant c’est loin d’être le cas.

Cela ne se passe pas ainsi partout dans le monde. En effet, au Danemark, le Mindlab utilise le design pour faire évoluer l’administration de l’Etat. Ce dernier a été créé à l’initiative des Ministères de l’Industrie, de l’Éducation et de celui de l’Emploi . Il a pour but de croiser les “expériences utilisateurs” des différentes catégories de citoyens : entre fonctionnaires et décisionnaires des autorités de tutelle, mais aussi directement avec les entreprises concernées par les politiques publiques. Ce “Lab” est l’illustration d’une des premières tentatives d’innovation par le design dans le milieu politique. Les études du Mindlab sont principalement axées sur les thèmes liés à la facilitation de l’entrepreneuriat, au self-service numérique, de l’éducation et du maintien de l’emploi. Il a par exemple permis de comprendre que les entrepreneurs danois n’arrivaient plus à se retrouver dans les méandres de l’administration. L’Etat a donc ouvert un service pour la population, leur permettant de recevoir des aides pour leur entreprise. De plus, les études menées par le Mindlab ont permis de mettre en lumière le fait que les entrepreneurs n’étaient pas si friands d’obtenir des aides financières de l’Etat, que d’aider ou de se faire aider par leurs semblables. A alors été mis en place par l’Etat danois une plateforme d’échanges adaptée à leurs besoins. Mais le Mindlab, et le Danemark plus généralement, n’est pas le seul pays à s’être intéressé au design thinking. Les Etats-Unis, avec Ideo, ont aussi misé sur “l’utilisateur-citoyen” dans une logique d’innovation sociale. L’Angleterre s’est concentrée sur l’innovation politique avec le GDS (Government Digital Service) ou le Design Council. Le Royaume Uni mise plus généralement sur le fait que le gouvernement n’est pas moins une institution publique qu’une organisation d’aide sociale.

En Suède, c’est la transparence qui est de mise. Vous imaginez une réelle transparence des salaires de nos hommes et femmes politiques en France ? Nous avons décidément encore beaucoup de progrès à faire pour nous mettre au niveau des pays précédemment cités.

Une méthodologie user centric

L’innovation sociale par le design s’appuie sur quatre piliers fondamentaux : les communautés créatives, les réseaux collaboratifs, les sociétés articulant des enjeux locaux et globaux, et les outils émergents de gouvernance. L’innovation sociale par le design est alors liée au design durable, au design de services, au design des politiques publiques. Cette orientation du design implique de nouveaux acteurs et inclut au premier plan les usagers, grâce aux méthodes du codesign, du design thinking, du design d’expérience utilisateur (UX design) et plus largement grâce à la ré-appropriation participative du pouvoir d’agir (innovation ouverte, approches bottom-up, empowerment…). Des projets de codesign commencent ainsi à se développer un peu partout dans le monde, dans lesquels les usagers sont dès le début parties prenantes. En cela, l’innovation sociale par le design comprend une dimension socio-politique par la reconnaissance du pouvoir d’agir des individus et des communautés.

Le MindLab utilise les moyens du design pour impliquer citoyens et agents lors d’ateliers créatifs, mais également des outils provenant de méthodes plus traditionnelles comme l’ethnographie ou les méthodes quantitatives traditionnelles. Leurs missions consistent à comprendre comment les gens travaillent pour les aider à changer leurs comportements ou, au contraire, faire en sorte que leurs outils de travail soient mieux adaptés. Pour ce faire, le Mindlab utilise des techniques de design traditionnelles, utilisées depuis de nombreuses années dans le design produit, mais pas seulement. Si l’on schématise grossièrement leur méthode, elle s’axe principalement de la sorte :

  • Phase de recherche : ils s’intéressent d’abord aux personnes afin de se faire une idée des problèmes qu’elles rencontrent. Ils réalisent donc des études quantitatives mais surtout, et c’est ce qui est le plus souvent oublié, des études qualitative afin d’avoir les réels ressentis des personnes. A partir de ces retours, l’équipe du Mindlab créé des insights et (le plus possible) arrive à effectuer un persona type à qui il va falloir proposer des solutions qui conviennent.
  • Phase de formalisation de l’idée : workshop, prototypage.
  • Phase de test : test sur un panel d’utilisateur afin d’avoir des retours pour améliorer le service.

Mais pourquoi le design semble-t-il être si pertinent dans le domaine public ? Tout d’abord il faut bien comprendre que les personnes qui travaillent au sein de l’Etat, à tous les échelons, ne sont pas mauvaises. Au contraire, nous avons des gens doués dans plusieurs domaines comme la stratégie, la gestion, la planification … mais qui n’ont aucune compétence en matière de conception et d’appréhension des problèmes et des solutions à apporter. La conception même est un processus long de création qui vise à comprendre les rites et pratiques d’un utilisateur pour lui proposer un service adapté. Et malheureusement, les grandes écoles de nos chefs d’Etat et de leurs équipes ne semblent pas l’avoir mis au cursus.

Quel avenir pour la France ?

La France a besoin de mettre ces techniques en oeuvre au service de sa politique dans les délais les plus brefs. En effet, les évènements sociaux qui se déroulent en ces périodes d’élections dans notre pays sont le témoin d’un raz-le-bol des citoyens, qui sentent que leurs réelles préoccupation ne sont pas incarnées par les partis politiques. Les citoyens ne se reconnaissant plus dans leurs élites, soit se désintéressent de la politique, soit se laisse séduire par les extrêmes afin de montrer leur opposition à une administration sourde et aveugle à leurs besoins. Le design thinking pourrait être l’une des solutions, et même la seule solution à ce jour dans la politique de notre pays. On pourrait alors casser cette tendance des français à se tourner vers les extrêmes, que cela soit les extrêmes politiques ou les extrêmes religieux. En effet, l’approche par le design thinking permettrait d’une part aux citoyens de se sentir écoutés et d’avoir une classe dirigeante à son écoute et, d’autre part, aux politiques d’être soutenus par le peuple et de pouvoir ainsi faire de réelles réformes sans avoir à faire face à l’opposition de la rue. Les citoyens seraient plus impliqués en politique car les débats sociaux porteraient sur des problématiques qui leur tiennent vraiment à coeur, car elles émaneraient directement de leur ressenti. Les innovations sociales favorisent donc l’émergence d’une société innovante dont le cœur se situe au croisement de la politique, de l’économie, de l’enseignement et de la société civile.

Et tout cela passe par un renouvellement des moeurs sociales et sociétales. Car il ne suffit pas de faire un bête copier-coller de ce qui marche dans un pays, dans un autre, puis de faire un melting pot des solutions miracles. Non, il s’agit ici d’une remise en question du corps politique dans sa globalité. Et c’est loin d’être acquis car il doit principalement venir … d’eux. Pour faire simple, il faudrait dans un premier temps que l’Etat se rende compte que les institutions publiques sont pour la plupart repoussante et que la signification même de l’Etat est faite pour aider l’individu, et non l’inverse. Il faut le considérer comme une institution d’aide au service de la société.

Et malgré toutes les responsabilités qu’ont les politiciens, le peuple a aussi sa part de responsabilité. Si cela a marché dans d’autres pays, c’est aussi car les origines et l’histoire de ces pays ont un fort attachement à cette culture sociale. La France a encore beaucoup de progrès à réaliser sur l’écoute entre les institutions et le peuple et il existe beaucoup d’opportunités pour créer de l’ouverture, des ponts entre ces deux entités … Et c’est notamment le design qui peut bâtir ses structures.

Aubry-Damon Thomas & Campagne Adrien

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