Amsterdam submergé. Romain Gottero

“Pour une poignée de degrés”

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Mais non il fait pas plus chaud que l’année dernière, c’est normal. T’as de l’eau potable à me dépanner au fait ?

Quelques degrés de plus ou de moins, ça changerait quoi ?”, c’est sur ce postulat que nous avons dérangé Mère nature. Quelques degrés de plus ou du moins, et bien ça déborde. Cette situation ubuesque n’est pas un scénario catastrophe, mais une projection de votre monde tel qu’il est et tel qu’il deviendra s’il continue ainsi. Où que ce soit, on ne parle plus de vivre, mais de survivre. Ceci est le carnet d’un designer en terrain plus qu’hostile.

Je m’appelle Ludwig Vanders, je suis né en 1998 à Amsterdam. Ma vie allait très bien jusqu’à mon diplôme de la Design Academy Eindhoven. Mais je le savais, comme tous les hollandais, que notre pays était otage du réchauffement climatique. ¼ de notre pays était en dessous du niveau de la mer, et le reste à peine plus haut… Après Venise, Los Angeles, Amsterdam a été submergé en une nuit : les rues, les canaux, les gens. Beaucoup sont partis, peu sont restés. La vie n’est pas facile, mais nous y arrivons petit pas par petit pas, litre par litre d’eau assainie, kilo par kilo d’aliments produits.

Je te parle, en toute humilité, comme un homme ayant tout perdu et qui a dû tout reconstruire.

Au début, nos plus grosses urgences étaient l’eau et la nourriture, car les routes avaient totalement disparu sous l’eau. L’État a réagi immédiatement et, après avoir évacué les plus vulnérables, commença à larguer des kits de survie. Ces derniers étaient composés de nourriture et d’eau bien sûr, mais au fur et à mesure, ils y inclurent des panneaux solaires, des filtres à eau et d’air, des kits d’agriculture en espace réduit. Le message était clair : vous retrouverez votre confort d’antan, mais il va falloir mettre la main à la pâte. Car oui, largage étant, les modules les plus imposants étaient à monter soi-même… C’est comme monter un meuble IKEA sauf que si tu perds un visse t’auras pas d’eau potable !

Moi, je me démène comme je peux, je vis en “zone à risque”. Je te présente mes deux super amis : le filtre réutilisable et le récupérateur d’eau par H2O. Ils sont peu loquaces mais extrêmement efficaces quand il s’agit de t’hydrater et de te sauver la peau. Le filtre ressemble à un bouchon avec un mini filtre jaune à l’intérieur de la bouteille. C’est pas sexy, mais ça marche plutôt bien. Je lui préfère le récupérateur d’eau par H20, qui ressemble à une sorte de tour de toiles à la forme ésotérique mais poétique (ce qui est plutôt cool). Il reste plus propre et produit une eau bien plus saine. Je l’ai installé, chez moi, juste à côté d’un courant d’air pour optimiser sa productivité. J’essaye d’en faire profiter les autres résidents, mais tout le monde se méfie. Pollués, acidifiés, dénaturés, l’eau représente un miracle et un danger bactérien, même sous bouteille.

Les sources naturelles ne produisent plus assez et les industriels sont allés trouver l’or bleu ailleurs, dans des zones moins naturelles. Quand les énergies fossiles commencèrent à manquer, l’État, les industries, les entreprises, tous furent inquiétés : “Comment commercer ? Comment voyager ? Comment produire sans ?”. Chacun se débrouilla et innova. L’objectif n’était plus de faire beau & bien, mais cheap & pratique. Des objets en matériaux renouvelables, facilement assemblables et réparables qui s’adaptent à toutes les situations d’urgence. Je peux te le dire, le parcours utilisateur se limite (une fois l’objet monté, bien sûr) à appuyer sur un bouton et à attendre. On n’a pas révolutionné le design, je te le garantis. Durant cette période, quand les ressources manquèrent, l’individualisme frôla l’anarchie. Les gens ne savaient plus quoi faire. On a très vite compris qu’il allait falloir se relever les manches et tout faire nous-même. Une version du do-it-yourself mais post apocalyptique. Au moins maintenant, je suis un expert en montage de panneaux solaires et en bio ingénierie des modules agraires.

De même que l’eau et la nourriture, la production d’énergie de masse est passée à une production personnelle, plus propre. Personnellement, j’ai eu dans un premier temps, un générateur d’énergie solaire modulaire, voyez cela comme des panneaux solaires qui peuvent se déployer et être déplacés très facilement. Très pratique certes, mais je n’aimais pas être dépendant des aléas d’un astre solaire. Je l’ai remplacé plus tard par une mini-éolienne, montable soi-même et adaptable. Elle fait du bruit, mais tourne plus souvent que le soleil ne brille au moins.

Enfin bref, de mon côté j’ai opté pour une maison flottante assemblée par différentes plateformes et bateaux afin de stabiliser la structure, à l’abri dans une vieille crique. Enfin “maison ”, c’est un bien grand mot, mais une fois mes modules d’air, d’eau et de nourriture IKEA montés et installés, ça a commencé à ressembler à quelque chose. Je ne le léguerai pas à mes enfants mais au moins son bois ne pollue pas. En toute honnêteté, il y avait pléthore de choix quant aux habitations possible : la maison conteneur, les EarthShips, des igloos thermiques les maisons sur pilotis… Sauf que, à part quelques parcelles ici et là, la terre n’est plus accessible qu’à 5 mètres sous l’eau. Je connaissais un gars et sa femme, Egbert, qui ont misé sur une maison conteneur sur un îlot pas loin de chez-moi…

À la première tempête, il a été submergé… Dommage.

Une vision de la maison flottante. Romain Gottero

Nous avons changés, je crois. D’un côté, certains ont encore tout, se préparent, mais vivent encore dans l’illusion que tout ira bien. De l’autre côté, moi et les autres, touchés mais résistants, isolés mais indépendants. Nos valeurs ne concordent plus : ils sont la consommation, nous sommes la restriction; ils sont la pollution, nous sommes l’alternative ; ils sont l’hédonisme informationnel, nous sommes le pragmatisme survivant. L’individualisme “survivantiste”, comme j’aime l’appeler, ne se traduit pas juste par de la débrouillardise mais surtout par de l’entraide. Le peu que nous avons, que nous construisons, que nous produisons, nous le partageons. Et en plus, on est un peu plus aimable et créatif que vos employés enfermés dans des bureaux. Et je t’arrête tout de suite si tu penses : “C’est des Hippies du futur en fait”. Si tu penses qu’on a le choix tu te trompes lourdement.

Et si j’avais su ? Que ce serait-il passé ?

Peut-être que je me serai plus appliqué dans mes études pour mieux me débrouiller aujourd’hui. Peut-être que j’aurai pu faire partie de ceux, que je bénis tous les jours, d’avoir désignés et conçus les objets qui m’ont sauvé. Peut-être que j’aurai jeté mon iPhone 18 pour un jardin de balcon et 2,3 carottes. Peut-être j’aurai préféré un cours de bricolage avec mon papy à une partie de LOL. Peut-être que je verrai le design d’une autre manière. Peut-être que j’aurai pu réfléchir à l’avenir, si sombre qu’il est, et vivre différemment. Peut-être que j’aurai pu prévenir les autres. Peut-être que j’aurai pu les sauver.

En fin de compte, tu vois bien que quelques degrés de plus ou de moins, ça change tout.

Viktor Maublanc à la plume & Romain Gottero au Photoshop

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