À la croisée des chemins: Youssef Haddad

Ne faites pas de politique mes enfants…

Marion Lefebvre
La REVUE du CAIUM
4 min readFeb 9, 2023

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N e faites pas de politique mes enfants, c’est un jeu beaucoup trop dangereux. Ce conseil, c’est celui qu’avait prodigué le grand-père de Youssef à ses trois fils, lorsqu’ils étaient jeunes. Une recommandation qui témoigne de la Tunisie d’avant… car aujourd’hui, depuis le printemps arabe, ce petit pays et son peuple se sont officiellement politisés. Youssef, comme tous les jeunes gens bien nés de son pays, est parti étudier dans un pays occidental, au Canada, dans l’espoir de meilleures chances de réussite. Je l’ai rencontré, il m’a partagé son regard sur l’évolution de la Tunisie dans les dernières années.

La révolution, une renaissance politique

Youssef avait 8 ans lorsque le printemps arabe a commencé en Tunisie. Il garde de ces événements des souvenirs très vagues… On parlait soudainement de son petit pays sur France24. Un hélicoptère passait tout proche et faisait trembler les murs de sa chambre. Mais quand il y repense avec un peu plus de recul, ces événements furent surtout le début d’une nouvelle ère pour son pays. La parole s’était subitement libérée. Chez lui, Youssef découvrait que ses parents, ses oncles, avaient des opinions. On commentait l’actualité, on prenait des positions. Certains étaient nostalgiques de la monarchie. D’autres étaient plus progressistes et voulaient des changements plus profonds dans la société. Il découvrit pour la première fois dans la presse des caricatures sur le pouvoir en place. Il évoqua des dessins satiriques qu’il appréciait particulièrement dans sa jeunesse, notamment ceux mettant en scène le personnage Willis from Tunis, surnommé « chat de la révolution ». Tout cela avait été pour lui extraordinaire et nouveau.

Une économie encore sclérosée

Cependant, Youssef déplore que cette libéralisation politique n’ait pas été suivie d’une libéralisation économique et de changements plus profonds dans la société.
Aujourd’hui, la Tunisie ne peut investir dans son développement, la moitié de ses dépenses allant actuellement dans les salaires de l’administration du pays. Youssef souhaiterait que la Tunisie opte pour un système capitaliste, dans lequel les entrepreneurs seraient davantage encouragés. De plus, la bureaucratie crée une rigidité du marché du travail. Les procédures de licenciement, trop complexes, rendent moins flexible l’embauche. Se faire embaucher dans la journée, comme à Montréal, est quelque chose que Youssef ne pouvait concevoir auparavant. De plus, en Tunisie, en l’absence d’un réseau de contacts, le diplôme ne suffit pas pour trouver un travail. Il en résulte un taux de chômage élevé, qui atteint chez les jeunes des niveaux ahurissants, et ce depuis longtemps. C’est plus d’un tiers des jeunes tunisiens qui ne parviennent pas à trouver un emploi.

Des espoirs ? « Ça fait 10 ans qu’on ne la voit plus la lumière au bout du tunnel » me répond Youssef, esquissant un sourire. La réalité de Youssef n’est pas celle de la majorité des tunisiens. Derrière les vues paradisiaques de Sidi Bou Saïd, c’est avant tout la pauvreté qui règne en Tunisie. Une misère qui ne s’est d’ailleurs guère atténuée depuis le début du conflit en Ukraine.

Le Canada, une inspiration ?

Assis près de la fenêtre, dans une salle de la bibliothèque universitaire, Youssef regarde les flocons de neige envahir le ciel. Il y a un an, comme tant d’autres étudiants étrangers, il se retrouvait du jour au lendemain, seul, dans une ville qu’il découvrait pour la première fois. Dès la confirmation de son départ pour le Canada, il s’était empressé d’acheter livres et revues sur l’histoire du pays. Il était enthousiaste à l’idée de découvrir autre chose.

Youssef a rejoint, au cours de sa première année, l’organisation des Jeunes Libéraux de l’Université de Montréal, ce qui lui a permis de s’initier à la politique canadienne. Cet automne, il a entamé sa deuxième année au baccalauréat en Études Internationales.
Il est admiratif du fonctionnement du système politique occidental, son organisation, ses institutions. L’état de droit, défendant la primauté du droit sur l’ensemble de la société, est un principe qu’il trouve formidable. En Tunisie, depuis un an, l’état d’exception s’est substitué à l’état de droit ; Kaïs Saeid, le président en place, s’est accaparé l’ensemble des pouvoirs pour une période indéterminée, perdurant encore aujourd’hui.
Une démocratie réelle, une justice indépendante, des pouvoirs séparés et des institutions respectées sont autant de principes de gouvernance que Youssef voudrait voir appliqués dans son pays.

Espoirs

En Tunisie, depuis des décennies, les révolutions ont fait jaillir des lueurs d’espoir, que le retour à l’autoritarisme a toujours éteintes peu de temps après. Face à cela, comment ne pas se décourager ? Youssef se montre optimiste. Il rappelle que la France a aussi connu, durant 100 ans, des retours anachroniques à la monarchie, entre les multiples tentatives d’instauration de la République. « Cela prendra juste du temps », conclut-il.

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Marion Lefebvre
La REVUE du CAIUM

Étudiante au Baccalauréat en Études Internationales.