À la recherche des mystérieuses cités d’or : l’Amazonie péruvienne mise en péril par la prospection minière

Victoire Letenneur
La REVUE du CAIUM
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7 min readMay 6, 2021

En février dernier, un cliché réalisé à plus de 400 kilomètres d’altitude par l’Agence spatiale américaine (NASA) révélait l’étendue des ravages causés par l’orpaillage au Pérou. L’image satellite montrait alors une forêt amazonienne traversée par des « rivières d’or » semblant étinceler au soleil. S’agissant en réalité d’excavations remplies d’eau polluée à l’allure dorée, ces véritables cratères illustrent le désastre écologique de la ruée vers l’or qui persiste illégalement à travers l’Amérique latine. En effet, les responsables des mines aurifères, plus connus sous le nom de « garimpeiros », défient les autorités afin de récolter quelques grammes de ce précieux minerai. [1]

Prise en décembre 2020 par un astronaute depuis la Station spatiale internationale (ISS), la photographie révèle les « rivières d’or » que renferment la région de Madre de Dios, à la frontière péruvienne avec la Bolivie et le Brésil. Photo : NASA.

Une légende ancienne

Entre le XVe et le XVIIe siècle, les conquistadors avaient cherché avec frénésie sur le continent américain un lieu d’une richesse incalculable. Dès lors qu’ils eurent posé le pied en Amérique du Sud, les explorateurs espagnols s’étaient vu conté le récit du peuple Muisca, situé dans les hauteurs des Andes, dans l’actuelle Colombie, abritant d’immenses quantités d’or. [2] Selon la légende, lors de cérémonies sacrées, leur roi se recouvrait de poudre d’or pour ensuite naviguer jusqu’au centre du lac Guatavita sur un radeau ; les membres de la communauté Muisca y jetaient alors des figures en or, en guise d’offrandes aux dieux. [3]

Exposée au musée de l’or de Bogota, en Colombie, cet artefact ancien retracerait les origines du récit de la tribu Muisca et du mythe de l’Eldorado. Photo : Mauricio Duenas, AFP.

S’ils ne sont pas parvenus à mettre la main sur cette mystérieuse « cité d’or perdue », les Espagnols sont néanmoins demeurés convaincus du fondement véridique du mythe de l’Eldorado — ou de « l’homme doré ». Aussi, en 1545, les conquistadors ont tenté de vider le lac Guatavita afin d’atteindre le trésor tant convoité qui se trouvait supposément dans les profondeurs de l’étendue d’eau, faisant ainsi la découverte de centaines de pièces d’or. [4] Au fil des siècles, la légende d’une insaisissable cité d’or a survécu, notamment grâce à la curiosité de différents romanciers, poètes et cinéastes ; si bien que cinq cent ans plus tard, au-delà de l’imaginaire collectif et la culture populaire, elle ne cesse de nourrir l’espoir — ou plutôt l’appétit — de plusieurs contrebandiers avides de richesse — et ce, au détriment de la protection de l’environnement. [5]

Une activité anthropique extrêmement polluante

Aujourd’hui, du Pérou jusqu’au Brésil en passant par la Colombie, les orpailleurs clandestins rêvent eux aussi de faire fortune, « explor[ant] les cours d’eau à la recherche de la moindre pépite ». [6] Sur leur passage, ils n’hésitent pas à déboiser des hectares de forêts primaires, à décimer les écosystèmes qu’elles renferment ou encore à contaminer les sols et les rivières en y déversant des litres de mercure. [7] En effet, les garimpeiros utilisent ce métal à l’état liquide afin qu’il adhère aux particules d’or, formant ainsi un amalgame qui permet de les séparer des roches ou du sable des rivières. Après avoir été chauffé, le mercure s’évapore ensuite pour ne laisser que de l’or. À titre d’exemple, en Guyane française, le Fonds mondial pour la nature (WWF) estime que les orpailleurs utilisent en moyenne 1,3 kilogramme de mercure pour récupérer 1 kilogramme d’or. [8]

En ce qui concerne le Pérou, il est devenu le sixième producteur mondial d’or, « avec environ 140 tonnes par an, dont une partie [venant] de ces mines illégales » — et plus particulièrement de la région de Madre de Dios, située au sud-est du pays. [9] Bien que cette dernière constitue un haut lieu de la biodiversité mondiale, abritant notamment de nombreuses communautés autochtones, l’exploitation minière illégale de l’or aurait entraîné près de 14% de la déforestation du paysage entre 1984 et 2017. [10] Selon une étude menée par Guadalupe Yahia Velásquez Zapata en 2020, il semblerait que ces activités aient même affecté des zones naturelles protégées de la région concernée. [11] Depuis 1985, un rapport de l’Artisanal Gold Council estime que près de 180 tonnes métriques de mercure auraient été déversées chaque année en raison de cette activité économique. [12] Aussi, des analyses récentes menées par le Centro de Innovación Cientifica Amazónica (CINCIA) ont démontré des taux de mercure jusqu’à deux fois plus élevés que la limite sécuritaire prévue pour des poissons évoluant près des zones d’extraction aurifère. [13]

En février 2019, dans le cadre de l’opération « Mercure », une prise de vue aérienne présentait une zone fortement déboisée de la région péruvienne de Madre de Dios. Photo : Cris Bouroncle, AFP.

Ainsi, bien que l’orpaillage fournisse des moyens de subsistance à plusieurs milliers de personnes à l’échelle continentale, cette pratique illégale apparaît non seulement comme une des principales sources de la pollution atmosphérique au mercure, mais aussi comme un facteur important de la déforestation et de la perte de biodiversité dans les pays d’Amérique du Sud. [14] En effet, dès lors qu’il intègre les milieux aquatiques, le mercure est transformé en méthylmercure, un composé facilement assimilable, aux effets neurotoxiques puissants pour l’ensemble des organismes vivants — forestiers et aquatiques. [15] De plus, en s’accumulant dans les milieux naturels et en atteignant des concentrations particulièrement importantes dans la chair des poissons de haut niveau trophique, il en découle une menace sérieuse pour la santé des communautés locales, y compris celle des peuples autochtones, qui en consomment quotidiennement. [16]

Une pratique illégale, mais persistante et incontrôlée

En 2017, le gouvernement péruvien s’était engagé à « protéger la santé humaine et l’environnement contre les émissions et rejets anthropiques de mercure », en vertu de la Convention de Minamata lancée par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). [17] Conformément à cette démarche, en 2019, le Pérou avait introduit, en partenariat avec l’Agence des États-Unis pour le développement internationale (USAID), l’opération « Mercure ». Cette dernière visait à lutter contre les crimes environnementaux en Amazonie, dont l’exploration illégale de terrains en vue de découvrir de l’or — également appelée « prospection ». [18] Si les autorités péruviennes se sont d’abord concentrées sur la région de la Pampa, épicentre de cette activité économique illicite, en 2020, elles ont ensuite étendu leurs opérations à cinq autres zones minières critiques. [19]

Habituellement cachés du regard des satellites par la couverture nuageuse, les chantiers de prospection des garimpeiros ont pu être capturé de manière exceptionnelle par la NASA, grâce à des conditions météorologiques favorables. [20] Autour de chacun des bassins fluviaux apparaissant sur l’image satellite, on perçoit une étendue de forêt ayant été défrichée à coups de bulldozer, « suiv[ant] ainsi le cours d’anciennes rivières où de l’or et d’autres sédiments ont été déposés ». [21] Bien qu’en 2020, les autorités péruviennes aient annoncé que le taux de déforestation lié à l’orpaillage illégal avait diminué de 78% sur les six sites critiques à l’issue de l’opération « Mercure », il est évident que cette pratique continue de menacer certaines zones plus fragiles — tel que démontré par le cliché réalisé par la NASA en 2021. [22]

Dans un tel contexte, l’autoroute interocéanique du Sud, initialement destinée à encourager le commerce et le tourisme dans les régions qu’elle traverse, en tant que seule liaison routière entre le Brésil et le Pérou, est apparue comme un moyen de faciliter le déplacement des garimpeiros d’un chantier à l’autre et ainsi d’alimenter une industrie aurifère clandestine. [23] Finalement, malgré la mise en place du programme de reforestation et de l’opération « Mercure », les avancées effectuées demeurent limitées et insuffisantes face à l’ampleur du problème ; si bien que le gouvernement péruvien fait encore face, d’une part, à un trafic illicite qui peine à être régulé et, d’autre part, à une catastrophe écologique difficile à enrayer — des phénomènes de grande ampleur qui mettent activement en péril l’équilibre d’écosystèmes fragiles, au cœur de la forêt amazonienne.

Pour approfondir

[1] Pierre Bouvier. « La NASA révèle les ravages de l’orpaillage au Pérou ». 16 février 2021. Site de Le Monde. https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2021/02/16/la-nasa-revele-les-ravages-de-l-orpaillage-au-perou_6070143_4832693.html

[2] Willie Drye. « L’Eldorado, récit d’une insaisissable cité d’or ». Site du National Geographic. https://www.nationalgeographic.fr/histoire/la-legende-de-la-contree-mythique-de-leldorado

[3] Julien Bordier. « Aux origines de l’Eldorado, un tragique malentendu ». 13 août 2017. Site de l’Express. https://www.lexpress.fr/culture/art/aux-origines-de-l-eldorado-un-tragique-malentendu_1934451.html

[4] Willie Drye, op. cit.

[5] Ibid.

[6] Pierre Bouvier, op. cit.

[7] Ibid.

[8] WWF France. « Lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane : orientations pour une efficacité renforcée ». 2018. Site du WWF. https://www.wwf.fr/espaces-prioritaires/guyane/orpaillage-illegal

[9] Pierre Bouvier, op. cit.

[10] Jacqueline R. Gerson et al. « Artificial lake expansion amplifies mercury pollution from gold mining ». 2020. Science advances, 6 (48) : 1–8. https://advances.sciencemag.org/content/6/48/eabd4953/tab-pdf

[11] Guadalupe Yahia Velásquez Zapata. « Problemas medioambientales de la minería aurífera ilegal en Madre de Dios (Perú) ». 2020. Observatorio Medioambiental de la Universidad Señor de Sipán (Perú), 23 : 1–13. https://doi.org/10.5209/obmd.73177

[12] Jacqueline R. Gerson et al., op. cit.

[13] Emeline Férard. « Ces magnifiques ‘rivières dorées’ photographiées en Amazonie révèlent une sombre réalité ». 16 février 2021. Site de GEO. https://www.geo.fr/environnement/ces-magnifiques-rivieres-dorees-photographiees-en-amazonie-revelent-une-sombre-realite-203764

[14] Jacqueline R. Gerson et al., op. cit.

[15] Ibid.

[16] Ibid.

[17] Pierre Bouvier, op. cit.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] BBC News Mundo. « ‘Ríos de oro’ en Perú : las imágenes de la NASA que revelan el alcance de la minería ilegal en la Amazonía ». 11 février 2021. Site de BBC News Mundo. https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-56034838

[21] Pierre Bouvier, op. cit.

[22] Ibid.

[23] Ibid.

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Victoire Letenneur
La REVUE du CAIUM

Étudiante au Baccalauréat en études internationales et rédactrice pour la Revue du CAIUM