Élections de mi-mandat aux États-Unis: un bilan mitigé

Victoria Drolet
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readNov 13, 2018
Donald Trump quelques semaines précédant les élections de mi-mandat dans le Montana. Source

Retour dans le temps. Presque à la même période de l’année, deux ans auparavant, le peuple américain avait été appelé à voter leur prochain Président. Confronté à un choix difficile, c’est finalement le candidat républicain Donald Trump qui l’a emporté sur Hillary Clinton, une politicienne pourtant connue et avec une fiche de route impressionnante. Tous les sondages s’étaient leurrés, prédisant une victoire écrasante de la démocrate Clinton. Personne n’avait pu appréhender à la fois la colère du peuple et la rhétorique efficace de Trump. Aujourd’hui encore, la présidence de ce dernier fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs appellent à un front commun contre le milliardaire.

C’est pourquoi les élections de mi-mandat, un véritable test pour le Président Trump, ont revêtu une signification si particulière. C’était le rendez-vous à ne pas manquer pour s’opposer à l’homme le plus puissant des États-Unis. Marquées par la présence énergique, mais atypique de l’électorat féminin, ces élections sont ordinairement boudées par les Américains. Cette fois-ci, c’était différent. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en 2016 a sonné le réveil des femmes en politique [2]. Ces dernières n’allaient plus se taire. Si le taux de participation n’atteint généralement que les 35%, il en était tout autre pour cette année [2]. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: d’après les estimations du New York Times, 114 millions d’Américains se sont rendus aux urnes contre 83 millions en 2014 [3]. Ils allaient décider s’ils facilitent la tâche à Trump ou s’ils lui mettent les bâtons dans les roues jusqu’en 2020. Qui contrôlera à partir de maintenant les deux chambres était un enjeu important. Finalement, le verdict est tombé: les Républicains gardent le contrôle du Sénat (51 sièges contre 46) alors que les Démocrates s’emparent de la Chambre des représentants (222 sièges contre 196) []. Comment expliquer les résultats des élections de mi-mandat?

Une vague bleue qui n’est jamais venue

Cette fois-ci, les médias se sont montrés plus prudents et ont pu prédire correctement l’issue finale des élections de mi-mandat. Si la grogne envers Trump monte, la loyauté de sa base électorale ne s’affaiblit pas. Malgré les efforts, la poussée progressiste n’a donc pas pu vaincre les fidèles de Trump, comme plusieurs espéraient.

«Le parti doit reconnecter avec les travailleurs».

— Tim Ryan, représentant démocrate en Ohio

En effet, le Parti démocrate a encore à apprendre des élections de 2016 et de 2018, estiment certains. Les résultats sont mitigés: les démocrates peuvent se féliciter « pour les gains enregistrés dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie » [5]. Cependant, cela est contrebalancé par des scores plus décevants du côté de « l’Ohio et par la domination républicaine dans la toute-puissante Floride » [5].

Pour Tim Ryan, représentant démocrate de l’Ohio, son parti doit reconnecter avec les travailleurs pour espérer battre Trump [5]. Souffrant d’une image déplorable élitiste, les bleus ne peuvent pas se passer des ouvriers. Ils doivent absolument se reconcentrer sur les problèmes économiques étant donné que Trump est tellement en phase avec les travailleurs. Aller chercher les votes dans cette partie de la population pourrait être la clé pour balayer Trump.

Des opérations de découpage dommageables

Enjeu assez méconnu du public, le découpage électoral a pesé lourd dans les résultats de l’élection de cet automne. Pour comprendre la sous-performance démocrate, il faut voir du côté du “gerrymandering”. Ce terme, qui ne date pas d’hier, est une arme électorale permettant aux élus à la tête des assemblées locales de redessiner la carte électorale [6]. Si le but initial était de mieux refléter l’évolution démographique du pays, il est plutôt employé à l’avantage de l’un ou l’autre des deux partis. Ainsi, ces derniers peuvent « choisir d’exclure ou de surreprésenter certaines minorités qui leur seront plus ou moins favorables dans les urnes » [6]. Cela donne parfois des districts aux formes loufoques. Ainsi, en ce moment, la carte électorale a tendance à favoriser le camp républicain [3]. Les manoeuvres du parti se multiplient donc pour diluer le vote noire et hispanique, un segment de la population américaine plus enclin à voter démocrate que républicain. En effet, 60% des Latinos et 77% des Afro-Américains sont affiliés au Parti démocrate [6].

Un exemple de gerrymandering raciale dans un district au Texas. PHOTO // Google Maps.

La portée du “gerrymandering” ne s’arrête pas là. Les résultats de mi-mandat ont déterminé qui aura le pouvoir dans 2 ans, au recensement de 2020, de remanier la carte électorale [6]. Les acteurs clés sont les « 6 070 représentants parlementaires à l’échelle étatique (lesquels ont le pouvoir de redéfinir les nouvelles frontières de chaque district électoral) et [les] 36 gouverneurs d’État (lesquels ont le droit de valider ou d’invalider ce redécoupage) » [6]. Comme la proportion d’élus démocrates et républicains est dorénavant assez partagée, il sera ardu pour un des partis de faire à sa guise.

En attendant, les petites victoires

Ce qui ressort probablement le plus de ces élections, c’est l’ascension des femmes. Jamais n’a-t-on vu un engouement aussi puissant pour la politique chez les Américaines. Le pays a assisté à un nombre record de candidatures féminines. 95 d’entre elles siègeront dorénavant à la Chambre des représentants, un jamais vu dans l’histoire des États-Unis [4]. 9 se sont retrouvées victorieuses pour les postes de gouverneurs et 12 au Sénat [1]. Ces nouveaux visages sont à l’image d’une société américaine de plus en plus multiculturelle. Si la politique est traditionnellement l’affaire d’hommes blancs hétérosexuels, il semble que le vent tourne enfin.

Pour la première fois, deux femmes de religion musulmane ont été élues: Ilhan Omar et Rashida Tlsib. La première, élue dans le Minnesota, porte le voile et est d’origine somalienne [1]. La deuxième, une américano-palestinienne, a réussi à gagner son élection dans l’État du Michigan. Sharice Davids (Kansas) et Deb Haaland (Nouveau-Mexique) ont aussi été élues, devenant les premières femmes amérindiennes et Davids étant la première lesbienne à représenter son État [1]. Finalement, une autre victoire notable est celle d’Alexandria Ocasio-Cortez, une démocrate qui devient la plus jeune femme élue à la Chambre à 29 ans seulement [1].

Pour une fois, l’ironie du sort fait bien les choses: cette percée spectaculaire des femmes survient après le mouvement #MeToo et l’attitude tantôt misogyne de Trump envers elles [4]. À l’évidence, cette force souvent négligée pourrait constituer une sérieuse menace en 2020 pour le Président.

La démocrate Deb Haaland, 57 ans, issue de la tribu Laguna Pueblo a été élue à la Chambre au Nouveau-Mexique. PHOTO REUTERS/Brian Snyder

Quoi retenir de 2018?

Comme l’a dit celui qui a précédé Trump, Barack Obama, les élections de mi-mandat ne sont qu’« un début » [7]. Le travail doit continuer. Reste à voir si le Parti démocrate, à la recherche criante d’un leader de la prestance d’Obama, saura raviver la foi d’un peuple qui ne croit plus en sa démocratie… 2020 ne semble pas du tout gagné d’avance.

Références

[1] de Mareschal, E. (2018). Midterms: un record historique de femmes élues. Le Figaro. Repéré à http://www.lefigaro.fr/international/2018/11/07/01003-20181107ARTFIG00091-midterms-un-record-historique-de-femmes-elues.php

[2] Latreille, C. (2018). Les femmes et Trump: genèse d’une révolution politique. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radiocanada.ca/nouvelle/1131580/etats-unis-donald-trump-elections-mi-mandat-femmes

[3] Lebeuf, S. (2018). Élections de mi-mandat : les démocrates remportent la Chambre, les républicains conservent le Sénat. La Presse. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1134382/elections-mi-mandat-democrates-victoire-chambre-representant

[4] RFI. Elections aux Etats-Unis: une victoire pour les femmes. RFI. Repéré à http://www.rfi.fr/ameriques/20181107-elections-etats-unis-victoire-femmes

[5] Summers, J. et Beaumont, T. Quelles leçons peut-on tirer des élections américaines de mi-mandat en vue de 2020? Huffington Post. Repéré à https://quebec.huffingtonpost.ca/2018/11/08/quelles-lecons-peut-on-tirer-des-elections-de-mi-mandat-en-vue-de-2020_a_23584237/

[6] Taylor-Rosner, N. (2018). États-Unis : qu’est-ce que le “gerrymandering” ou “charcutage électoral” ? Réforme.net. Repéré à https://www.reforme.net/actualite/monde/etats-unis-quest-ce-que-le-gerrymandering-ou-charcutage-electoral/

[7]. TVA Nouvelles. (2018). «C’est un début», estime Barack Obama après les élections de mi-mandat. Le Journal de Montréal. Repéré àhttps://www.journaldemontreal.com/2018/11/07/cest-un-debut-estime-barack-obama-apres-les-elections-de-mi-mandat-1

--

--

Victoria Drolet
La REVUE du CAIUM

Finissante en communication et politique. Rédactrice pour le Comité des Affaires Internationales de l’Université de Montréal.