Épidémie de coups d’État en Afrique : quelles leçons tirer des renversements de l’ordre constitutionnel?

Thierry Santime
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readFeb 24, 2022
Mamady Doumbouya, président guinéen de transition était à la tête de la junte qui a renversé le président Alpha Condé, le 5 Septembre 2021. © TV5MONDE

Le chanteur de reggae ivoirien Alpha Blondy chantait, à la fin des années 1980 : « Trop de coups d’État en Afrique, ça suffit comme ça ». Alors que l’on pensait les coups d’État plus ou moins choses du passé en Afrique subsaharienne, on constate peu à peu un retour en force des putschistes. Les coups d’État semblent faire tache d’huile, notamment au Sahel, dans un contexte de crise sécuritaire persistante.

Ces dernières années, on observe un regain des tentatives de coups d’État, certaines réussies, d’autres infructueuses, en Afrique. Un coup d’État peut être défini comme une tentative illégale et manifeste de l’armée ou d’autres responsables civils de renverser les dirigeants en place. On utilise aussi le terme plus spécifique de putsch quand il est question d’un coup d’État militaire. Au cours des deux dernières années, il y a eu des coups d’État au Mali (2020 et 2021), au Tchad (2021), en Guinée (2021), au Soudan (2021) et au Burkina Faso (2022). Il y a aussi eu des tentatives de coups d’État qui ont fait long feu au Niger et tout récemment en Guinée-Bissau.

La mauvaise gouvernance et les problèmes sécuritaires comme facteurs explicatifs

Au registre des motifs à l’origine des coups d’État de ces dernières années, les problèmes sécuritaires et la perception d’une mauvaise gouvernance institutionnelle représentent des facteurs explicatifs majeurs.

Les pays du Sahel, dont font partie le Mali et le Burkina Faso, sont confrontés depuis plusieurs années maintenant à l’hydre terroriste. Malgré une importante présence militaire depuis plusieurs années de forces françaises et européennes, notamment dans le cadre de l’opération Barkhane[1], force est de constater que la pieuvre terroriste ne cesse d’étendre ses tentacules dans la région et de causer d’innombrables victimes tant civiles que militaires, en plus de fragiliser davantage ces pays. Les coups d’État récemment survenus au Mali, au Burkina Faso et au Tchad ne peuvent être compris sans la prise en compte de cette dimension sécuritaire. Dans ces pays, les coups d’État qui ont eu lieu sont en partie la résultante de la croissance fulgurante du terrorisme islamiste, mais aussi de la montée des conflits communautaires et des mouvements rebelles, même si évidemment chaque cas a ses singularités.

Le Mali, en proie à une insécurité et des violences meurtrières depuis 2012, a récemment connu deux coups d’État en l’espace de neuf mois. En août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) était renversé par un putsch. Par la suite, en mai 2021, alors que des autorités de transition assuraient l’exercice du pouvoir et s’armaient à préparer les échéances électorales, une énième mutinerie des militaires a eu raison de ce régime de transition dirigé par des civils.

De son côté, le Burkina Faso, frappé par des attaques terroristes depuis 2015 a vu son chef d’État, Roch Marc Christian Kaboré, se faire déboulonner par des militaires lors du coup d’État survenu en janvier dernier.

Cependant, les défis sécuritaires n’expliquent pas tout, loin de là. D’ailleurs, la plupart des pays touchés récemment par des coups d’État en Afrique, que ce soit le Mali, le Burkina Faso, la Guinée ou le Tchad ont connu par le passé des prises de pouvoir par la force. Ce n’est donc pas un phénomène nouveau. Aux problèmes sécuritaires, il faut ajouter les problèmes de gouvernance pour bien saisir le contexte qui caractérise le coup de force des putschistes. En Guinée, le troisième mandat du président Alpha Condé était très contesté; tandis qu’au Mali, la gestion du président IBK était contesté, non seulement à cause de la violence des groupes terroristes mais aussi à cause de certains maux comme la corruption rampante, le népotisme et la défaillance des services publics.

On peut aussi noter que ces prises de pouvoir par les militaires ont bénéficié d’un certain soutien populaire, notamment au Mali, au Burkina Faso et en Guinée.

Sanctions : pour quelle finalité ?

Lorsqu’un coup d’État est mené contre un dirigeant ayant les attributs légaux du pouvoir, il est de bon ton que la communauté internationale fasse chorus pour condamner le coup de force et appeler à un retour à « l’ordre constitutionnel ». Il s’ensuit aussi souvent des sanctions.

On peut comprendre que la communauté internationale condamne vertement les coups d’État, pour ne pas donner l’impression de cautionner une prise de pouvoir en dehors des cadres légaux et institutionnels prévus. Par contre, on peut s’interroger sur le “deux poids deux mesures” que l’on peut observer dans la réaction internationale. Au Tchad, à la suite du décès du président Idriss Déby Itno, mort au combat en avril 2021 lors d’affrontements avec un groupe rebelle, son fils, Mahamat Déby Itno, jusqu’alors chef de la garde présidentielle a pris le pouvoir. Cette forme de dévolution dynastique du pouvoir qui s’apparente à un coup d’État est quasiment passée comme une lettre à la poste. Le président français, Emmanuel Macron, avait même fait le déplacement de N’Djamena pour assister aux obsèques d’Idriss Déby, aux côtés du nouvel homme fort du Tchad. Paris, tout comme les organisations régionales africaines, avait adoubé le fils Déby, pourtant arrivé au pouvoir au mépris des règles constitutionnelles établies. Par contre, les actuels dirigeants de transition au Mali, qui se sont rapprochés de la Russie (des mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner seraient au Mali) et sont en froid avec Paris- c’est un euphémisme-, n’ont pas bénéficié de la même clémence et se sont vu imposer des sanctions sévères par la CEDEAO (la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), soutenues par l’Union européenne et, en particulier, par la France. À ce propos, l’attitude de Paris face à ces deux cas est questionnable. En effet, il semble parfois que là où les intérêts de la France sont fortement menacés ou concurrencés (Mali) par d’autres puissances, le respect du processus constitutionnel émerge comme un critère d’importance capitale. Pourtant, face à une situation similaire (Tchad), mais avec un gouvernement plus “coopératif”, il semble que les malversations constitutionnelles soient répondues par une certaine bienveillance et deviennent, en quelque sorte, plus secondaires. Par ailleurs, même s’il est crucial que les dirigeants actuels du Mali proposent un calendrier électoral crédible et réaliste, l’embargo économique que subit ce pays, déjà financièrement et économiquement sur les rotules, représente un lourd fardeau supplémentaire pour les populations (inflation, pénurie, etc.).

Les sanctions devraient être proportionnées et non pas constituer un facteur d’aggravation des crises multiformes qui touchent les pays en question.

Condamner les bricolages constitutionnels

L’Afrique a connu une multitude de coups d’État. Même si, fondamentalement, un coup d’État contrevient forcément aux principes démocratiques d’accession au pouvoir politique, on ne peut pas s’empêcher de faire remarquer que la démocratie, dans plusieurs pays africains, n’est que procédurale et que plusieurs dirigeants en place sont eux-mêmes accusés de « coup d’État constitutionnel » pour se maintenir au pouvoir. La notion de « coup d’État constitutionnel » fait référence à l’action de renverser l’ordre constitutionnel existant pour se maintenir au pouvoir. Par exemple, les dirigeants qui usent de stratagèmes pour modifier la constitution, briguer des mandats supplémentaires et pour, in fine, se maintenir au pouvoir. Serge Lianhoué Bayala, un jeune activiste burkinabè fait une analogie entre les putschs (coups d’État militaires) et les coups d’État constitutionnels :

« Pour nous il n’y a pas de hiérarchie à faire entre les coups d’État constitutionnels et les coups d’État militaires, pas de hiérarchie à faire entre la corruption galopante dans des démocraties de façade et des coups d’État militaires, tous les deux sont condamnables ».

Pour lutter contre ces usurpations de pouvoir, les organisations régionales africaines (CEDEAO, CEEAC, EAC, SADC, etc.) ainsi que les partenaires internationaux devraient davantage assurer un rôle de veille proactive et exercer une pression sur les dirigeants tentés de contourner les verrous constitutionnels pour conserver leur pouvoir, au lieu de laisser les choses s’embraser et lever le ton lorsque des putschs surviennent. Le fameux proverbe « mieux vaut prévenir que guérir » prend ici tout son sens.

[1] À noter que la France et ses partenaires européens ont annoncé le 17 février leur retrait militaire du Mali.

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Thierry Santime
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Policy analyst. Diplomé de la maîtrise en Affaires publiques et internationales,Université d’Ottawa et du Bsc en Economie et politique,Université de Montréal.