États-Unis : des élections de mi-mandat à l’issue incertaine

Matthieu Naudin
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readNov 3, 2022

Le 8 novembre prochain, les Américains seront appelés aux urnes pour les élections parlementaires de mi-mandat. Un véritable test pour le président Joe Biden, puisque cela déterminera sa marge de manœuvre pour les deux années à venir. Tandis que les Républicains tentent d’imposer l’inflation dans les débats, les Démocrates espèrent mobiliser massivement les électeurs autour de l’avortement pour échapper à une déroute programmée.

Une vue du Capitole, siège du Congrès américain. Crédit: AP/J. Scott Applewhite.

F loraison de pancartes et affiches, rassemblements en série, la campagne des élections de mi-mandat de 2022 entre dans sa dernière ligne droite. L’enjeu est de taille pour les partis, car le scrutin va renouveler la Chambre des représentants, ainsi qu’un tiers du Sénat en plus de déterminer quel sera le parti majoritaire au Congrès.

Il faut savoir que le vote de mi-mandat est très souvent défavorable au pouvoir en place. D’ailleurs, les Républicains sont favorisés pour reprendre le contrôle de la Chambre des représentants, aux mains des Démocrates depuis 2018. Pour le Sénat, les choses semblent plus équilibrées : les Démocrates doivent faire élire 14 sénateurs pour conserver leur majorité et les courses très serrées en Pennsylvanie, en Géorgie et au Nevada pourraient faire basculer le destin fédéral de la campagne.

Un tour de chauffe pour 2024

Pour Joe Biden, la perte de sa majorité au Congrès serait une bien mauvaise opération. Sans majorité, l’actuel résident de la Maison-Blanche aura les mains liées et ne pourra plus faire passer aussi facilement ses projets de loi. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle qu’avait connue Barack Obama en 2010 et en 2014, après des élections de mi-mandat catastrophiques. En cas de perte des deux chambres du Congrès, le Président ne disposerait plus que d’un droit de veto pour contrecarrer les plans d’une majorité républicaine. Une large défaite affaiblirait fortement le camp démocrate, ce qui n’est pas de bon augure à deux ans de l’élection présidentielle, prévue en 2024.

Pour les Républicains, une victoire lors de ces élections serait une éclatante revanche prise sur leurs adversaires. Le contrôle de la Chambre des représentants leur permettrait de contraindre l’action du Président, mais surtout de décider de la création de commissions d’enquêtes parlementaires. Ainsi, le premier acte fort des Républicains pourrait être de dissoudre la commission d’enquête sur l’attaque du Capitole par des partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021. Ce dernier est d’ailleurs resté très actif en politique depuis son départ du pouvoir. À plusieurs reprises, il est allé soutenir, lors de rassemblements, des candidats républicains à la Chambre des représentants ou au Sénat. Une victoire républicaine le mettrait dans une position favorable pour se représenter en 2024.

Pour cet enjeu important que sont les élections de mi-mandat, chaque parti mise sur un thème qui lui profite et qui pourrait faire basculer cette campagne dont l’issue semble incertaine.

« It’s the economy, stupid ! »

Cette formule de James Carville, ancien conseiller et stratège de Bill Clinton lors de l’élection présidentielle américaine de 1992, rappelle que l’économie est toujours l’enjeu central des campagnes électorales américaines. Si l’économie va bien, le pouvoir en place est favorisé. Dans le cas contraire, c’est le candidat ou le parti dans l’opposition qui a l’avantage.

Or, l’économie américaine n’est pas à son meilleur. Certes, le taux de chômage baisse et la reprise post-Covid a été forte malgré les craintes de récession, mais l’inflation reste tout de même assez élevée. Comme partout dans le monde, le ralentissement des chaînes d’approvisionnement causé par la pandémie, la guerre en Ukraine et les changements climatiques, entraîne une forte inflation sur presque l’ensemble des produits. Ressource essentielle pour beaucoup de personnes, l’essence connaît une forte augmentation de ses prix partout dans le pays. On a donc affaire à un problème majeur qui touche des millions de personnes.

Au niveau national, l’inflation atteint les 8,5 % en taux de variation annuel. Crédit photo : Nam Y Huh, Associated Press.

Le problème pour les démocrates, c’est que pour beaucoup d’électeurs, le principal responsable de cette situation est Joe Biden, en raison de sa position de chef d’État. La loi Inflation Reduction Act ou le dialogue infructueux avec l’Arabie saoudite au sujet de la production de pétrole ne jouent pas en faveur de sa cote de popularité. Les Républicains appuient donc là où le bât blesse, dans le but de prouver que les Démocrates sont incompétents. En témoignent les nombreux tweets des candidats républicains au sujet de l’augmentation des prix, comme celui de l’aspirant au Sénat du Nevada qui dénonce une « inflation à 16 % » dans un tweet du 15 octobre. Un chiffre probablement exagéré, puisque les données officielles indiquent un taux d’inflation sur un an qui se situerait aux alentours de 8,5 %.

La question de l’avortement rebat les cartes

Cela avait fait d’une bombe. Le 24 juin dernier, la Cour suprême des États-Unis rendait la décision historique de renverser l’arrêt Roe v. Wade de 1973, qui faisait de l’accès à l’avortement un droit protégé par la Constitution. Désormais, les États sont libres de proscrire ou d’autoriser l’avortement.

Des interdictions totales ont même déjà été votées au Texas ou en Oklahoma, et la liste pourrait encore s’allonger. Cependant, il s’agit d’une tendance qui a connu un coup d’arrêt au Kansas. Le 2 août, cet État du Midwest, réputé conservateur, a demandé par référendum à sa population si le droit à l’avortement devait être supprimé de la constitution de l’État. On a alors assisté à une surprenante victoire du NON (59 % des voix), un véritable séisme au parfum de victoire pour les défenseurs des droits et de l’autonomie des femmes.

Manifestation spontanée devant la Cour suprême à la suite du renversement de l’arrêt Roe v. Wade, qui datait de 1973. Photo Associated Press.

Révoltés par la décision de la Cour suprême et galvanisés par le résultat référendaire au Kansas, les Démocrates ont fait de cette question leur cheval de bataille lors de cette campagne. En juin, juste après la décision des juges, Joe Biden avait même déclaré : « Cet automne, Roe (arrêt Roe v. Wade 1973, ndlr), les libertés personnelles, le droit à la vie privée, la liberté et l’égalité sont en jeu ». Les Républicains sont tenus pour responsables du renversement du 24 juin 2022, non seulement en raison de leur opposition à l’avortement, mais aussi par le soutien qu’ils ont apporté à la nomination de juges orginalistes, soit très traditionalistes, à la Cour suprême. Ainsi, il s’agit de dénoncer un programme conservateur.

Dans certaines courses pour le Sénat, la question de l’avortement et plus généralement des droits des femmes est même centrale. En Géorgie, État du sud profond du pays mais ayant voté Joe Biden en 2020, la campagne fait rage entre le Démocrate Raphael Warnock et son rival républicain Herschel Walker. Ce dernier, ancienne star de football américain, est au milieu d’un scandale sur fond d’abus conjugal. Il est accusé d’avoir payé et fait pression sur son ex-compagne pour qu’elle avorte. Une position plus qu’embarrassante pour un candidat ouvertement anti-avortement, et une aubaine pour son rival.

Un suspense qui reste entier

Les deux thèmes sont mobilisateurs, mais ne touchent pas la même population. L’avortement, comme les autres sujets de société, intéresse davantage les citoyens libéraux, vivant le plus souvent à proximité des grandes villes. À l’inverse, l’inflation est plus fortement ressentie par la classe moyenne et particulièrement en milieu rural, généralement plus pauvre. Alors que chaque parti tente de faire campagne sur des thématiques favorables, le pays semble plus divisé que jamais sur le plan social et idéologique. La polarisation politique continue de se renforcer dans le pays, excepté vis-à-vis du soutien à l’Ukraine ou à Taiwan, seuls dossiers qui ne font pas débat pour l’instant.

Jusqu’au renversement de l’arrêt Roe v. Wade en juin, la victoire était promise au camp républicain. La décision de la Cour suprême a changé la donne et l’été s’est révélé plutôt favorable aux Démocrates, en progression dans les sondages. À moins d’une semaine de l’élection, les enquêtes d’opinion montrent un rééquilibrage en faveur des Républicains. La course pour le Sénat notamment est plus serrée que jamais : un sondage du New York Times, publié le lundi 31 octobre, donne par exemple seulement 3 points d’avance au candidat démocrate de Géorgie. Le suspense reste donc entier. Verdict le 8 novembre.

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Matthieu Naudin
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Étudiant en Études internationales à l’Université de Montréal. Rédacteur à la revue du CAIUM