États-Unis : les Républicains cherchent leur voix

Matthieu Naudin
La REVUE du CAIUM
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6 min readMar 28, 2023
Donald Trump (à gauche) et le gouverneur de Floride Ron DeSantis (à droite). AP Photo/MarAlex Brandon/Marta Lavandier

Rien ne va plus au Parti républicain américain. Après des élections de mi-mandat plutôt décevantes, les divisions se font de plus en plus importantes entre le camp de Donald Trump et celui de son concurrent, le gouverneur de Floride Ron DeSantis, pressenti pour briguer l’investiture républicaine en 2024.

C’est un rendez-vous annuel clé dans le camp républicain et Donald Trump en a été la vedette. La CPAC (Conservative Political Action Conference), grand rassemblement des conservateurs américains, s’est tenue du 1er au 4 mars en banlieue de Washington. Pendant près d’une heure et demie, l’ancien président américain a fait le show devant ses partisans venus en grand nombre et en présence de soutiens comme l’ex-chef d’État brésilien Jair Bolsonaro.

Cet événement s’inscrit dans un contexte de fortes divisions au sein des cadres du GOP (Grand Old Party) au sujet du soutien ou non à l’ex-Président. Donald Trump est en effet affaibli sur plusieurs plans. Il y a d’abord ses déboires judiciaires liés aux documents secrets gardés dans sa résidence de Floride et aux événements du 6 janvier 2021 au Capitole. Le milliardaire new-yorkais est aussi sous la menace d’une inculpation pour avoir acheté le silence de l’ancienne actrice pornographique Stormy Daniels avec qui il aurait eu une liaison avant son élection en 2016 (aucune inculpation n’a encore été prononcée au moment de la rédaction de l’article). Aussi, sa suprématie est contestée au sein même du parti car certains cadres miseraient bien leurs deniers sur l’hypothétique candidature du gouverneur de Floride Ron DeSantis, considéré par beaucoup comme plus présentable. Ces tensions intrapartisanes ont été exacerbées ces derniers mois, qui ont été plutôt difficiles pour le camp républicain.

Un hiver compliqué

Cela devait être un tsunami rouge, mais ce ne fut qu’un mascaret. Alors que les sondages leur promettaient une victoire écrasante avec majorité dans les deux chambres, les Républicains n’ont réussi qu’à reprendre la Chambre des représentants et avec une très courte marge (222 sièges contre 213). Pire, le GOP a même perdu un siège de sénateur en Pennsylvanie, renforçant ainsi la majorité démocrate dans la Chambre haute.

En novembre dernier de nombreux candidats républicains aux élections, publiquement soutenus par l’ancien locataire de la Maison-Blanche, ne sont pas parvenus à se faire élire. C’est le cas de Herschel Walker, ancien joueur de football américain, défait par son adversaire démocrate Raphael Warnock en Géorgie en décembre lors d’un « run-off » (deuxième tour). Jugeant ces candidats trop radicaux, les électeurs ont préféré s’en détourner. Un résultat interprété par certains cadres du parti comme un rejet de la radicalité et du style exubérant de Donald Trump. Ce dernier s’est déclaré candidat dans la foulée du scrutin.

Kevin McCarthy a dû faire de nombreuses concessions à la frange radicale du parti pour être élu président de la Chambre des représentants. Ting Shen/Bloomberg/Getty Images

L’année 2023 du GOP n’avait pas mieux commencé puisqu’en janvier, la nouvelle Chambre des représentants a dû élire son président, et le moins que l’on puisse dire, c’est que rien ne s’est passé comme prévu. Le représentant républicain de Californie Kevin McCarthy, croyant à une élection facile, avait alors brigué le poste. Pour être élu, il faut plus de la moitié des votes soit 218 voix. Or avec 222 sièges, la majorité est très courte et l’approbation d’un texte ou l’élection du président requiert un vote quasiment unanime du groupe républicain.

Pour la première fois en cent-soixante ans, le Président n’a pas été élu dès le premier vote. Environ une vingtaine de représentants républicains radicaux avaient décidé de bloquer l’élection de monsieur McCarthy, le jugeant trop modéré. En tout, 16 tours de scrutin et de nombreuses concessions du représentant californien ont été nécessaires pour arracher son élection au prestigieux poste. Cet épisode hors du commun a été une illustration éclatante du quasi-schisme qui règne désormais au sein du camp républicain. Un avant-goût de la lutte pour l’investiture du parti.

Trump-De Santis, la bataille des styles engagée

C’est un peu l’élève qui veut dépasser le maître. Donald Trump, ancien Président, est encore vu comme le candidat républicain naturel pour une grande partie de l’électorat conservateur. Mais les piètres résultats de « ses » candidats aux élections de mi-mandat et ses multiples déboires judiciaires liés à l’attaque du Capitole, viennent remettre en cause son emprise sur le parti. Certains ténors du camp républicain aimeraient donc se débarrasser de l’encombrant promoteur immobilier new-yorkais.

Un nom revient alors dans toutes les bouches, celui de Ron DeSantis, le gouverneur de Floride. Ancien grand soutien de Donald Trump, il est notamment connu pour son positionnement idéologique très conservateur. Depuis son élection à la tête de son État en 2019, le natif de Jacksonville a axé sa politique et son discours sur l’opposition farouche à « l’idéologie woke ». Dans ce sens, il a soutenu des législations comme la loi « Don’t say gay » qui interdit toute évocation d’orientation sexuelle et d’identités de genre dans les écoles maternelles et primaires de l’État. Une politique que monsieur DeSantis justifie par sa formule favorite : « Éduquer mais pas endoctriner ». Plus récemment encore, le 27 février 2023, il a signé une loi révoquant le statut spécial du parc d’animation Disney World basé en Floride. Il reproche au conseil d’administration du parc de s’être opposé à sa loi sur l’éducation et aux studios Disney de faire la promotion des idées woke.

Ron De Santis lors d’une conférence de presse le 7 mars 2023. PHIL SEARS/ASSOCIATED PRESS.

Si le fond du discours reste plus ou moins le même, c’est bien la forme qui sépare Donald Trump de son possible challenger. À plusieurs reprises, l’homme de Floride s’est démarqué de l’ancien Président par un style plus posé et conventionnel, le rendant ainsi plus acceptable aux yeux de l’électorat. Alors que Donald Trump électrisait ses partisans à la CPAC, début mars 2023, Ron DeSantis a préféré se consacrer à la promotion de son livre Le courage d’être libre qui a tout d’un manifeste. Il en a aussi profité pour vanter son bilan de gouverneur et adresser au passage une pique à son rival par la formule « No drama in my administration » (« Pas de scandale dans mon administration »). Une manière pour lui d’accentuer le contraste entre son action et les quatre années chaotiques de Donald Trump à la tête du pays.

La guerre des primaires lancée

Pour le moment, Donald Trump demeure largement en tête des sondages (15 points devant Ron DeSantis) alors que seule l’ex-gouverneure de Caroline du Sud, Nikki Haley s’est déclarée candidate et plafonne à 3% des intentions de vote. Encore soutenu par de nombreux cadres du parti comme Majorie Taylor Greene (représentante de Géorgie), le milliardaire new-yorkais tente d’occuper l’espace médiatique. Lors de son discours à la CPAC, il a fustigé les dirigeants du parti qui le soutiennent plus : « Nous avons un parti tenu par des fous, monstres, des néoconservateurs, des mondialistes, des fanatiques de l’ouverture des frontières et des imbéciles. ».

L’ancien Président a également précisé qu’il serait candidat quoi qu’il arrive, et qu’une mise en accusation pour son rôle dans les événements du 6 janvier au Capitole n’y changerait rien. On peut d’ailleurs noter l’absence à ce grand rendez-vous républicain de deux figures du parti ayant tenu tête à l’ancien président : son vice-président Mike Pence qui a accusé le milliardaire d’avoir mis sa vie et celle de sa famille en danger par son discours du 6 janvier 2021, et l’ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, qui a déclaré vouloir « éliminer Trump le plus vite possible du processus de nomination ».

Les primaires républicaines qui s’en viennent pourraient bien se résumer à l’affrontement entre un homme et son parti.

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Matthieu Naudin
La REVUE du CAIUM

Étudiant en Études internationales à l’Université de Montréal. Rédacteur à la revue du CAIUM