ÉTHIOPIE : RÉELLE PAIX POUR LE CONFLIT LE PLUS MEURTRIER DU MONDE ?

Quentin Dassonville
La REVUE du CAIUM
Published in
5 min readMar 10, 2023
Le représentant du gouvernement éthiopien Redwan Hussein (à gauche) et Getachew Reda, celui du Front populaire de libération du Tigré (TPLF GETTY IMAGES / AFP / PHILL MAGAKOE

Le 2 novembre 2022, après plus de 2 ans d’un conflit considéré par l’ONU et les organisations humanitaires comme l’un des conflits les plus meurtriers de la planète, le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed, accompagné de l’armée érythréenne et des forces rebelles tigréennes, sont parvenues à un accord de paix à Pretoria en Afrique du Sud. Ces pourparlers, organisés sous l’égide de l’Union Africaine, mettent un terme à une guerre civile engagée depuis novembre 2020, entre le gouvernement fédéral éthiopien, rejoints par les forces érythréennes, et la région rebelle du Tigré, qui aurait fait plus d’un demi-million de morts et laissant près de 2 millions de civils dans la famine et la misère. Qu’en est-il de la portée réelle de cet accord de paix, de ses origines et de son efficacité après ce conflit méconnu.

Les origines d’un accord de paix essentiel

Crédit: Finbarr O’Reilly, The New Yorks Times

C’était inespéré, pourtant cela a bien eu lieu. Sous la pression internationale et face à un conflit qui n’en finit pas, Addis-Abeba, chef-lieu du gouvernement fédéral, se résout à participer aux pourparlers avec les forces rebelles tigréennes voulus et organisés par l’Union Africaine pour mettre un terme au conflit au Nord du pays. Abiy Ahmed, Premier Ministre et paradoxalement Prix Nobel de la Paix, engageait il y a plus de deux ans, le 4 novembre 2020 une offensive contre la région tigréenne dans le but d’une « reprise en main » de la région s’inscrivant dans la volonté d’Abiy Ahmed d’établir un état central fort. Dès le début du conflit, le gouvernement éthiopien s’allient avec l’Érythrée, une puissance voisine rivale de longue date avec la région rebelle, et qui sera accusée plus tard d’exaction d’envergure sur la population tigréenne. Se met alors en place une guérilla sanglante entre les deux camps qui poussera même Abiy Ahmed à instaurer un blocus contre la région, mettant en péril la vie de nombreux civils en coupant l’arrivée de nourriture, de médicaments, mais aussi les privant de télécommunications, d’internet ou encore de services bancaires. Le camp du Premier Ministre sera, peu après le début de la guerre, accusé de multiples crimes de guerre, contre l’humanité et même de nettoyage ethnique selon Amnesty International. Face à un conflit sans fin, les acteurs du conflit parviennent à se mettre autour de la table des négociations début novembre 2022, ce qui débouchera en un temps record, moins de 48 heures, sur l’accord de Pretoria le 2 novembre 2022. Cet accord historique, salué par la communauté internationale et la population tigréenne reste cependant partiel et laisse planer de nombreuses incertitudes.

Conclusions prudentes pour une paix relative

Seulement, dans les faits, l’accord de Pretoria ne met pas fin à cette guerre sanglante. Pour Makalé, capitale du Tigrée, et ses habitants, les inquiétudes planent toujours.

« On ne sait pas quand cet accord de paix arrivera, la population souffre de la faim, il y a des aides mais pas de médicaments, les gens vivent dans la misère, le blocus doit être levé rapidement » confie cet habitant tigréen. (Voir la vidéo)

Même si peu à peu Addis-Abeba annonce la levée de certaines restrictions du blocus la population reste dans une misère profonde, l’aide internationale ne pouvant toujours pas parvenir à entrer dans certaines zones de la région. Selon l’ONU, les deux ans de guerre ont rendu dépendantes plus de 13,6 millions de personnes aux aides humanitaires dans le nord du pays. L’armée érythréenne joue elle aussi un rôle considérable dans la déstabilisation de la région rebelle, qu’ils étaient censés avoir évacué d’après les récentes déclarations, ce qui n’a pas été confirmé par les signataires ou par les médias, l’accès à la région étant toujours impossible. Cette autonomie décisionnelle par rapport au gouvernement fédéral crée des divisions fortes au sein même du camp du Premier Ministre éthiopien. L’armée érythréenne est également accusée de nombreux crimes de guerre contre la population tigréenne, surtout contre les femmes.

Des réfugiés éthiopiens ayant fui le conflit du Tigré en Éthiopie arrivent en bus près de la frontière éthiopienne © Yasuyoshi CHIBA / AFP

Cette jeune femme tigréenne, Hilina raconte :

« Ils m’ont amenée dans une maison vide. Ils ont sorti une arme et ont dit : « Si tu te tais, nous ne te ferons pas de mal ». Alors, je leur ai dit qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient mais je les ai suppliés de ne pas me tuer. ».

Cette situation particulière reflète une réalité bien plus large, et met en doute la capacité des autorités onusiennes d’enquêter sur les violations de droits humains lors du conflit. Cette intervention de la justice internationale, « pourrait saper le processus de paix dirigé par l’Union africaine et la mise en œuvre de l’accord de paix de Pretoria avec une rhétorique incendiaire » déclare même le ministre des affaires étrangères éthiopien, Demeke Mekonnen, le 15 février sur twitter. Ainsi, les inquiétudes demeurent quant à une réelle stabilité de la paix entre les deux camps dans la région rebelle.

Ainsi, la question reste en suspens : quand la paix sera-t-elle vraiment là ? L’accord historique de Pretoria reste une large avancée entre les deux rivaux et l’apaisement des tensions commence à se concrétiser. La forte propagande et l’information polarisée politiquement du camp d’Abiy Ahmed entravent cependant le processus de paix qui « n’offre pas de feuille de route claire sur la façon dont les crimes de guerre et contre l’humanité soient jugés et néglige l’impunité généralisée dans la pays » selon l’ONG Amnesty International. Les conclusions à tirer de cet accord doivent donc rester prudentes, car il reste évidemment beaucoup à faire.

Pour approfondir :

Agence France-Presse. 2022. Éthiopie : les rebelles du Tigré participeront aux pourparlers de paix en Afrique du Sud. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1926810/afrique-guerre-civil-ethiopie-tigre-negociation-gouvernement

Agence France-Presse. 2022. Le gouvernement éthiopien et les rebelles du Tigré concluent un cessez-le-feu. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1929825/ethiopie-guerre-afrique-accord-cessez-feu

Walsh, Declan. 2021. Et la guerre au Tigré, en Éthiopie, a basculé. https://www.courrierinternational.com/long-format/reportage-et-la-guerre-au-tigre-en-ethiopie-bascule

Byaruhanga, Catherine. 2023. Guerre en Éthiopie dans le Tigré: Des soldats érythréens accusés de viols malgré l’accord. https://www.bbc.com/afrique/region-64654706

Amnesty International. 2022. Nettoyage ethnique en Éthiopie : « nous vous effacerons de cette Terre ». https://www.amnesty.fr/conflits-armes-et-populations/actualites/ethiopie-nettoyage-ethnique-tigre-occidental

Africanews avec AFP. 2022. Éthiopie : satisfaction prudente après l’accord de paix au Tigré. https://fr.africanews.com/2022/11/04/ethiopie-satisfaction-prudente-apres-laccord-de-paix-au-tigre/

Fayoumi, Wahoub. 2023. Éthiopie: l’accord met-il vraiment fin à la guerre au Tigré? https://www.rtbf.be/article/ethiopie-laccord-de-paix-met-il-vraiment-fin-a-la-guerre-au-tigre-11135364

France 24. 2022. Conflit dans la région du Tigré : vers la fin de deux ans de guerre en Éthiopie ? https://www.youtube.com/watch?v=Kg91HW8-Go8

Le Monde. 2022. Éthiopie : la guerre d’un Nobel de la Paix. https://www.youtube.com/watch?v=GOzw489TxpY

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Quentin Dassonville
La REVUE du CAIUM

Etudiant en baccalauréat de Science Politique à l'Université de Montréal - Rédacteur pour la revue du CAIUM