Analyse de la construction de l’architecture chinoise de surveillance; When Big data is flirting with Big Brother

« No system of mass surveillance has existed in any society that we know of this point that has not been abused » Edward Snowden

Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM
5 min readOct 6, 2018

--

Depuis les dernières années, le gouvernement chinois redouble d’efforts afin de mieux surveiller et contrôler sa population. Qualifiée de kafkaïen, la réputation des autorités chinoises n’est plus à faire. L’installation de milliers de caméras de surveillance dans les grandes villes a été largement médiatisée. Plus récemment, l’annoncent d’une nouvelle politique de notation des citoyens inquiète les ONG et les praticiens du droit. L’article qui suit se veut une analyse critique de la nouvelle cote citoyenne au regard du droit international public, plus spécialement des droits de l’homme.

Utilisation des big data comme instrument de contrôle social

Digne d’un épisode de la célèbre série télévisée étatsunienne Black Mirror ; l’État chinois met sur place depuis 2014 une nouvelle politique publique visant à octroyer une cote sociale (digital social credit) à ses habitants. Le projet intitulé planning outline for the economic and social of the people’s Republic of China est conceptualisé sur plusieurs paliers [1]. Cependant, dans le cadre de cet article, nous nous intéressons principalement au côté social du système de notation faisant un pied de nez aux droits humains fondamentaux. Initialement appliqué uniquement aux entreprises, le système de notation était une initiative du gouvernement chinois afin de combattre la corruption et rétablir le lien de confiance avec les investisseurs étrangers. En ce sens,

« Queensland University of Technology researcher Meg Jing Zeng has said that while the social credit system can be used to punish political dissenters such as journalist Liu Hu, it may have positive benefits for Chinese citizens because government officials can be blacklisted for corrupt behaviour. »

A contrario, les dérives de cette « politique de confiance » ont entrainé l’installation de millions de caméras de surveillance à reconnaissance faciale. Le zèle de contrôle est à un point tel qu’il devient impossible de poser un geste aussi banal que de traverser la rue sur un feu rouge sans se faire prendre. Nicholas Belequin, directeur régional pour Amnesty International, est très préoccupé de l’ampleur de la construction de cette immense base de données à reconnaissance faciale [2]. Plusieurs sources ont rapporté que le système de reconnaissance faciale permet la projection de la photo de la personne ayant, par exemple, traversé la rue sur un feu de signalisation rouge sur des écrans postés aux différents carrefours routiers de la ville [3].

Source: Le Figaro

D’un point de vue juridique, l’art. 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) ainsi que l’art.17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) protègent les individus contre « les immixtions arbitraires ou illégales dans [la] vie privée » [4]. Toutefois, il ne faut pas oublier que ces instruments ont une portée limitée puisqu’il s’agit de soft law [5]. En ajout à cela, la position stratégique de la Chine sur le conseil de sécurité des Nations Unies rend épineuses toutes les questions de sanctions internationales.

Le fonctionnement du système de cote citoyenne

Bien que méthodologiquement très peu dévoilé au grand public, nous comprenons que ce nouveau système se base sur les habitudes dites « bonnes » versus les « mauvaises » qualifiées selon l’appréciation du gouvernement de Xi Jinping. À l’aide d’un système de notation développé par l’entreprise Alibaba (le géant du commerce en ligne chinois) et de l’entreprise de crédit Sésame, les citoyens sont évalués afin d’obtenir le maximum de point possible et, ainsi, obtenir une « bonne cote ». Surréaliste, mais pourtant vrai, le gouvernement chinois a annoncé l’effectivité de ce programme à compter de 2020. Basées sur les données comportementales économiques, politiques et sociales, les meilleures notes donneront accès à des restaurants plus prisés, certains transports, une réduction du temps d’attente dans les hôpitaux, certains emplois et de meilleures écoles [6]. A contrario, selon le quotidien français Le Figaro, les individus ayant obtenu un mauvais pointage se retrouvent sur une liste noire pouvant causer certaines restrictions, dont une interdiction d’acheter des billets d’avions ou de train pour une période déterminée [7]. Il sied de mentionner que les notes sont aussi influencées par les fréquentations des individus. En ce sens, un citoyen ouvertement opposé au régime chinois peut influencer les cotes des membres de son entourage. Nous pouvons donc aisément imaginer le contrôle et la censure que cela engendrera aux individus opposés à la dogmatique idéologique du régime chinois. S’ajoutant au cortège de violation des droits humains, dont la liberté d’expression et la protection de la vie privée, le système de notation citoyenne est la représentation extrême des dangers liés à la manipulation des métadonnées.

Pour conclure, l’État chinois a mis sur pied un nouveau programme afin de récompenser ou punir les « bons » ou les « mauvais » comportements de sa population. Qualifié de « menace systémique pour les droits humains » par l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International. Ce système faisant immixtion dans la vie privée des citoyens est contre le droit international et inquiète sérieusement les ONG [8]. En terminant, il y a lieu de se questionner plus sérieusement sur la récupération des métadonnées dans un contexte de protection de la vie privée.

Références

[1] Arsène, Séverine, « Le gouvernement chinois exploite habilement ce que nous ont appris les réseaux sociaux », Le monde, 2017.

[2] « En Chine l’intelligence artificielle au service de l’État policier », En ligne, https://www.franceculture.fr/emissions/le-choix-de-la-redaction/le-choix-de-la-redaction-du-lundi-30-avril-2018, consulté le 2 octobre 2018.

[3] Leplâtre, Simon, «En Chine les citoyens sous surveillance », Le monde, juin 2018.

[4] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 17, 16 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 17.

[5] Cazala, Julien. « « Le Soft Law international entre inspiration et aspiration » », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. volume 66, no. 1, 2011, pp. 41–84.

[6] Munro, Kelsey, China’s social credit system could interfere in other nations’ sovereignty, The Guardian, juin 2018.

[7] Trujilo, Elsa, La Chine commence déjà à mettre ne place son système de notation des citoyens prévu pour 2020, Le Figaro, mars 2018.

[8] Bequelin, Nicholas, « Chine. La loi sur la surveillance est une menace systémique pour les droits humains », Amnesty international, mars 2018.

--

--

Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM

Titulaire d’un baccalauréat en science politique spécialisé en relations internationales. Actuellement candidate à la maîtrise en droit international (L.LM).