Après le Brexit et Trump, l’AECG
Ce texte a été soumis par Claire Bigand, Bachelière en études internationales à l’Université de Montréal. Présentement candidate à la maîtrise en affaires publiques et internationales de l’École des affaires publiques et internationales du campus Glendon — York University et présidente de l’association des élèves à la MAPI.
Décidément, un vent souffle en défaveur des échanges multilatéraux depuis quelques temps.
L’année 2016 fut marquée par le choc historique créé par le départ du Royaume-Uni de l’Union Européenne; le fameux « Brexit », abréviation de British Exit. Nous en connaissons les grandes lignes, soit de mettre en place quelques barrières à l’immigration et prêcher une pensée populiste. Avant de renégocier des accords commerciaux avec l’Union européenne et d’autres pays, le Royaume-Uni devra endurer des factures salées et tâchera de se repositionner sur l’échiquier mondial, en tant que pion unique.
De l’autre côté de l’océan, les Américains ont élu à leur tête Donald Trump, celui qui prône une rhétorique plus ou moins claire sur le protectionnisme. Chose est sûre : l’accord de l’ALENA entre le Canada, les États-Unis et le Mexique sera renégocié, et plusieurs idées telles que la baisse du taux d’imposition des entreprises américaines (plus compétitives que les entreprises canadiennes donc) inquiètent les Canadiens. À noter que le nouveau Président a signé un décret consacrant le retrait des États-Unis au Partenariat transpacifique (PTP) dès son entrée en poste en janvier 2017.
Pour plusieurs, l’Accord économique et commercial global (AECG) est la meilleure riposte à ce virage des politiques commerciales. Les circonstances actuelles sont propices à un renouveau de l’architecture économique et il faut agir dès maintenant. Le Canada et l’Union européenne sont prêts.
Enfin, le sont-ils vraiment?
Initié depuis déjà près de 10 ans, l’AECG sort enfin de l’ombre et fut signé en octobre 2016. Le Parlement européen a approuvé le 15 février 2017 le traité économique par un vote de 408 à 254. Maintenant, le Parlement canadien doit se prononcer dans les prochaines semaines pour que le traité soit appliqué provisoirement, non pas sans controverse.
Impatience, angoisse, excitation, incompréhension, voilà le cocktail d’émotions qui accompagne chaque article, chaque conférence de presse sur le sujet, et peut-être est-ce normal après tout.
Dans le cadre des Débats internationaux du campus Glendon de l’Université York, le 24 mars 2017 dernier, l’ambassadeur de France au Canada Nicolas Chapuis a bien souligné que l’AECG est perçu comme un accord innovateur de sa génération, unissant deux économies déjà mûres sous l’égide d’un trio gagnant : les États, les entreprises et les citoyens.
Il a souligné, comme ses homologues Jakob von Weizsäcker, Membre du Parlement européen pour la Thuringe et István Mikola, Ministre d’État chargé de la politique de sécurité et de la coopération internationale en Hongrie, que tout est une question de valeurs. Bien plus qu’alliés, le Canada et l’Union européenne sont des défenseurs de la démocratie et de la coopération environnementale, sociale et sanitaire. Plus que jamais, ils visent à harmoniser leurs idéaux commerciaux en créant des ponts plutôt que des murs.
À cette même soirée, Candace Sider, Vice-Présidente des affaires réglementaires à Société internationale de Livingston, a ajouté que les bénéfices projetés cibleront les consommateurs de la classe moyenne, et non les voitures BMW. De quoi faire sourire ou questionner plusieurs. Qu’entend-t-on par classe moyenne? C’est une classification à la fois diffuse et adaptée au caractère national. Peut-on réellement parler d’homogénéité similaire pour les citoyens de ce marché de 500 millions de consommateurs?
Les quatre invités mentionnés précédemment ont tous renchérit que la modification du mécanisme d’arbitrage de contentieux entre les entreprises et les États de l’AECG est un pas vers le progrès. Bien que présent dans plusieurs traités internationaux, le tribunal d’arbitrage du présent accord sera permanent et tâchera de nommer des juges et avocats publics, exempts de potentiels conflits d’intérêts.
Global, progressiste, équitable. Les mots ne manquent pas pour décrire les mesures de l’AECG.
Bien entendu, comme dans tout débat, certaines coquilles doivent être reconnues. Angella MacEwen, économiste principale au Congrès du travail du Canada, n’a pas hésité à pointer du doigt la vulnérabilité de la fonction publique et la non-représentation des travailleurs au sein du projet de loi C-30 (mise en œuvre de l’AECG). Au cours de cette soirée, elle a insisté que certaines décisions de l’accord sont soumises de manière non-démocratiques et surtout, que le Canada doit être en mesure d’identifier qui seront les perdants et comment les compenser.
De quoi nous ramener vers les idées du prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz et le potentiel danger du triangle ‘accord commercial non équitable-inégalités-globalisation’ :
globalization, if managed for the 1 percent, provides a mechanism that simultaneously facilitates tax avoidance and imposes pressures that give the 1 percent the upper hand, not only in bargaining . . . but also in politics. Increasingly, not only have jobs been offshored but so, in a sense, has politics.
Bien que les syndicats, organisations non gouvernementales (ONG) et entreprises privées furent consultés durant les négociations, certains individus (et même États européens) ne sont toujours pas rassasiés. Ne serait-ce qu’avec la protection des services et l’application des normes alimentaires, la sécurité sociale des travailleurs, ou bien le mécanisme du tribunal d’arbitrage qui ne permet pas aux États de porter plainte aux investisseurs étrangers pour question de conformité au droit national.
Les plus optimistes persistent à croire que l’AECG respectera la sensibilité des pays respectifs et tâchera d’offrir une chance égale à tous. Oui, l’accord ne sera probablement pas parfait aux dires de von Weizsäcker, mais une situation sans l’AECG serait très loin d’être parfaite. Candace Sider ajoute même qu’il ne faut pas négliger les risques, mais que les opportunités dépassent largement ces risques.
À prendre ou à laisser, voilà la question.
Le débat au campus Glendon fut un exemple, parmi plusieurs, de toute l’importance accordée à cet accord. Les débats sont là, les débats existent.
La tendance protectionniste de Trump, le retrait définitif du Royaume-Uni, la progression d’un accord interprovincial au Canada et la ratification par les 38 parlements nationaux et régionaux de l’Union européenne seront d’importants éléments à suivre dans toute cette histoire.
En attendant, je vous conseille une lecture de chevet très agréable : les 2 344 pages du texte de l’Accord économique et commercial global.