Brexit: le Japon à la rescousse?

Jean Bardon-Debats
La REVUE du CAIUM
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6 min readOct 8, 2020

Alors que le Royaume-Uni tente désespérément de trouver un nouvel accord avec l’Union européenne (UE), la ministre britannique du Commerce international Elizabeth Truss annonçait, le 11 septembre dernier, la conclusion d’un accord commercial « majeur » avec le Japon. Pourquoi est-ce une bonne nouvelle?

Boris Johnson serrant la main d’un robot à Tokyo. Photo: Ambassade britannique à Tokyo.

D epuis le 31 janvier, le Royaume-Uni ne fait officiellement plus partie de l’UE. Une période de transition s’étendant jusqu’au 31 décembre 2020 avait alors été posée pour négocier un nouvel accord de libre-échange entre les deux parties. Plusieurs mois et une pandémie plus tard, Londres et Tokyo signent un accord qui va « bien plus loin que celui existant [avec l’UE] » selon la ministre Truss.

Un petit pas vers le Japon

Bien que le commerce avec son partenaire asiatique n’ait représenté que 2% de ses échanges globaux en 2019, le Royaume-Uni est satisfait d’avoir trouvé un terrain d’entente pour 2021. Concrètement, ce que prévoit cet accord n’est pas particulièrement novateur. Il va permettre aux entreprises britanniques d’être exonérées de droits de douanes à hauteur de 99% de leurs exportations vers le Japon. Les secteurs qui en tireront essentiellement avantage sont l’industrie, l’agroalimentaire et la technologie. Cette entente doit permettre d’augmenter les échanges commerciaux avec le Japon de 15 milliards de livres. Le vrai bénéfice que peut espérer Londres à long terme, c’est de pouvoir éventuellement rejoindre l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (APTGP), dont le Japon fait partie. En effet, cet accord élargirait considérablement l’horizon britannique dans le Pacifique et permettrait de compenser dans une moindre mesure les pertes qu’engendrerait un “no deal” avec les Européens.

Cependant, les Britanniques sont bien conscients que l’essentiel du travail réside justement dans la négociation avec Bruxelles. Le directeur général de la Chambre de commerce britannique, Adam Marshall, a d’ailleurs déclaré que « si cet accord mérite sans aucun doute d’être célébré, la conclusion d’un accord de libre-échange avec l’UE reste essentielle pour l’avenir des entreprises au Royaume-Uni. » Malgré la brise d’optimisme qui traverse les Britanniques à l’annonce de cet accord de principe, le doute quant à la tournure que risque de prendre l’accord avec l’UE a de quoi les préoccuper. Adam Marshall complète en demandant « instamment aux ministres de redoubler d’efforts pour parvenir à un partenariat global avec notre principal partenaire commercial à un moment crucial des négociations. »

Le premier ministre britannique, Boris Johnson, signant le divorce du Royaume-Uni avec l’Union européenne, le 24 janvier dernier. Photo: Galerie officielle du Premier ministre.

Négociations au point mort avec Bruxelles

Après plusieurs années et deux premiers ministres, il convient désormais pour Londres de trouver un terrain d’entente avec Bruxelles. En bon langage automobile, secteur-clé de l’industrie britannique, on pourrait dire que le temps est venu d’embrayer. Cela fait trop longtemps que les discussions n’aboutissent pas et le temps presse. Les points sujets à divergence sont encore nombreux alors que l’échéance pour régler ces questions se rapproche de semaines en semaines. Le chef européen des négociations, Michel Barnier, déclarait il y a quelques jours que « pour entrer dans un tunnel, il faut avoir de la lumière au bout. On n’y est pas encore. »

Parmi les sujets de discorde, la pêche provoque un blocage. La plupart des États européens ayant une façade littorale souhaitent, dans le cadre des négociations, pouvoir continuer à exploiter les ressources halieutiques dans les eaux britanniques. Seulement, Londres ne semble pas disposée à faire de concessions sur ce point-ci alors que l’UE en fait son fer de lance. Un ultimatum a d’ailleurs été lancé par Bruxelles, fixant le 15 octobre comme échéance pour se mettre d’accord pour la pêche, sinon l’UE est prête à aller au “no deal”.

De surcroît, alors que l’une des plus grosses zones d’ombre semblait avoir été éclaircie en début d’année avec le remplacement du “backstop” par un double régime douanier en Irlande du Nord, le Parlement britannique a remis la question sur la table avec l’approbation du projet de loi sur le marché intérieur le 29 septembre dernier. En effet, ce projet de loi prévoit de possibles dérogations à l’accord de divorce conclu avec Bruxelles en début d’année pour encadrer la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

Ce nouveau rebondissement a de quoi faire tiquer les Vingt-Sept alors que les deux parties entrent dans la phase critique des négociations. À ajouter à cela que Boris Johnson a de nouveau confirmé qu’il était également prêt à aller jusqu’au “no deal” si la situation n’évoluait pas dans le sens de son gouvernement d’ici le 15 octobre.

“No deal” idéal ?

Coup de bluff ou pas, cette victoire à la Pyrrhus serait catastrophique pour Londres puisque faute de consensus, ce serait les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’appliqueraient, soit des droits de douane élevés. D’après les chiffres du ministère du Commerce international britannique, le commerce entre l’UE et le Royaume-Uni représentait 49% du volume global du commerce de celui-ci en 2018.

Selon Thomas Sampson, économiste à la London School of Economics (LSE), un Brexit sans accord « pourrait être plus coûteux que la Covid-19 » car de fait, là où la pandémie est passagère, les conséquences subséquentes d’une sortie sans accord auraient un impact significatif à long terme pour l’économie britannique.

Que ce soit Londres ou Bruxelles, tout le monde risque de perdre des plumes si un accord n’est pas trouvé. Boris Johnson avance pourtant que cette option serait « une bonne issue » pour le Royaume-Uni. Un autre économiste de la LSE, Josh de Lyon, rapporte que le « [no deal] pourrait encore accroître les inégalités au Royaume-Uni » car il affecterait directement le pouvoir d’achat des ménages britanniques. La majorité des produits alimentaires vendue en grandes surfaces est importée des pays de l’UE. L’économie ayant déjà été sévèrement touchée par la crise due à la Covid-19, cela représenterait une autre difficulté pour les consommateurs britanniques.

Toutefois, si les négociations venaient à buter au 31 décembre, la période de transition pourrait être prolongée pour une durée maximale de deux ans, soit jusqu’en décembre 2022.

En somme, le chemin reste encore long pour pouvoir espérer la conclusion d’un accord de libre-échange consensuel post-Brexit. Le contexte de pandémie et la récession qui l’accompagne ne facilitent pas les choses. À court terme, les chances qu’un accord avec l’UE voient le jour avant le 31 décembre 2020 sont minces. Pouvant compter sur le Japon dès 2021, le Royaume-Uni se doit de trouver d’autres accords, notamment avec les États-Unis, sans faire d’importantes concessions pour autant; le tout pour pouvoir espérer atteindre l’objectif du Global Britain, credo du gouvernement conservateur depuis le début du Brexit.

Pour approfondir

BBC. 2020. “UK signs first major post-Brexit trade deal with Japan”. https://www.bbc.com/news/business-54116606

BBC. 2020. “Brexit: What trade deals has the UK done so far?”. https://www.bbc.com/news/uk-47213842

AFP. 2020. “Droits de douanes : le Royaume-Uni conclut son premier accord commercial majeur post-Brexit avec le Japon”. La Tribune. https://www.latribune.fr/economie/international/droits-de-douanes-le-royaume-uni-conclut-son-premier-accord-commercial-majeur-post-brexit-avec-le-japon-856943.html

La Tribune. 2020. “Après le Japon, quels autres accords commerciaux pour le Royaume-Uni ?”. https://www.latribune.fr/economie/international/apres-le-japon-quels-autres-accords-commerciaux-pour-le-royaume-uni-856970.html

La Tribune. 2020. “Pandémie puis Brexit sans accord ? Le Royaume-Uni risque un double choc”. https://www.latribune.fr/economie/international/pandemie-puis-brexit-sans-accord-le-royaume-uni-risque-un-double-choc-856741.html

Courrier international. 2020. “Le Royaume-Uni conclut avec le Japon son premier accord commercial post-Brexit”. https://www.courrierinternational.com/article/economie-le-royaume-uni-conclut-avec-le-japon-son-premier-accord-commercial-post-brexit

Radio-Canada. 2020. “Accord post-Brexit : Boris Johnson brandit la menace pour devancer l’échéancier”. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1731917/brexit-boris-johnson-no-deal-accord-commercial-europe-transition

Le Monde. 2020. “Le Brexit, du référendum à la sortie de l’UE… et les scénarios qui ne sont pas arrivés”. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/01/28/le-brexit-en-50-etapes-du-referendum-a-la-sortie-de-l-ue-et-autres-scenarios-contrefactuels_6027479_4355770.html

Reuters. 2020. “Brexit: Les Communes ont adopté le projet de loi contesté à Bruxelles sur le marché intérieur”. Challenges. https://www.challenges.fr/top-news/brexit-les-communes-ont-adopte-le-projet-de-loi-conteste-a-bruxelles-sur-le-marche-interieur_729538

Toute l’Europe. 2020. “Brexit : l’accord de sortie “Johnson/UE” en 8 points clés”. https://www.touteleurope.eu/actualite/brexit-l-accord-de-sortie-johnsonue-en-8-points-cles.html

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Jean Bardon-Debats
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Étudiant en deuxième année au baccalauréat d’études internationales, je me passionne pour l’actualité et les enjeux internationaux.