En Cisjordanie, des colonies israéliennes contraires au droit international

À l’occasion du dévoilement du plan de Donald Trump pour le Proche-Orient, le 28 janvier dernier, retour sur ces colonies qui pourraient être officiellement annexées à l’État d’israël.

Manon Bourhis
La REVUE du CAIUM
7 min readFeb 4, 2020

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Le président américain Donal Trump et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le 28 janvier. Photo : Doug Mills/The New York Times

Le secrétaire d’État des États-Unis, Mike Pompeo, annonçait fin novembre 2019 que « l’établissement de colonies de civils israéliens en Cisjordanie n’est pas en soi contraire au droit international » [1]. Le 28 janvier 2020, l’administration Trump a de nouveau nouveau provoqué l’ire du camp palestinien en annonçant son plan de « paix » pour la région, qui fait de Jérusalem la capitale « indivisible » d’Israël, entérinant ainsi les ambitions territoriales de Benjamin Netanyahu.

Les colonies israéliennes sont des groupes israéliens installées en Cisjordanie, où vit une majorité de Palestiniens. L’établissement de ces colonies remonte majoritairement à 1967, à la suite de la guerre des Six Jours opposant les camps israélien et palestinien.

Selon l’association Peace Now, qui a pour but de trouver une solution de paix durable au conflit israélo-palestinien, trois raisons majeures expliquent cet exode. La première concerne l’idée que certaines colonies revendiquent l’ensemble de la terre sainte juive, incluant autant le territoire israélien que le territoire palestinien.

Une deuxième raison majeure est celle que des communautés religieuses souhaiteraient vivre à l’écart des sociétés modernes en choisissant le territoire cisjordanien. Enfin la dernière raison concerne le coût élevé de la vie en Israël, poussant plusieurs habitants à quitter le territoire.

En l’espace de 50 ans, la population israélienne en Cisjordanie est passé d’environ 1000 à presque 400 000 personnes [2]. Cette augmentation drastique soulève des débats au sein la communauté internationale.

Évolution des frontières du territoire palestinien au cours du temps.

Le non-respect des Accords d’Oslo

Le peu de colonies israéliennes s’étant installées en Cisjordanie avant les accords d’Oslo ne serait pas illégal, selon le droit international [2]. Signés entre 1993 et 1995, les accords d’Oslo ont été le fruit des négociations entre le président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, et le premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, qui voulaient officiellement attribuer un statut aux Palestiniens. Par ce statut officiel, la gouvernance de la bande de Gaza et celle du territoire cisjordanien leur était donné.

Mais à la suite de l’assassinat d’Yitzhak Rabin quelques mois plus tard, les accords d’Oslo n’ont jamais été réellement respectés [3]. Son assassin, un extrémiste juif, le considérait comme un traître, du fait qu’il voulait la paix entre Israël et la Palestine. Les colonies israéliennes ont donc continué à faire tache d’huile sans que rien puisse réellement les arrêter.

L’Organisation des Nations Unies (ONU) a d’ailleurs toujours refusé de reconnaître ces colonies, qui constituent, selon plusieurs, une contrainte majeure au processus de paix entre Israël et la Palestine, qui voit son territoire se réduire constamment [5].

Un soutien de Trump pour Netanyahou

Cette nouvelle annonce de la part de l’administration de Trump n’émane pas du hasard. Elle fait notamment suite au déplacement, en 2017, de l’ambassade américaine à Jérusalem, ville sur le territoire cisjordanien [5]. Or Jérusalem a toujours été au coeur du conflit israélo-palestinien en raison de son statut de ville sainte pour les juifs et les musulmans. Les deux nations la considèrent comme la capitale de leur État [6]. En plus d’affirmer que Jérusalem et le Golan syrien font partie du territoire israélien, Washington ne considère plus comme illégales les colonies israéliennes installées en Cisjordanie.

Il faut dire que cette nouvelle considération fait écho à celle de l’administration de Ronald Reagan qui, en 1981, avait contesté l’illégalité de ces colonies. L’annonce des États-Unis a été grandement saluée par le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui considérait cet acte comme un « reflet d’une vérité historique » [7]. Rappelons que celui qui est dans le collimateur de la justice israélienne pour corruption, fraude et abus de confiance avait annoncé, en avril 2019, qu’il souhaitait annexer les colonies israéliennes en Cisjordanie à son propre État [8].

C’est donc dire que le président Trump a donné donc un sérieux coup de pouce — un autre — au premier ministre israélien actuel Benyamin Netanyahou, qui peinait toujours à trouver un terrain d’entente pour créer un gouvernement de coalition. Il risquait d’y avoir des réélections législatives si Benyamin Netanyahou et Benny Gantz son adversaire ne parvenaient pas à s’entendre [5]. Le premier ministre n’ayant d’ailleurs pas réussi à former un gouvernement, de nouvelles élections sont prévues en mars 2020 [9]. Cette prise de décision apporte également des bénéfices pour Trump. En effet, en reconnaissant les colonies israéliennes en Cisjordanie, Trump rallie les chrétiens évangéliques. Ces derniers, qui présentent une grande partie de l’électorat républicain, tentent depuis des années de légitimer les colonies israéliennes, pour des motifs religieux.

Les positions européennes et canadiennes

Les premiers à réagir à la suite de cette annonce ont été les autorités palestiniennes qui ont fermement condamné cette nouvelle prise de position américaine. Celles-ci ont déclaré que « la poursuite de la colonisation, les déclarations de soutien de la part de responsables américains et les incitations à la haine de la part des ministres israéliens ont signé la fin de la solution à deux États et de tout rôle américain dans la région » [5]. Les autorités palestiniennes n’étaient pas seules à condamner la prise de décision unilatérale de la part des États-Unis : l’Union européenne a également affirmé que les colonies israéliennes en Cisjordanie étaient contraires au droit international et au processus de paix entre les deux États [7].

Le Canada a exceptionnellement pris position contre l’État d’Israël, remettant donc en cause le soutien indéfectible qu’Ottawa manifestait depuis longtemps vis-à-vis de l’État hébreu. Rappelons que depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre canadien Paul Martin, le Canada s’est toujours rallié au camp des États-Unis et de l’État d’Israël à l’ONU. Une position qui a pris un tournant, le 19 novembre dernier, alors que le Canada a voté « oui » à l’autodétermination des Palestiniens au siège des Nations Unies. Justin Trudeau a déclaré que « le gouvernement a estimé qu’il était important de réitérer son engagement en faveur d’une solution “deux États pour deux peuples” à un moment où ses perspectives semblent de plus en plus menacées. » [11].

L’administration canadienne a justifié cette décision en soutenant qu’elle ne changeait en rien leur sympathie envers Israël. Ce vote servirait plutôt à favoriser le droit à l’autodétermination des peuples [11]. Cependant, il faut également noter que le Canada est candidat au Conseil de sécurité de l’ONU, qui sera élu en 2021. Et en prenant cette décision, il se range donc du côté de l’Union européenne en se mettant donc au même niveau que ses concurrents, l’Irlande et la Norvège [12]. En effet, les pays européens ont tendance à toujours voter favorablement aux propositions faites par l’ONU concernant les droits des Palestiniens.

[1] Paris, Gilles. 2019. « Colonies israéliennes : derrière la décision de Donald Trump, des enjeux politiques intérieures » Le Monde. En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/19/colonies-israeliennes-derriere-la-decision-de-trump-des-enjeux-de-politique-interieure-et-la-poursuite-d-une-diplomatie-de-rupture_6019662_3210.html

[2] Breteau, Pierre. 2017. « Colonies israéliennes en Cisjordanie : près d’un demi-siècle d’installation illégales ». Le Monde. En ligne : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/01/04/colonies-israeliennes-en-cisjordanie-pres-d-un-demi-siecle-d-installations-illegales_5057764_4355770.html

[3] Les accords d’Oslo, bases et développement. 2019. Arte. En ligne : https://info.arte.tv/fr/les-accords-doslo-bases-et-developpements

[4] Laroche-Signorile Véronique et Gélie Philippe. 2015. « Yitzhak Rabin, assassiné en 1995 par un extrémiste juif “sous l’ordre de Dieu” ». Le Figaro. En ligne : https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2015/11/04/26010-20151104ARTFIG00110-yitzhak-rabin-assassine-en-1995-par-un-extremiste-juif-sur-l-ordre-de-dieu.php

[5] Rossignol, Aurélie. 2018. « Cisjordanie : tout comprendre aux colonies israéliennes ». Le Parisien. En ligne : http://www.leparisien.fr/international/cisjordanie-tout-comprendre-aux-colonies-issraeliennes-24-05-2018-7733487.php

[6] Khady LO, Ndèye. 2017. « Pourquoi Jérusalem est importante ». BBC. En ligne : https://www.bbc.com/afrique/monde-42263235

[7] AFP. 2019. « Cisjordanie : les colonies israéliennes ne sont plus illégales, selon Washington ». Le Point. En ligne : https://www.lepoint.fr/monde/cisjordanie-les-colonies-israeliennes-ne-sont-plus-illegales-pour-washington-18-11-2019-2348149_24.php#

[8] AFP. 2019. « Israël : Netanyahou affirme vouloir annexer les colonies de Cisjordanie ». Le Parisien. En ligne : http://www.leparisien.fr/international/israel-netanyahou-affirme-vouloir-annexer-les-colonies-de-cisjordanie-07-04-2019-8048220.php

[9] AFP. 2019. « Israël : retour aux urnes en mars ». Le Point. En ligne : https://www.lepoint.fr/monde/israel-de-nouvelles-elections-prevues-en-mars-11-12-2019-2352724_24.php

[10] Landau, Noa. 2019. « After Jerusalem and the Golan Heights, the Latest Trump Statement Isn’t Going to Make Settlements Legal » Ha’Aretz. En ligne : https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-the-latest-trump-statement-isn-t-going-to-make-settlements-legal-1.8139556

[11] Parent, Stéphane. 2019. « Le soutien du Canada à Israël est inébranlable, se défend Justin Trudeau ». Radio Canada International. En ligne : https://www.rcinet.ca/fr/2019/12/11/le-soutien-du-canada-a-israel-est-inebranlable-se-defend-justin-[12] Marquis, Mélanie. 2019. « Malaise autour d’un vote du Canada contre Israël aux Nations Unies » La Presse. En ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/politique/201911/29/01-5251851-malaise-autour-dun-vote-du-canada-contre-israel-aux-nations-unies.php

[13] Perreault, Laura-Julie. 2019. « Conflit israélo-palestinien : le Canada retrouve sa voix à l’ONU ». La Presse. En ligne : https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/201911/22/01-5250865-conflit-israelo-palestinien-le-canada-retrouve-sa-voix-a-lonu.php

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Manon Bourhis
La REVUE du CAIUM

Étudiante en sciences politiques à l’Université de Montréal, rédactrice au CAIUM