Comprendre la crise vénézuélienne

La crise politique, économique et humanitaire qui secoue l’État sud-américain ne cesse d’inquiéter les ONG et les observateurs internationaux. L‘instabilité, aux allures de chaos général, est une catastrophe internationale importante dont l’apparition spontanée est plus difficile à expliquer que par de simples mots comme “corruption” ou “usure politique”. Comment, et pourquoi, le Venezuela s’est-il retrouvé au bord du gouffre politique?

Mathias Boutin
La REVUE du CAIUM
8 min readSep 7, 2017

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Un manifestant anti-gouvernement, à Caracas. Crédit photo : ALEJANDRO CEGARRA/USN&WR via USNEWS

Malgré l’immense pression populaire qui a précipité des millions de Vénézuéliens dans la rue, pancartes à la main, le controversé président Nicolas Maduro a, la semaine dernière, confirmé la mise sur pied de l’Assemblée constituante. Condamné par plus de 21 pays, dont le Canada, le nouveau corps législatif a l’autorité de dissoudre les institutions publiques, réécrire la constitution nationale et défendre le pays contre ce que le président Maduro a qualifié d’insurrection armée.

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a qualifié la semaine dernière l’évènement d’un ‘’pas de plus dans la descente vers un autoritarisme institutionnalisé’’. Les États-Unis ont quant à eux imposé une nouvelle série de sanctions sur le président lui-même, alors que les mesures précédentes avaient plutôt visé des figures éminentes dans l’administration Maduro.

Depuis le mois d’avril dernier, des manifestations violentes et meurtrières se déroulent partout dans les rues des grandes villes à travers le pays, dénonçant le cheminement autoritaire du gouvernement Maduro. Ce grand mouvement lancé suite à une décision controversée d’un juge pro-Maduro de la Cour Suprême du pays, qui avait retiré à l’Assemblée nationale ses pouvoirs législatifs, n’a cessé de prendre de l’ampleur. Bien que rapidement annulée, la décision a mis le feu aux poudres, alimentant l’opposition politique qui a demandé au peuple de prendre la rue et de contester l’autorité et la légitimité du maintien au pouvoir de Maduro. Confrontés aux forces de l’ordre et aux milices pro-gouvernement, les collectivos, les manifestations ont pris une tournure d’affrontements urbains violents.

Des manifestants affrontent les forces du gouvernement, à Caracas. Crédit photo : CHRISTIAN VERON/REUTERS via CNBC

Ces affrontements, devenus violents, ont causé la mort d’un peu plus d’une centaine de citoyens vénézuéliens en plus d’une série d’arrestations, dont celle très médiatisée des leaders d’opposition Leopoldo Lopez et du maire de Caracas Antonio Ledezma, expulsés de leurs demeures respectives par les services secrets du gouvernement.

Comprendre la crise

Alors que la menace d’une guerre civile plane sur le pays, il est important de prendre le recul nécessaire dans le but de comprendre l’origine de cette crise. Durant les années 1990, le Venezuela de Chavez connaissait une croissance fulgurante, soutenue largement par une industrie pétrolière en plein essor. C’est évidemment là que réside le problème du pays : fortement appuyée sur la rente pétrolière, l’économie vénézuélienne peine à se diversifier et à résister aux fluctuations des prix de l’or noir.

Hugo Chavez en 1998. Source : Getty Images

C’est une de ces chutes qui a d’ailleurs permis à Hugo Chavez de prendre les reines du pays en 1998, s’appuyant sur une plateforme qui visait l’enrichissement d’une classe démunie délaissée par les revenus du pétrole.

Fort d’un appui populaire immense, Chavez nationalise les industries clés de l’économie vénézuélienne, dont le pétrole, et tente une révolution agraire permettant ainsi de faire accéder à la propriété terrienne de nombreux ouvriers agricoles. Les banques sont elles aussi nationalisées pour permettre de financer un large programme de redistribution économique. Les revenus découlant de la nationalisation permirent de constituer un véritable État social qui s’illustra par de généreux programmes sociaux, alimentant encore plus le support populaire du président.

Alors qu’à l’époque, 90% des revenus de l’État dépendaient des exportations pétrolières, l’administration du gouvernement Chavez a cherché à prévenir les effets catastrophiques qu’aurait une chute des prix du pétrole. En instaurant un taux de change fixe, le gouvernement parvint à maintenir les prix des produits importés suffisamment bas pour le commun des Vénézuéliens. Bien que bénéfique pour le citoyen, ce taux de change artificiel eut un effet dévastateur sur les industries locales non nationalisées : demeurer compétitif devenait quasiment impossible.

Nicolas Maduro, actuel président du Venezuela. Crédit photo :

Lorsqu’en mars 2013 s’éteignit Hugo Chavez, Nicolas Maduro prit le pouvoir, fort de l’endossement du défunt président. Arriva alors le scénario catastrophe tant redouté : les prix du pétrole chutèrent dramatiquement, leur valeur étant réduite de moitié. L’effet sur l’économie du pays fut l’équivalent d’une bombe au napalm dans un champs de blé sec.

L’inflation monstre dont fut victime le pays peut rappeler la crise de la dette qui avait secoué le continent quelques décennies plus tôt, ou encore celle de la République de Weimar suite au traité de Versailles. Projetée à plus de 2068% d’ici la fin de l’année 2018, l’hyperinflation a durement frappé la classe moyenne vénézuélienne. Pour alimenter la rage de la population, notez que seul le cercle d’amis du président bénéficie encore du taux de change fixe : les autres sont essentiellement laissés à eux-mêmes, forcés de payer le prix fort pour des biens de subsistance.

Les conséquences furent nombreuses pour les citoyens du pays. Ceux qui n’avaient pas assez d’argent pour quitter ont dû apprendre à vivre dans un pays complètement dévasté par une économie en chute libre. Les hôpitaux remplis et les rues devenues dangereuses, des milliers de jeunes vénézuéliens émigrèrent vers les pays frontaliers. Des réseaux de contrebande de biens comme de personnes commencèrent à s’imbriquer dans les structures sociales et ainsi criminaliser des pans entiers de la société.

Autrement dit, le climat était prompt à la révolte sous un gouvernement incompétent et insensible aux demandes d’une population en plein émoi.
La création la semaine dernière de l’Assemblée constituante, dont les nombreuses irrégularités ont été dénoncées par l’opposition et la communauté internationale, fait craindre le pire. Munie de pouvoirs législatifs immenses, on s’attend à ce qu’elle fasse essentiellement disparaître l’Assemblée nationale, dernier bastion démocratique dans laquelle l’opposition peut politiquement s’exprimer, alors que les cours de justice et le cabinet sont soumis à Nicolas Maduro.

Lorsque cette dernière tribune disparaitra et que l’opposition sera effectivement bâillonnée, il est inquiétant de se demander si c’est par la bouche de leurs carabines qu’une population fâchée et affamée cherchera à se faire entendre. Diosdado Capello, homme militaire fortement opposé à Maduro, est un des plus importants courtiers du pouvoir au Venezuela. Plusieurs experts politiques craignent que si l’Assemblée constituante procède à l’élimination de l’Assemblée nationale, cette excuse serve à marginaliser Maduro suffisamment pour permettre à Cabello de mettre l’engrenage final dans la machine de la guerre civile.

Une désillusion qui fait mal : une société en État de choc

Lorsque le comandante Hugo Chavez a rendu l’âme en 2013, le peuple vénézuélien a pleuré la mort d’un leader charismatique. Mais bien plus que cela, le pays a entamé une ère d’introspection inquiétante sur les tenants et aboutissants des idéaux bolivariens et des procédés qui les accompagnent. C’est que les contradictions brutales à l’intérieur même du projet chaviste ne pouvaient être écartées que par une puissante figure d’autorité.

Hugo Chavez parvenait à articuler, à balancer et à modérer le projet du pays. Le « chavisme », idéologie derrière le mouvement engendré par l’ex-président du pays, est difficile à cerner et à expliquer, en ce sens où il est difficile d’affirmer qu’il transcende le défunt homme politique. Maduro, lui, n’a pas la carte du charisme dans son jeu et, dès son élection, les révolutionnaires — autrefois fervents disciples de cette idéologie — se sont mis à réaliser la précarité du mouvement.

Poussée par une opposition unie qui a failli remporter l’élection de 2013 et qu’a remportée Maduro par une faible avance, la majorité des chavistes ont quitté le navire. Alors qu’auparavant ils pouvaient appuyer leurs croyances et leurs rêves sur une forte figure, le nouveau paysage, libre des illusions présentées par Chavez, a révélé la catastrophe à venir. Les défis ainsi étalés au grand jour requièrent une série de solutions que le gouvernement actuel n’a pas les capacités d’appliquer.

Régler la crise vénézuélienne est un problème aux facettes multiples — chacune aussi complexe que l’autre. Le pays fait face à une possible famine généralisée, à une crise des réfugiés rappelant celle en Syrie, à une guerre civile qui serait dévastatrice pour la région en plus d’une possible disparition des acquis démocratiques du Venezuela. Et il semble clair que le gouvernement du pays s’est déjà prouvé incapable de régler la situation. La question se pose : qui, alors, et comment?

L’Organisation des États américains (OÉA) a récemment appelé le gouvernement Maduro a tenir des élections libres en plus de relâcher les nombreux prisonniers politiques qu’il a emprisonnés et de permettre la mise en place d’une mission humanitaire afin de réduire le stress sur les institutions affaiblies du pays. L’OÉA est cependant menotté par les alliés de Maduro, notamment la Bolivie et l’Équateur, qui refusent de faire passer les besoins humanitaires des Vénézuéliens devant leurs besoins pétroliers.
La menace d’une escalade des conflits internes jumelés à une dégradation des conditions de vie à l’intérieur du pays ont poussé certains États, notamment le Pérou, a demander haut et fort la tenue d’une rencontre internationale sur le sujet.

Aux États-Unis, les intérêts pétroliers des politiques américains parlent fort. Plusieurs têtes d’affiche militent ardemment pour l’imposition de sanctions qui bénéficieront aux portefeuilles des magnats de l’industrie nationaux. Contrebalançant ces puissants intérêts privés, des experts en affaires étrangères s’élèvent régulièrement, prévenant l’administration Trump des dangers d’une intervention unilatérale américaine en Amérique latine : l’arrêt soudain des achats par les États-Unis du pétrole vénézuélien pourrait créer un antagonisme avec l’Oncle Sam, ouvrant la porte à la Russie ou à la Chine pour venir assoir leur influence politique dans la cour arrière du pays de Trump.

L’éventualité d’une guerre civile est à considérer. L’armée vénézuélienne, pilier du régime, soutient toujours le gouvernement de Maduro, mais, qu’adviendrait-il si ses effectifs défectaient pour rejoindre les manifestants ?En août dernier, une base de l’armée a été victime d’une attaque d’un groupe paramilitaire dont le leader, un lieutenant déserteur de l’armée, s’était déclaré en rébellion ouverte contre Maduro et exigeait le rétablissement et le respect de la Constitution. Cet évènement, pour le moment isolé, est peut-être le préambule d’un phénomène plus imposant. L’intransigeance du gouvernement pourrait bien mener l’opposition à prendre les armes. On verrait alors émerger des mouvements paramilitaires à travers le pays menant à la militarisation du conflit politique. La paix au Venezuela serait alors sérieusement compromise en même temps que la stabilité de toute la région.

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