Conflit au Sahara occidental, une perte sèche pour le Maghreb

Albert Delmas
La REVUE du CAIUM
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6 min readJan 19, 2023

C’est l’histoire d’un conflit long de 50 ans qui prend place dans une très grande bande de sable. Peu mis en valeur sur les cartes, cet immense désert (superficie équivalente à celle du Royaume-Uni) est l’objet d’un contentieux qui empêche la formation d’une zone de libre-échange et un Maghreb uni : le Sahara occidental. Un conflit entre Sahraouis (peuple et tribus nomades) et Marocains qui a lieu sur les terres de l’ancien protectorat espagnol (le Sahara espagnol). Une affaire qui remonte au temps de la décolonisation du territoire (années 70) et dont on ne voit toujours pas le dénouement. Point de focus sur l’évolution du conflit et l’émergence du Maroc comme puissance régionale.

Le Maroc contrôle 80% du territoire et le Front Polisario 20% (partie orientale). L’Algérie est un acteur important, soutien du Polisario et terre d’accueil des réfugiés sahraouis (notamment à Tindouf). Le mur des Sables (“The Berm”) est la frontière militarisée entre les deux camps. Crédit : The Economist

La situation historique

Le Sahara occidental est le territoire sur lequel s’est exercé le protectorat espagnol (1884–1975), divisé en deux régions : Seguia el-Hamra au nord et Río de Oro au sud. Le Maroc voisin quant à lui était dominé par la France qui a mis en place un protectorat sur le pays (1912–1956). L’indépendance du royaume chérifien en 1956 a donc lieu dans une région morcelée par les deux puissances coloniales. Une résistance du peuple sahraouie se met en place contre l’occupant espagnol (guérilla) et dans cet objectif anticolonial naît en 1973 le Front Polisario, mouvement nationaliste sahraoui et de tendance socialiste.

L’occupant espagnol est affaibli et le Sahara est revendiqué par le Maroc. En 1975, l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice, malgré des éléments historiques qui montrent une certaine allégeance des chefs de tribus sahraouis au Sultan du Maroc, ne reconnaît pas la souveraineté territoriale du Maroc sur ce territoire. En réaction, le roi du Maroc et vingt et unième monarque de la dynastie alaouite Hassan II lance à la télévision un appel à son peuple : la marche verte (aux couleurs de l’Islam). Une véritable démonstration de force, 350 000 Marocains déferlent sur les terres du Sahara de manière pacifique. C’est une très grande réussite pour le royaume chérifien qui pousse les Espagnols à la négociation, rompant toutes les promesses d’engagement faites au peuple sahraoui. Les accords de Madrid de novembre 1975 accordent les deux tiers du territoire saharien au Maroc au Nord et le tiers restant à la Mauritanie au Sud. En février 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) est proclamée au lendemain du retrait total des Espagnols, lançant le début du conflit armé. Malgré la supériorité technique et militaire marocaine, les combats avec le Polisario (soutenu lui-même par l’Algérie) s’enlisent. La Mauritanie est rapidement défaite par le Polisario et se retire de l’affaire saharienne. Le Maroc entame dans les années 80 la construction d’un mur de sable long de 2500 km et jonché de mines (100 000 soldats furent affectés à la surveillance). Ce mur assure un contrôle marocain de 80% du territoire du Sahara et empêche l’avancée militaire du Polisario.

Ainsi, la situation est bloquée depuis le cessez-le-feu de 1991. Le référendum d’autodétermination porté par l’ONU comme porte de sortie du conflit est défendu en principe par les deux parties marocaine et sahraouie, mais il a été reporté plusieurs fois et finalement n’a jamais vu le jour en raison de désaccords sur la potentielle liste des votants. Certains spécialistes considèrent que le référendum est la seule issue possible de du conflit mais force est de constater qu’aucune des deux parties ne semblent vouloir lâcher du leste. En effet, le résultat potentiel de ce scrutin serait contesté ; de plus, les différents mouvements de population (réfugiés sahraouis en Algérie, implantation de Marocains au Sud) ont modifié la situation socio-démographique du territoire. Sur le terrain les conditions sont donc peu propices à l’autodétermination et le royaume marocain n’a aucun intérêt de mettre en jeu sa domination sur le Sahara occidental (qu’il contrôle à 80%).

Du point de vue de l’ONU, le Sahara Occidental est toujours un « territoire non-autonome », un statut datant de 1963 (à l’époque de la colonisation espagnole) et sur demande du Maroc, signifiant que le territoire n’a pas été décolonisé.

Une entrave à la formation d’un Maghreb uni

La situation dans cette immense bande de terre bloque la formation d’un Maghreb politique uni et fort. L’Union du Maghreb Arabe (UMA) regroupe depuis 1989 les 5 pays de la région : Algérie, Maroc, Libye, Tunisie, Mauritanie. Mais cette organisation est l’œuvre d’une paralysie politique totale et n’a débouché sur aucun projet d’envergure, la cause du blocage étant le dossier du Sahara occidental.

La principale raison de ce blocage tient aux relations politiques exécrables entre l’Algérie et le Maroc. Les dirigeants des deux pays se vouent une hostilité mutuelle depuis leurs indépendances. Malgré l’harmonie entre les deux peuples, la frontière terrestre entre les deux pays est fermée depuis 1994, empêchant toute relation commerciale. Les projets transnationaux ne peuvent se réaliser, à l’image du train transmaghrébin (Maroc-Algérie-Tunis), serpent de mer sans réelle volonté politique. Les trois pays ne dégagent aucune stratégie commune d’intégration régionale, privilégiant donc des partenaires extérieurs pour leurs échanges commerciaux (notamment l’UE). La proximité culturelle et la langue commune ne peuvent rien face aux hostilités politiques. Les échanges commerciaux des 5 pays de l’UMA ne représentent que 3% des leurs échanges globaux. C’est un manque à gagner estimé à plusieurs milliards de dollars chaque année.

Émergence du Maroc comme puissance régionale

Le Maroc utilise le conflit comme levier diplomatique et émerge ces dernières années comme une puissance régionale. Le Sahara occidental est une cause nationale au Maroc et une union politique sacrée qui dépassait toutes les franges politiques déjà du temps du très puissant roi Hassan II. C’est aussi un territoire qui regorge de ressources naturelles (phosphate, gaz) et halieutiques (eaux poissonneuses abondantes) qui sont essentiellement situées dans la partie occidentale de ce désert et exploitées par le Maroc. Le Makhzen met en place une politique d’investissements massifs et de réductions fiscales dans ses « provinces du Sud » (terme employé par Mohammed VI pour parler du Sahara Occidental administré par le Maroc) afin d’encourager les Marocains à s’y implanter.

Le royaume sait monnayer diplomatiquement l’enjeu du Sahara occidental. C’est la politique du « avec ou contre nous », une ligne dure et pragmatique. Elle contient une partie de troc : Rabat a normalisé ses relations diplomatiques avec l’état d’Israël (à l’instar des Émirats arabes unis et Bahreïn) en échange du soutien des Etats-Unis au plan d’autonomie marocain sur le Sahara. D’autre part, le royaume n’hésite pas à s’engager dans des bras de fers bilatéraux. L’hospitalisation du chef du Front Polisario Brahim Ghali en Espagne, le 28 avril 2021, a été le déclencheur d’une crise diplomatique d’un an entre Rabat et Madrid. Le royaume chérifien a utilisé le levier migratoire comme moyen de pression aux portes des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla (relâchement des contrôles aux frontières). Le gouvernement espagnol de Pedro Sánchez a fait volte-face sur le sujet du Sahara et soutient désormais la proposition marocaine sur le Sahara occidental, un fléchissement diplomatique d’envergure qui a provoqué l’ire des dirigeants algériens. La France, dont les relations avec Rabat se sont dégradées depuis un an, fait aussi en partie les frais de sa volonté de renouer avec Alger.

7 avril 2022, après un an de bras de fer, rupture du jeûn (repas de l’iftar, période du ramadan) et réconcilliation entre Pedro Sánchez et Mohammed VI. Crédit : Le Monde

En somme, le conflit au Sahara occidental est un grand frein au développement du Maghreb. À défaut de déchaîner les passions de l’opinion internationale, un trait paradoxal si l’on compare l’émoi suscité par les peuples sans État au Proche et Moyen-Orient (Palestiniens et Kurdes), ce conflit a une haute importance dans la paralysie politique du Maghreb et entrave fortement son développement économique. La cassure entre l’Algérie et le Maroc est profonde, aucun des deux pays ne semblant enclin, dans un avenir proche, à avancer et porter la voie d’une solution globale. Bien que toute la région pâtisse de ce manque de volonté politique, le Maroc tire au mieux son épingle du jeu en engrangeant les soutiens politiques occidentaux et bénéficie des ressources de ce territoire. Par ailleurs, ce conflit est une illustration supplémentaire d’un conflit où il est fait fi des solutions onusiennes et de certains principes du droit international. Un énième statu quo stérile qui profite au plus puissant.

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Etudiant en Etudes internationales et rédacteur au sein du Comité des affaires internationales de l'Université de Montréal. Alumnus du réseau AEFE (Tunisie).