Airwaste express : Les déchets internationaux

Nos déchets ne se volatilisent pas mais ils s’envolent bien parfois. État des lieux sur le rôle du droit et la place du consommateur dans ce puissant marché.

Eva Murith
La REVUE du CAIUM
9 min readOct 31, 2018

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L’aviation

Depuis le premier vol passager transatlantique du 28 juin 1939, nombreux sont ceux ayant pu réaliser leur rêve de traversée du ciel, d’envol jusqu’à l’autre bout du monde.

Source : http://unpieddanslesnuages.com

Nous payons nos billets bien moins chers aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Et si de nombreuses améliorations techniques sont à la source de cette réduction, c’est certainement au prix de certains sacrifices environnementaux.

Lorsqu’on s’intéresse à la pollution induite par l’aviation, nous pensons souvent au CO2 générée par les carburants [1]. Il y a pourtant un paramètre dont l’enjeu n’est souligné que rarement : les déchets internationaux.

Traitement national d’un objet international

Selon la Directive québécoise relative aux déchets internationaux, il s’agit de tous « les déchets retirés des aéronefs et des bateaux arrivant au Canada en provenance de l’étranger », donc de tout ce qui ressort de l’avion (bouteilles, gobelets en plastiques, cuillères, fourchettes et autres ustensiles, bref, tout ce que l’on utilise à bord). Au gré des annexes, cette directive retrace la route des déchets internationaux : une fois arrivés au sol, ceux-ci seront transportés vers des « sites d’incinération en vue de l’élimination des déchets internationaux » [2] où ils seront « entièrement réduit en cendre » [3]. Le règlement est clair à ce sujet : « aucun déchet ne peut être retiré du site » [4].

Vous avez dit incinérateur mon cher ?

Source : « Faisceau laser vert sur les fumées d’un incinérateur d’Ivry-sur-Seine en région parisienne » : http://liste1.e-monsite.com

Après avoir découvert que « les incinérateurs d’ordures ménagères émettaient des concentrations importantes de dioxines et de furannes, composés toxiques formés suite à la combustion de produits chlorés » [5] et que la combustion du plastique produirait de nombreuses émissions pouvant comprendre certaines toxines, dont le mercure, les dioxines et les furanes [6], on a pointé du doigt l’impact environnemental de ces usines. Un durcissement des règles portant sur la combustion des déchets a alors permis de rendre plus rentable un processus de « Valorisation » [7] de la combustion des déchets : les usines serviront souvent ensuite à générer de l’électricité ou de la chaleur [8].

Un procédé amélioré, mais qui pour certains, à l’instar de Joan Marc Simon, président exécutif de Zero Waste Europe et Coordinateur régional de GAIA, constitue un moyen déculpabilisant de générer plus de déchet : le fait de savoir que ces déchets disparaitront légitimerait davantage leur production. Selon lui, sans l’incinération, la plupart des pays européens pourraient « augmenter leur taux de recyclage de 20 ou 30%, jusqu’à 80% en 6 mois » [9]. Pour plus d’information au sujet de ces usines, on renverra le lecteur curieux vers d’autres articles [10].

Revenons à nos avions…

Au Québec, tout ce qui sortira de l’avion sera brulé : l’ensemble des ustensiles en plastiques utilisés, mais aussi ceux qui n’ont pas été employés. Le sac ouvert contenant des dizaines de gobelets non usés devra lui aussi être incinéré. Tout ce qui est comestible, au risque d’être infecté, sera brulé : les bouteilles ouvertes dont le contenu n’a pas été terminé, les plats non consommés encore emballés…

Et tout ça, ça en fait de la poussière de matières premières.

Les entreprises savent depuis longtemps se coordonner sur des bases de « Soft Law », une sorte de droit global qu’elles génèrent par le biais d’accords, d’ententes et de règlements tirant leur force contraignante de jeux de pouvoir ; le droit international n’a quant à lui aucune place pour contraindre celles-ci. Ainsi, bien que pouvant être considéré comme des déchets « mondialisés », l’ensemble des détritus générés par ces entreprises est géré nationalement.

Droit international environnemental ou droit global économique des déchets ?

Le droit international a donc une place limitée dans la gestion des déchets internationaux et leur circulation. Il existe néanmoins quelques documents pertinents au sujet des déchets : la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets et autres matières de 1972, la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination [11] de 1989 ou encore la Décision C(2001)107/FINAL de l’OCDE. L’ensemble de ces documents concerne l’élimination et le mouvement des déchets entre États.

On retrouve aussi MARPOL 73/78 (abrégé de l’expression anglaise : « Marine Pollution »). La Convention de 1973 et son Protocole de 1978 ont pour but d’éliminer la pollution en mer par le pétrole, les produits chimiques et autres substances nocives, réduire les déversements accidentels de pétroles par les navires et améliorer la prévention et le contrôle de la pollution en mer du fait des navires. En 2002, 121 États étaient parties à la Convention, 35 ont adopté des exceptions à certaines annexes.

Source : “Le marché français et européen des déchets” www.lesechos-etudes.fr

Pour certains, comme les professeurs Olivier Barsalou et Michael Hennessy Picard [12], ces documents ont permis la création d’une forme de marché international du déchet : le NASDAQ prévoit l’émergence d’un marché global de management des déchets solides d’une valeur d’environ 1, 296 milliards de dollars entre 2017 et 2022 [13].

Il semblerait que « l’objectif premier [des textes internationaux] ne soit pas la protection de l’environnement, mais le management et la marchandisation des externalités industrielles »[14]. Le droit international environnemental, qualifié parfois de « waste law »[15], transforme la valeur négative des déchets internationaux en une valeur économique positive : n’ayant pas de définition substantielle du terme « déchet » [16], on en recycle une définition économique. Le déchet devient objet dont on peut disposer [17].

Le professeur d’économie Derek Kallenberg ressort de ses modélisations macro-économiques sur le marché des déchets que « chaque 1% de détérioration dans la régulation environnementale d’un État par rapport à son partenaire commercial bilatéral entraine une augmentation de 0,32% de l’importation de déchet en provenance de ce partenaire commercial » [18]. Bref, lorsque deux pays ont passé une entente commerciale, chaque fois que les normes environnementales de l’un s’assouplissent, la quantité de déchets que lui envoie l’autre augmente. Ainsi les déchets sont traités de manières plus dangereuses pour l’environnement, au risque de graves problèmes écologiques [19].

Il ressort également de cette étude que les pays du « Nord global » sont ceux ayant les normes environnementales les plus strictes et corrélativement, ceux exportant le plus de déchets (avec notamment les États-Unis qui ont exporté 28 millions de tonnes de déchets en 2004 [20]). À l’inverse, la Chine, la Turquie et la Corée étaient en 2004 les États importants le plus de déchets. Ces chiffres risquent de changer significativement depuis que la Chine a durci ses critères d’entrée des déchets du monde [21].

Source : photographe Zoran Milich, pour le National Géographic

Alors, comme le rappellent les professeurs : « depuis que la planète a été entièrement colonisée par les déchets — du plastique en Arctique aux déchets électroniques au Nigéria — l’éloignement des déchets n’est plus une solution possible au sein du processus de civilisation » [22].

La création d’un tel marché de la poubelle est rendue possible par des instruments internationaux prévoyant leur circulation. Qu’en serait-il si on règlementait non plus leur circulation, mais la production de déchet elle-même ?

En reprenant notre exemple concernant les avions, si de telles normes limitant la production de déchets existaient, les compagnies aériennes ne seraient-elles pas contraintes de trouver des solutions plus écologiques pour le service de bord ? Par exemple, procéder au service dans des contenants en verres (verres et tasses pour la boisson, repas dans des plats en verre…). Cette solution, plus rentable pour l’environnement, l’est également bien plus pour la santé des usagers. En effet, nombreuses sont les études démontrant les dégâts que le plastique peut causer à nos organismes [23]. Également, il pourrait être possible de choisir le plat désiré au moment de la réservation du vol afin d’éviter d’embarquer des quantités de nourriture en surplus qui ne seront pas mangées, mais brulées.

Doux rêve que celui d’assister à l’avènement d’un tel droit ? Peut-être pas si chimérique que ça en fait.

La place du client : Rois de l’Empire de la Consommation

À l’image de l’État qui a besoin des votes citoyens pour conserver sa légitimité et continuer à fonctionner, n’existe-t-il pas un lien tout aussi puissant entre l’entreprise et le consentement du consommateur ? En effet, celles-ci n’ont-elles pas besoin de notre accord résultant de nos choix de consommation pour conserver leur part de marché ?

Et si notre pouvoir démocratique ne se reflétait plus aujourd’hui au travers d’un billet de vote, mais bien en fonction de nos choix de consommation ?

Références

[1] Voir par exemple le rapport de l’agence européenne de l’environnement, en ligne : https://www.eea.europa.eu/media/infographics/co2-emissions-from-passenger-transport/view .
voir aussi au sujet l’article de Julia PEREZ, « L’avion, champion du monde de la pollution », blog de l’OMPE : http://www.ompe.org/lavion-champion-de-la-pollution/

[2] Directive relative aux déchets internationaux, annexe 5 : « Exigences d’approbation des itinéraires et des sites d’incinération en vue de l’élimination des déchets internationaux ».

[3] Directive relative aux déchets internationaux, annexe 5. II. 2. Sur les « exigences d’approbation d’un site d’incinération par l’ACIA ».

[4] Directive relative aux déchets internationaux, annexe 5. II. 6.

[5]Gérard GOSSELIN, « MÉMOIRE TECHNIQUE, “L’incinération des ordures ménagères au Québec comme source d’électricité et de vapeur” », 2004, en ligne : http://www.regie-energie.qc.ca/audiences/3526-04/MemoiresParticip3526/Memoire_ABGGTechnologies_21avril04.pdf

[6] David SUZUKI, « L’incinération des déchets gaspille nos ressources », en ligne : https://fr.davidsuzuki.org/blogues/lincineration-dechets-gaspille-nos-ressources/

[7] Dernière réponse à la gestion des déchets de l’abrévation 3RV : « Réduction, Réutilisation, Recyclage, Valorisation ». Pour mieux comprendre cette règle de gestion des déchets voir en ligne : http://www.co-eco.org/section.php?p=92

[8] Voir le rapport de Henri PRÉVOT, « La récupération de l’énergie issue du traitement des déchets », Juillet 2000, en ligne : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/014000625.pdf

[9] Nate SELTENRICH, « Is incineration holding back recycling? », 2013, en ligne : https://www.theguardian.com/environment/2013/aug/29/incineration-recycling-europe-debate-trash

[10] Voir notamment l’article du blog de la Fondation Suzuki au sujet : David SUZUKI, « L’incinération des déchets gaspille nos ressources », en ligne : https://fr.davidsuzuki.org/blogues/lincineration-dechets-gaspille-nos-ressources/ ; Voir également l’article de Nathalie MAYER, « Incinération des déchets : avantages et inconvénients », en ligne : https://www.futura-sciences.com/sante/questions-reponses/sante-incineration-dechets-avantages-inconvenients-6355/ ; Enfin, voir le site de radio-Canada sur le sujet des incinérateurs : http://poubelleprovince.radio-canada.ca/Traitement-des-dechets/Les-incinerateurs .

[11] Il y a également : La Convention de Rotterdam sur le consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques dangereux faisant l’objet d’un commerce international de 1998, ainsi que La Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP) de 2001.

[12]Olivier BASALOU et Michael HENNESSY PICARD, « International Environmental Law in an Era of Globalized Waste », Chinese Journal of International Law, Oxford Academic, 17–3, 2018 pp. 887–906.

[13] Olivier BASALOU et Michael HENNESSY PICARD, préc., note 14, à la page 888. Voir aussi : l’étude Global Solid Waste Management Market — Analysis and Forecast (2016–2022), Febuary 2017, en ligne : https://www.researchandmarkets.com/reports/4084650/global-solid-waste-management-market-analysis

[14] Olivier BASALOU et Michael HENNESSY PICARD, préc., note 14, à la page 897.

[15] Jason W. MOORE, « Capitalism in the Web of Life » (2015) : « International environmental law is waste law in a world where waste has become a global commodity ».

[16] Le Oxford Handbook of International Environmental Law n’y fait même pas même référence.

[17] Convention de Bâle, 1989, Art. 2.1 et 10.2.

[18] Derek KELLENBERG, « Trading Wastes », Journal of Environmental Economics and Management, 64 (2012) 68–87, p. 84

[19] Derek KELLENBERG, « Trading Wastes », Journal of Environmental Economics and Management, 64 (2012) 68–87, p. 83.

[20] Le Canada arrive en 8ième position avec 6,910,000 tonnes exportées en 2004, juste après la France et la Hollande.

[21] Yuan YUAN, « La Chine ne veut plus être la poubelle du monde », 2018, Courrier international, en ligne : https://www.courrierinternational.com/article/recyclage-la-chine-ne-veut-plus-etre-la-poubelle-du-monde

[22] Olivier BASALOU et Michael HENNESSY PICARD, préc., note 14, à la page 906.

[23] Il existe de nombreuses études a ce sujet, nous proposons de renvoyer le lecteur au guide pratique expliquant l’impact de chaque plastique sur la santé (en 2008) d’Elise RÉMY écrit en collaboration avec l’Institut national d’information en santé environnementale, en ligne : https://www.cegepjonquiere.ca/media/tinymce/Menu%20de%20gauche/Environnement/cace-guide-plastiques.pdf

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