COP26, le fiasco de Glasgow?

Retour sur une conférence mitigée

Julie Beylier
La REVUE du CAIUM
7 min readDec 2, 2021

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Photo: Paul Ellis, AFP via Getty Images

« Je suis profondément désolé. Je comprends aussi la profonde déception ».

Ainsi s’exprimait le président de la COP26, Alok Sharma, au moment de clôturer la 26e conférence mondiale sur le climat, le 13 novembre dernier. Pourquoi donc une telle amertume? Décryptage des enjeux et du bilan de la conférence de Glasgow sur le changement climatique.

La COP, acronyme pour la Conférence des Parties, est une réunion annuelle des 197 signataires de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992. Pendant deux semaines, ces États échangent et négocient sur des sujets stratégiques dans le but de coordonner les actions internationales de lutte contre le changement climatique. La COP26, qui était la 26e édition des COP, s’est déroulée à Glasgow, en Écosse, du 31 octobre au 13 novembre 2021.

Comprendre les enjeux derrière cette conférence requiert un saut dans le temps. En 2015, la COP21 a donné naissance à l’Accord de Paris sur le climat. L’objectif était de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de la barre des 2 degrés Celsius, et de préférence limiter celle-ci à 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, ce qui réduirait considérablement les impacts du réchauffement climatique. Pour les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), cet engagement nécessite la décarbonisation complète de l’économie globale entre 2040 et 2060. L’Accord de Paris a donc pour but de fixer des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre par les États membres, qui devront être revues à la hausse tous les cinq ans.

Voici donc six ans plus tard la COP26, reportée d’un an en raison de la crise sanitaire. Cette conférence était la première à enjoindre les États à rehausser leurs ambitions climatiques pour les années à venir. Elle faisait également suite à un été marqué par des événements climatiques extrêmes dans le monde tels que les dômes de chaleur en Amérique du Nord et les fortes inondations en Europe et en Asie, ainsi qu’à la publication d’un nouveau rapport du GIEC. Ce document stipulait que les politiques actuelles menaient l’humanité tout droit vers un réchauffement à 2,7, voire 3 degrés Celsius d’ici la fin du siècle. Une prédiction qui est bien loin de l’objectif fixé par l’Accord de Paris, et qui aurait des conséquences catastrophiques pour l’humanité.

« Si nous continuons ainsi, les températures continueront à s’élever, entraînant encore plus d’inondations catastrophiques, de feux de brousse, de phénomènes météorologiques extrêmes et de destructions d’espèces », prévient le document de présentation officiel de la COP26. Maintenir en vie l’objectif des 1,5 degré Celsius de réchauffement, voilà quel était le but de cette conférence.

Un pacte de Glasgow largement insuffisant

Généralement, les négociations lors d’une conférence pour le climat incluent l’adoption du texte principal, soit, dans le cas de la COP26 le Pacte de Glasgow, et la formation de coalitions volontaires. Dans ce Pacte, les États membres sont appelés à relever leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre plus régulièrement que prévu dans l’Accord de Paris, et ce, dès 2022. Néanmoins, la possibilité d’aménagements pour « circonstances nationales particulières » évoquée dans le texte est perçue comme une dérogation dans bien des pays, ce qui remet en question les ambitions réelles et la crédibilité du texte adopté à l’issue de la conférence.

Selon les experts, le Pacte de Glasgow n’est pas suffisant pour limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius, car l’actualisation des contributions nationalement déterminées au niveau national demeure trop faible. Et même si ces engagements se concrétisent, les émissions de gaz à effet de serre globales continueront d’augmenter d’ici à 2030, alors qu’une réduction de 45% des émissions globales sur la même période est nécessaire pour espérer modifier la trajectoire actuelle.

Des engagements intéressants, mais peu crédibles à court terme

En ce qui concerne les coalitions volontaires, une centaine de pays se sont engagés à réduire d’au moins 30% leurs émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre d’ici 2030. Cette initiative regroupe plusieurs États, dont les États-Unis, l’Union européenne, le Brésil ou encore l’Indonésie, qui étaient parmi les 10 plus grands émetteurs de méthane en 2019. Une soixantaine d’États, dont l’Inde et le Brésil, ont quant à eux promis la neutralité carbone pour 2070.

Une douzaine de pays, à l’initiative du Danemark et du Costa Rica, ont lancé la coalition Beyond oil and gas dans le but de favoriser la transition hors de ces énergies fossiles. Aucun des grands producteurs de pétrole n’a pour le moment rejoint le projet. Enfin, lors d’une déclaration commune, la Chine et les États-Unis ont fait part de leur volonté politique de coopérer, « reconnaissant la gravité et l’urgence de la crise climatique ».

Ces engagements demeurent toutefois vagues et sans présentation précise de mise en œuvre par les différentes parties. La question de leur crédibilité est donc soulevée, d’autant plus que les précédents ne jouent pas en faveur des États. Selon un rapport du Climate Action Tracker, sur 36 pays analysés, la Gambie est le seul pays à respecter ses promesses de 2015. C’est ici que le multilatéralisme climatique dévoile ses faiblesses. Il n’existe aucune « police du climat » pour vérifier que les États respectent bien leurs engagements, et les sanctionner dans le cas inverse. L’adoption universelle de l’Accord de Paris sur le climat s’explique d’ailleurs en grande partie par son cadre peu contraignant. Comme aucun mécanisme de vérification ou de sanction n’est prévu par le texte, sa mise en application repose entièrement sur la bonne volonté des États souverains.

Un autre rendez-vous manqué pour la justice climatique

En plus de tenter d’atténuer le réchauffement climatique, les États doivent dès aujourd’hui s’y adapter. En outre, l’été dernier a démontré que les conséquences du changement climatique ne se conjuguent désormais plus au futur, mais bien au présent.

Alors que les pays développés sont responsables de la très grande majorité des émissions de gaz à effet de serre, ce sont les pays les moins développés et donc les moins adaptables aux changements climatiques qui sont les premiers touchés. Cette double inégalité pose donc un problème de justice environnementale. En 2009, lors de la conférence de Copenhague, les pays développés s’étaient engagés à porter à 100 milliards de dollars par année d’ici 2020 l’aide aux pays du Sud. Cette compensation financière a pour but d’aider les pays plus pauvres à s’adapter aux bouleversements climatiques, ainsi qu’à mettre en place une voie de développement décarbonée.

Onze ans plus tard, le compte n’y est pas : l’aide n’atteignait que 79,6 milliards de dollars en 2019, selon les derniers chiffres de l’OCDE publiés en septembre 2021. Honorer la promesse des 100 milliards était donc un des enjeux majeurs discutés lors de la conférence de Glasgow, et d’après un nouveau plan de livraison proposé par les pays riches, elle ne devrait être atteinte qu’à partir de 2023. En outre, cette aide financière semble déjà bien inférieure aux besoins réels des pays les plus vulnérables, dont les estimations avancent une somme nécessaire de 300 milliards de dollars par an d’ici l’horizon 2030.

La COP, un flop?

Ce dernier point dépend des lunettes que l’on choisit de porter. Si l’on considérait la COP26 comme la conférence de la dernière chance pour l’humanité, alors la réponse est inévitablement oui. En revanche, si l’on estime que la conférence de Glasgow est une étape supplémentaire dans le processus de négociation climatique et que sans celle-ci, la situation serait encore plus catastrophique, alors un brin d’espoir pour l’avenir est permis.

Pour la première fois, une prise en compte plus explicite des connaissances scientifiques a pu être observée, de même qu’un consensus sur la réalité du changement climatique, sur la responsabilité des activités humaines, ainsi que sur la nécessité de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Ce consensus entre les États existait à peine il y a 15 ans. La mention des énergies fossiles dans un texte final, qui sont à l’origine du réchauffement climatique, est également inédite. Ce terme n’apparaît pas dans l’Accord de Paris. Certes, la Chine et l’Inde ont transformé le clap de fin en claque de fin en remplaçant les mots « abandon du charbon » par « diminution du charbon », mais leurs économies dépendent complètement de cette ressource. Leur marge de manœuvre est donc restreinte, et désigner ces pays comme les mauvais élèves reviendrait à oublier que le charbon a pendant très longtemps été la base du développement économique des pays occidentaux.

26e conférence. 26 ans que 196 États souverains se réunissent et dialoguent pour tenter d’avancer dans la même direction. Le multilatéralisme climatique est lent et complexe, mais ces réunions ne font que poser un cadre pour les États parties. La réalité des efforts climatiques se joue entre les conférences. De nombreux engagements ont été pris pendant la COP26 et sans processus de vérification venant d’en haut, la société civile a un rôle à jouer. La transparence des États devient ici un enjeu majeur et il apparaît primordial de s’en rappeler lorsqu’on pense aux « efforts climatiques» du Canada pour respecter l’Accord de Paris. Effectivement, si tous les États l’imitaient, l’humanité vivrait bien au-delà de 1,5 degré en 2100.

Rendez-vous donc l’année prochaine, à Sharm el-Sheikh en Égypte lors de la COP27, pour voir si les promesses ont été tenues.

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Julie Beylier
La REVUE du CAIUM

Étudiante au baccalauréat en Études internationales de l’Université de Montréal. Intéressée par la politique environnementale et la diplomatie