Cryptomonnaies: que se cache-t-il derrière ce tweet?

Les dessous d’un pari politique ambitieux

Camille Lafenêtre
La REVUE du CAIUM
6 min readMar 3, 2022

--

L’ auteur de ce tweet n’est pas un quidam du numérique parmi tant d’autres, mais bien le président d’El Salvador. Ce dernier réagissait aux critiques des sénateurs américains après l’adoption du Bitcoin comme monnaie officielle de l’État salvadorien, au même titre que le dollar américain.

En effet, le chef d’État millénarial a fait d’El Salvador le premier pays à donner un cours légal à une cryptomonnaie. Ce geste souligne alors l’importance de comprendre les enjeux internationaux liés à cet argent numérique, enjeux économiques certes, sans toutefois s’y limiter.

Qu’est-ce que la cryptomonnaie ? Comment fonctionne-t-elle ?

Face à ces questions, le terme de « boomer » s’applique à beaucoup d’entre nous.

Même si elle est accessible à toutes et à tous, la cryptomonnaie demande des connaissances établies et profondes en matière d’économie et de marché numérique, mais pas seulement.

La cryptomonnaie est un écosystème d’échange, dans lequel on peut effectuer des transactions gratuites et des paiements vers d’autres personnes, comptes, groupes et cybercommerces qui acceptent et utilisent aussi cet argent numérique, explique Simon Dermarkar, professeur de comptabilité et de gestion financière à HEC Montréal. Un peu plus lents que le paiement par carte de crédit ou de débit, les échanges de cette unité virtuelle sont tout de même plus rapides et transparents que les virements bancaires.

Aucune banque ne s’interpose dans les opérations impliquant des cryptomonnaies, mais un système complexe vient tout de même régir celles-ci.

Bâties sur un système qu’on appelle blockchain, les cryptomonnaies passent d’un bloc protégé à un autre, dans lequel chaque information est répertoriée et consultable par n’importe qui. Afin de s’assurer de la validité de ces transactions, des personnes qu’on appelle « mineurs » sont rémunérées pour les vérifier à l’aide d’algorithmes propres à ces cryptomonnaies. Ces mineurs décryptent les sphères privées et publiques des transactions et s’assurent de la conformité des données numériques. Cette technologie sécurise alors ces échanges qui ne requièrent pas d’intermédiaire, seulement ce processus de minage.

Piratables, mythe ou réalité?

Lorsqu’il est question de plateformes numériques, la question de la sécurité revient très souvent.

S’agissant de cet écosystème de chaîne de blocs très sécurisé et transparent, il est impossible de le pirater. M. Dermarkar précise que si les transactions se font d’un individu A à un individu B sans intermédiaire, elles ne posent aucun danger quant à la sûreté des fonds transférés. Cette chaîne de bloc n’a pas de faille qui permettrait à quelqu’un d’extérieur d’y entrer ou de la casser.

A contrario, comme tout autre système de transactions, faire appel à un intermédiaire peut être risqué. En effet, ce système de chaîne en bloc sécurise les échanges, mais si l’on passe par une tierce personne, application ou « portefeuille numérique », rien n’empêche cet élément extérieur à la chaîne de couper l’échange et de ne pas transférer le paiement au destinataire.

Les plateformes de cryptomonnaies étant accessibles à toutes et à tous, elles permettent bien évidemment à des individus mal intentionnés de gagner la confiance et de profiter du côté boomer de ses victimes. C’est d’ailleurs l’un des arguments des détracteurs des monnaies numériques qui, selon eux, favorisent les activités illégales, la fraude et le trafic.

S’impose alors un autre problème de la cryptomonnaie. Ces plateformes d’échanges ne sont pas encore sécurisées par les marchés financiers nationaux ou internationaux. Si bien que l’une des premières choses à considérer est que tous ses détenteurs sont responsables de ce que devient ou non cet argent. Il n’y a pas de loi, pas de règles, pas d’agences centralisées et donc pas de dédommagement en cas de vol ou de chute de cours.

On ne peut donc pas confier son « compte crypto » à un banquier, un comptable, un investisseur ou autre comme on peut le faire avec son compte courant ou ses fonds qui sont juridiquement et institutionnellement protégés.

Face au caractère anarchique et incertain des cryptomonnaies, beaucoup de pays les ont interdites et ont rendu leurs utilisations illégales. D’autres ne les interdisent pas, mais ne les légalisent pas pour autant. Seul El Salvador, au vu du succès du Bitcoin, l’a légalisé et lui a donné un cours.

Le cas salvadorien : le pari de Bukele

Malgré les avertissements du FMI sur les risques de reposer son économie nationale sur le Bitcoin, Nayib Bukele a fait le pari (fou ?) de légaliser cette cryptomonnaie.

Dans des pays comme El Salvador, l’instabilité financière est quotidienne. Le taux de bancarisation y est très faible, notamment car la population n’a pas accès aux services financiers traditionnels comme c’est le cas dans les pays du Nord. C’est d’ailleurs pourquoi la cryptomonnaie est de plus en plus populaire dans les pays émergents.

La stratégie salvadorienne est basée sur le caractère accessible du Bitcoin. Elle vise à connecter l’ensemble de la population urbaine et rurale afin qu’elles puissent échanger numériquement et instantanément les services et les biens. Cela pourrait réduire les inégalités sociales au sein du pays, tout en lui permettant de se dédollariser petit à petit. Ce projet de modernisation est ambitieux et loin d’être accompli.

En réalité, Bukele a pour objectif de rendre le système financier de son pays de moins en moins dépendant de celui des États-Unis. La légalisation de cette monnaie digitale vise aussi à s’extirper du marché financier occidental qui ne lui est pas tant bénéfique.

En légalisant le Bitcoin, le jeune chef d’État s’est placé sous le feu des projecteurs de la communauté internationale, car si cette « expérience » s’avère un succès, beaucoup d’autres États émergents, tels que le Nigéria, vont alors suivre les pas d’El Salvador.

Lors d’une session en direct sur Twitter le 9 juin 2021, il a d’ailleurs déclaré :

«Oui, cela pourrait bien créer un effet domino. […] Je sais que nous faisons la bonne chose. […] Nous allons voir beaucoup de pays changer en raison [de la loi] et nous aurons probablement un meilleur avenir ».

Dès lors, le Bitcoin et son système de chaîne de bloc pourraient devenir une menace aux banques et aux institutions financières internationales. Ils pourraient être en mesure de redistribuer les cartes économiques, politiques, sociales et environnementales à l’échelle mondiale.

Bitcoin vs. FMI ?

Néanmoins, peut-on assurément dire que le Bitcoin pourrait enterrer le système financier actuel, voire devenir une monnaie internationale commune ?

Au vu de l’état présent de la situation, l’on ne peut répondre que par la négative. Les grandes puissances économiques ont le contrôle des marchés financiers et décident de leurs organisations. Pour une majorité d’États, le système traditionnel fonctionne, et le changer serait non seulement très coûteux, mais aussi bien trop compliqué étant donné qu’il structure profondément l’ordre financier mondial.

Au vu des divergences politiques, il serait d’ailleurs difficile d’établir une monnaie internationale commune basée sur le Bitcoin à l’heure actuelle.

Néanmoins, cette nouvelle dimension numérique qui s’est ouverte aux marchés monétaires nationaux et internationaux pourrait changer le monde et le système bancaire, surtout si le pari Bukele est gagnant.

Les banques sont d’ailleurs déjà intéressées par ce système de chaîne de blocs qui, comme dit supra, est très performant, sécuritaire et transparent. L’intégrer au système bancaire permettrait de renforcer la protection nos transactions traditionnelles sans pour autant menacer la stabilité financière et les institutions monétaires internationales.

Il s’agit ici d’un investissement pour Nayib Bukele, un investissement risqué qui pourrait faire basculer d’un côté comme un autre, la vie et l’économie de sa population.

Le sort d’El Salvador et son potentiel effet domino pourraient ouvrir de nouvelles perspectives de développement à certains pays. Désormais, les plus riches sont ceux qui s’imposent le mieux sur la scène internationale et c’est pourquoi il est important de prendre en compte les cryptomonnaies dans l’équation de l’équilibre mondial.

Comme toute nouvelle technologie, le Bitcoin fait débat, il a ses partisans et ses opposants. Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement salvadorien attire autant les foudres que les projecteurs. Cette légalisation du Bitcoin montre qu’il est important de ne pas ignorer l’émergence des cryptomonnaies. Tout comme le cyberespace, il est rare de les comprendre parfaitement, c’est d’ailleurs ce qui en fait à la fois leurs forces et leurs faiblesses.

Il ne s’agit pas d’une tendance, mais bien d’une technologie qui pourrait s’établir et perdurer.

Ainsi, le meilleur investissement que l’on puisse faire en matière de monnaie digitale est de s’éduquer, plaide Simon Dermarkar, afin de non seulement dresser la longue liste des enjeux qui s’établissent, mais aussi àde comprendre quelle forme l’avenir prendra et comment les cryptomonnaies pourraient potentiellement bouleverser l’ordre mondial.

--

--

Camille Lafenêtre
La REVUE du CAIUM

Étudiante au Baccalauréat en Science Politique | Intéressée par les stratégies politiques et économiques dans les Relations Internationales