Donjons et Dragons à la rescousse du climat

Alicia Prieur-Couture
La REVUE du CAIUM
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4 min readApr 22, 2021

En cette journée de la Terre, qui coïncide avec le début du Sommet des dirigeants sur le climat, l’état de la situation environnementale risque fort bien de revenir à l’avant-plan. La déforestation en Amazonie, les gels soudains du Texas et de l’Europe et les prochaines inondations printanières entre autres dans l’Outaouais sont malheureusement devenus monnaie courante. Plusieurs citoyens sont découragés face à l’inertie des politiques et des multinationales. Et pourtant, tout n’est pas perdu. Une petite ville japonaise du nom de Yahaba a entrepris une initiative insolite pour contrer cet enjeu : un simple jeu de rôle à la Donjons et Dragons.

Hotel de ville de Yahaba. Photo: Wikipedia

T out a commencé en 2015, lorsque les fonctionnaires de la ville de Yahaba rassemblèrent des citoyens ordinaires afin de discuter de la gestion de l’eau publique. Se basant sur des études de l’Université d’Osaka, ils divisèrent les citoyens en deux équipes, l’une représentant des citoyens d’aujourd’hui et l’autre, ceux de 2060. Ils devaient prendre leur rôle au sérieux et défendre leurs intérêts comme s’ils étaient réellement des habitants du futur. Ensemble, ils devaient trouver un compromis sur les taxes à imposer pour l’utilisation de l’eau. L’excentricité des fonctionnaires permit aux citoyens de prendre la place des générations futures et d’évaluer l’impact considérable de leurs actions d’aujourd’hui. Les citoyens de 2060 demandèrent évidemment l’imposition de taxes particulièrement élevées pour les citoyens de 2015. L’expérience eut une conséquence surprenante : les personnes qui prirent part à ce jeu de rôle développèrent une perspective nouvelle de leurs impacts sur les générations futures, même un an après que l’expérience fut terminée. La proposition des citoyens de 2060 fut alors transposée à la réalité et la taxe d’eau augmenta de 6% en réponse à cette discussion.

Photo : academy.thefutur

Comme cette expérience fut couronnée de succès, la ville décida d’utiliser cette méthode dans certaines procédures décisionnelles. Ce mode de pensée, qualifié dans la littérature de Future Design, consiste à défendre l’opinion de personnes absentes. Lorsque les citoyens prennent le rôle de citoyen du futur, ils sont plus enclins à prendre des décisions ambitieuses sur des sujets comme l’environnement, la gestion de l’eau et les politiques démographiques. Malheureusement, à l’heure actuelle, plusieurs études sur le sujet ont démontré que les impacts des décisions sur les générations futures prennent peu de place dans les débats politiques. Ce nouveau moyen a l’avantage de mettre ces enjeux au cœur des discussions.

Photo : Chronography.me

Quoique cocasse, l’idée fut saluée par plusieurs journaux japonais et réussit même à se faire une place dans la politique nationale et étrangère. La ville de Kyoto, le ministère des finances japonais et même le parlement gallois ont déjà établi ce système dans leurs processus décisionnels. Au pays de Galles, depuis 2016, un siège du parlement est réservé pour un représentant des générations futures. Ce représentant n’a toutefois qu’un pouvoir d’observateur, ce qui limite beaucoup ses capacités d’action sur les décisions prises par le parlement. Comme ce représentant parle au nom de personnes futures, et donc absentes, sa légitimité politique est remise en question. Tout de même, cet exercice permettra de se rapprocher d’une égalité intergénérationnelle.

Si ces expérimentations n’ont lieu que dans une poignée de pays éloignés, il se trouve que notre coin du globe n’est pas totalement étranger à ces méthodes. En effet, les recherches qui sont les piliers de cette expérience s’inspirent des méthodes décisionnelles iroquoises, le « système de sept générations ». Peut-être un jour verrons-nous se développer un ministère des générations futures au sein du parlement canadien. À l’instar du représentant des générations futures gallois, un député devra alors, chaque jour, défendre les intérêts des citoyens du futur, comme s’il en était réellement un. Si un tel poste fini par être créé, l’avenir de la planète sera alors au cœur des discussions.

Pour approfondir

KOBAYASHI Keiichiro, Futur design: a new policymaking system for futur generations, (2019), RIETI, https://www.rieti.go.jp/en/columns/s19_0011.html.

KOBAYASHI Keiichiro, How to represent the interest of gutur generation now, (2018), VOXEU, https://voxeu.org/article/how-represent-interests-future-generations-now.

Eli P Fenichel, Matthew Kotchen & co. Climat changes the debat: The impact of democraphics on long-term discount rates, (2017), VOXEU, https://voxeu.org/article/impact-demographics-long-term-discount-rates

Stefano Giglio, Matteo Maggiori & co. Discounting climate change investments (2016), VOXEU, https://voxeu.org/article/discounting-climate-change-investments

FUTUR, Here come the Time Rebels! Japan’s “Futur Design” movements shows how to factor futur generations into our politics, (2020), The Alternative uk, https://www.thealternative.org.uk/dailyalternative/2020/10/25/future-design-japan-time-rebels

Ramia Mazé, Maze politics of Designing Visions of the Future, (2019), Journal of Futures Studies, https://jfsdigital.org/wp-content/uploads/2019/04/03-Maze-Politics-of-Design-Visions.pdf

Natives Nations Institute. Oren Lyons: Looking Toward the Seventh Generation, (2008) The University of California, https://nnigovernance.arizona.edu/oren-lyons-looking-toward-seventh-generation

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Alicia Prieur-Couture
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Je suis en première année au baccalauréat en Études internationales à l’Université de Montréal. J’aime l’actualité et les langues.