ELECTION 2024 À TAÏWAN : UNE ALLURE DE RÉFÉRENDUM SUR LES RELATIONS AVEC LA CHINE

Arthur Perrissin-Fabert
La REVUE du CAIUM
Published in
7 min readNov 28, 2023

Les électeurs taïwanais seront convoqués aux urnes à la mi-janvier 2024 pour déterminer qui remplacera la présidente sortante Tsai Ing-wen, membre du Parti progressiste démocrate (DPP). L’issue de ce scrutin déterminera notamment l’avenir des relations de l’île avec son envahissant voisin chinois.

Visite du vice-président Lai Ching-te à San-Francisco en août 2023 (Photo de Tayfun Coskun/Anadolu Agency)

Etat des lieux des prétendants à la présidence

Trois prétendants sont aujourd’hui en lice pour succéder à la présidente sortante Tsai Ing-wen. Arrive en premier dans les sondages l’actuel vice-président et membre du Parti progressiste démocrate (DPP) Lai Ching-te, avec 33,9% des intentions de vote, selon un sondage réalisé par l’institut taïwanais Formosa le 14 novembre. Il est présenté comme l’héritier direct de la présidente sortante et s’est engagé en ce sens à poursuivre la même politique vis-à-vis de la Chine, c’est-à-dire à préserver le statu quo de part et d’autre du détroit de Taïwan.

Vient ensuite l’homme politique Hou Yu-ih, candidat officiel du Kuomintang (KMT), parti en faveur d’un rapprochement avec la Chine. Il culmine aujourd’hui à 23,7% des intentions de vote mais fait actuellement l’objet d’une dynamique favorable dans les sondages, notamment en raison de la chute du candidat et directeur de Foxconn Terry Gou.

Se place enfin en troisième position l’homme politique et ancien maire de Taipei, Ko Wen-je. Longtemps second dans les sondages, il est, aujourd’hui, crédité de 18,7% des intentions. Président du Parti populaire taïwanais (TPP), Ko Wen-je est souvent présenté comme un « indépendantiste tiède », rejetant aussi bien l’indépendance que la réunification.

Bien que s’étant retiré de la course à la présidence, un quatrième candidat a joué un rôle dans le dynamisme de cette élection. Il s’agit du sulfureux Guo Taiming, plus connu sous le nom de Terry Gou. Magnat des affaires et milliardaire taïwanais, Terry Gou est le PDG et fondateur de l’entreprise Foxconn, numéro un mondial de la sous-traitance électronique. Disposant de nombreux intérêts sur le territoire de la République populaire de Chine (RPC), il souhaite se rapprocher de celle-ci et désire éviter que Taïwan devienne « la prochaine Ukraine ». Gou, qui fait toutefois l’objet de nombreuses pressions chinoises, a retiré sa candidature sous l’influence de Pékin, celle-ci souhaitant que ce trouble-fête retire sa candidature afin de ne pas diviser les votes pro-chinois sur l’île. Il est en effet actuellement visé par des enquêtes dans quatre provinces chinoises, ce qui fait l’affaire du DPP au pouvoir.

Crédité au 14 novembre de 6,4% des intentions, le PDG de Foxconn a lors de son retrait soufflé le chaud et le froid sans préciser qui il pourrait soutenir. Une chose semble cependant certaine, le report de ses voix n’ira vraisemblablement pas du côté de Lai Ching-te, mais se diluera probablement sans conviction dans une opposition qui n’arrive pas à s’entendre.

Alors que la menace d’une coalition entre le Kuomintang et le Parti populaire chinois (TPP) avait plané dans les derniers jours pour déposer une candidature — fixée au 24 novembre -, le « ticket » commun n’a pas abouti, ouvrant dès lors le champ libre à l’actuel vice-président. Les deux candidats d’opposition, qui n’ont pas réussi à s’entendre, feront donc cavaliers seuls dans la course à la présidence, ce qui n’est d’ailleurs pas sans agacer Pékin, qui comptait sur cette coalition pour voir arriver au pouvoir un candidat plus en faveur de ses intérêts.

Notons également que le déroulement du scrutin ne sera vraisemblablement pas sans ingérence de la part de la Chine. A l’approche du scrutin, Pékin montrera probablement les muscles en organisant des incursions dans l’espace aérien taïwanais, comme cela est le cas à chaque moment de tension dans les relations entre les deux entités. L’ingérence numérique semble également inévitable, entre messages de soutien probables au candidat du KMT et propagation de fake news sur les canaux de communications taïwanais. Si Pékin n’a, à ce stade, pas fait de commentaire sur un potentiel candidat préféré, il est sûr que le Parti communiste chinois (PCC) est politiquement plus proche du KMT, et sera dans ce sens susceptible d’agir en sa faveur.

Graphique représentant l’évolution des intentions de vote depuis le 1 janvier 2023 (Par Ythlev — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=132941328)

Quelles perspectives pour l’avenir des relations avec la Chine ?

Une chose est sûre : les relations entre la Chine et Taïwan n’ont jamais été aussi mauvaises depuis l’élection de Tsai Ing-wen à la présidence de la république taïwanaise. Le scrutin prévu pour la mi-janvier 2024 sera donc l’occasion de bouleverser — ou pas — les relations avec l’encombrant voisin continental. Un élément est toutefois à préciser d’entrée : tous les candidats appellent à un maintien du statu quo, du moins au niveau institutionnel. Les distinctions seront dès lors plutôt d’ordre économiques ou culturelles, et pencheront en ce sens davantage vers un dialogue privilégié avec la Chine ou avec les Etats-Unis.

La position du Parti progressiste démocrate (PDD) est claire sur la question de la Chine. Il affirme l’existence de Taïwan comme entité politique autonome, revendique son indépendance de facto et cherche à maintenir des relations internationales malgré les pressions de la Chine, en premier lieu avec les Etats-Unis. L’élection du dauphin de la présidente sortante n’aurait donc pas pour conséquence de bousculer les relations actuelles avec la Chine. Cependant, et par corollaire, le maintien du statu quo pourrait enjoindre la Chine à continuer son travail de déstabilisation de l’île et ainsi à poursuivre la dégradation des relations avec celle-ci.

Si l’ambition du DPP ne va ostensiblement pas dans le sens de Pékin, le KMT mise quant à lui sur une stratégie de l’ambiguïté pleinement assumée. Le porte-parole du Kuomintang souffle ainsi le chaud et le froid en estimant pouvoir « calmer la Chine, gagner du temps, faire durer la partie jusqu’après Xi Jinping. Il faut être dur avec Pékin pour se faire respecter, mais il ne faut pas le titiller inutilement ». Dans cette optique, Hou Yu-ih n’a pas clairement pris position sur le « Consensus de 1992 », un accord tacite entre la RPC et la République de Chine — Taïwan — reconnaissant l’existence d’ « une seule Chine ». Le parti historique de l’île, longtemps seul parti autorisé, cherche donc à attirer un électorat qui craint une invasion de Taïwan par la RPC, davantage qu’une frange de la population acquise à la cause chinoise. Hou Yu-ih sait qu’une position trop assumée envers une réunification avec la Chine n’est électoralement pas entendable, et il est fort à croire qu’il ne le pense probablement pas lui-même. Déjà, le dernier président de la république représentant le KMT, Ma-Ying-jeou, pourtant très pro-chinois, avait refusé la main tendue de Xi Jinping lui proposant de former un système semblable à la doctrine appliquée à Hong-Kong, autrement dit « un pays, deux systèmes ». Dans le cas où Hou Yu-ih venait à être élu, il ne faut donc pas céder à la tentation manichéenne qui reviendrait à croire que Taïwan tomberait instantanément dans le camp chinois, mais plutôt y observer une tendance croissante à se diriger vers Pékin, sans toutefois renoncer à ses autres intérêts, notamment aux liens entretenus avec les Etats-Unis.

Côté TPP, Ko Wen-je fait figure de candidat plus centriste et pragmatique, qui cherche pour cette raison à établir un équilibre entre la Chine et les Etats-Unis. Ko met à cette fin l’accent sur la nécessité d’établir des liens économiques et culturels avec la Chine, tout en équilibrant l’autonomie gouvernementale et la sécurité nationale de Taiwan.

Si le degré de coopération avec la Chine sera différent en fonction du candidat qui sera élu au poste de Président de la république en janvier prochain, tous les partis désirent conserver la relation qu’entretient Taïwan avec le protecteur américain. En effet, la présence des Etats-Unis auprès de Taïwan représente pour l’île et ses électeurs une garantie sécuritaire dont les candidats ne peuvent se passer. Ainsi, Lai Ching-te a-t-il effectué une tournée aux Etats-Unis en août 2023, Hou Yu-ih en septembre 2023 et Ko Wen-je en octobre 2023. Plus qu’une prise de position unique pour la Chine ou les Etats-Unis, c’est donc un grand écart plus ou moins prononcé que le Président prochainement élu devra réaliser entre les deux géants.

Si l’élection présidentielle du 13 janvier 2024 sera déterminante pour l’avenir des relations de Taïwan avec la RPC, il faut nuancer l’impact à court terme que pourrait occasionner la victoire des différents camps. Bien que tenant de discours plus ou moins différents, l’élection d’un candidat ou d’un autre ne dissuadera probablement pas la RPC d’accomplir sa prophétie autoréalisatrice de réunion de la Chine.

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Pour approfondir…

Adewalure, Kemi et al. « What You Need to Know About Taïwan’s Pivotal Presidential Elections », United States Institute of Peace, November 8, 2023

de Changy, Florence. « A Taïwan, la prochaine élection présidentielle à l’ombre des relations avec la Chine », Le Monde, 23 mai 2023

Chen-chung, Wang, Po-yang, Hsiao and Yu-chen, Chung. « KMT, TPP agree to use polls to determine joint presidential ticket », Focus Taiwan, November 13, 2023

Formosa, 14 novembre 2023. « Sondage sur l’île de Formose : vague 72 de sondage de suivi des élections générales de 2024 »

Harrison, Mark. « Taiwan election another headache for Beijing », Australian Strategic Policy Institute, September 1, 2023

Ragab, Ayman. « Quel président pour Taïwan en 2024 ? », Le Petit Journal.com, 30 octobre 2023

Strong, Matthew. « Support for Ko Wen-je rises in latest opinion poll », Taiwan Times, November 11, 2023

Yeh, Sam. « Taïwan : le fondateur de Foxconn, Terry Gou, candidat à la présidentielle », Europe 1, 29 août 2023

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Arthur Perrissin-Fabert
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Je suis actuellement étudiant en troisième année de science politique à l'Université de Lille, en échange à l'Université de Montréal