En échange étudiant, derrière les lignes ennemies

Témoignage d’un étudiant québécois à Saint-Pétersbourg

Édouard Beaudoin
La REVUE du CAIUM
5 min readMar 1, 2022

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E n validant sa demande d’admission à l’Université d’État de Saint-Pétersbourg en février 2021, William Richer ne pensait pas se retrouver dans un pays en guerre à peine douze mois plus tard. À l’occasion de la fin de son baccalauréat en Études internationales, l’étudiant de l’Université de Montréal souhaitait compléter son parcours académique à l’étranger. Sa demande initiale remonte à février 2020, mais son échange étudiant n’a débuté qu’en septembre 2021 en raison de la situation sanitaire. Il n’a mis les pieds dans la ville du Palais d’Hiver qu’en décembre.

«J’ai toujours été fasciné par la Russie, son histoire, sa culture», raconte-t-il en conversation sur Whatsapp. À peine quelques heures avant notre discussion, Moscou annonçait qu’il interrompait l’accès au réseau social Facebook partout sur son territoire. Mordu d’histoire, William a rédigé, dans le cadre d’un cours donné dans son école secondaire, la Polyvalente de Saint-Jérôme, un livre portant sur le front de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale, mené par l’Armée rouge. «J’ai toujours voulu explorer la Russie et partir à sa découverte. Cet échange étudiant était vraiment la concrétisation d’un rêve de longue date».

Le rêve a toutefois cédé sa place, du jour au lendemain, au choc et à l’incertitude.

William s’est réveillé ébranlé le matin du 24 février. Le mot INVASION écrit en caractères gras sur les dépêches européennes défilant sur son cellulaire l’a fait sursauter. À l’instar des locaux, l’étudiant s’est dit stupéfait par l’ampleur de la campagne militaire: «on savait que quelque chose était sur le point d’arriver en Ukraine, mais la précipitation et l’agressivité des troupes russes nous ont tous surpris».

La conversation électronique de groupe composée d’autres étudiants internationaux s’activait, ponctuée de messages d’incompréhension et d’incertitude, et de la crainte de voir leur échange annulé, ou d’être forcé de rentrer au bercail. Selon l’Université d’État de Saint-Pétersbourg, un étudiant sur six proviendrait de l’étranger, ce qui en fait l’une des plus importantes destinations estudiantines au pays.

Des sanctions aux effets bien concrets

Aux premiers jours de l’invasion russe, plusieurs pays ont imposé une pléthore de sanctions contre Moscou, tantôt diplomatiques, tantôt économiques. Les effets de celles-ci sur le comportement de la Russie demeurent malgré tout mitigés de l’avis de plusieurs experts. L’économie russe faisait déjà l’objet de mesures similaires depuis l’invasion de la Crimée en 2014, et a tout de même réussi — partiellement — à s’en remettre. Mais ces pénalités, rappellent les politiciens occidentaux, sont extrêmement sévères et contraignantes.

Les effets de celles-ci semblent leur donner raison, mais la population russe, dont fait temporairement partie William, en écope lourdement. À son arrivée en Russie, il a ouvert un compte bancaire dans lequel il a transféré des fonds venant de son institution financière au Québec. Cependant, avec l’annonce de l’exclusion de plusieurs banques russes du réseau financier mondial SWIFT le 26 février, il ne pourra bientôt plus transiger dans son compte de Saint-Pétersbourg. Bien que les jours de l’étudiant en territoire russe semblent désormais comptés, il pourrait miser sur la plongée de la valeur du rouble russe pour étendre son séjour.

«Le jour de l’offensive, j’ai vu plusieurs files d’attente devant des guichets automatiques, décrit-il. Plusieurs banques n’avaient plus d’argent».

Par ailleurs, plusieurs pays, dont le Canada, ont fermé leur espace aérien aux compagnies aériennes russes, et d’autres pourraient bien emboîter le pas, ce qui limite les options de William de jour en jour, d’heure en heure. Son dernier recours serait de se rendre par la voie terrestre en Finlande, à 200 kilomètres de Saint-Pétersbourg, où il pourrait alors gagner l’Union européenne.

Faire l’autruche

Dans son cercle d’amis russes, l’invasion en Ukraine est un tabou. Certains parlent d’avoir «honte d’être Russe» et se dissocient catégoriquement de l’offensive. «C’est la guerre du Kremlin, de Vladimir Poutine, et non de la population russe», résume William. Plusieurs activités d’intégrations ont lieu en ce moment à l’Université, «quel merdier», soufflait un des animateurs, avant de passer à autre chose.

En même temps, précise le Montréalais, personne ne peut faire l’autruche, tout le monde est conscient de ce qu’il se passe en Ukraine. Son entourage est maussade, mais est surtout habité d’un sentiment d’impuissance. Parce qu’au fond, personne ne veut la mort d’Ukrainiens, pas plus qu’une annexion complète du territoire.

Comme bien d’autres jeunes à travers le pays, Askhad, un ami de William originaire du Caucase russe, est descendu dans les rues de la ville pour s’opposer au régime, au péril de sa liberté; plus de 6000 personnes ont été arrêtées pour avoir participé à des attroupements similaires en Russie. Pendant ce temps, son frère serait actuellement déployé en Ukraine, nous confie William.

Malgré ces soulèvements, portés majoritairement par la jeunesse citadine, la vie à Saint-Pétersbourg semble suivre son cours. Devant l’incertitude qui plane sur les étudiants internationaux, ils enchaînent les soirées dans les bars de la ville, pendant qu’ils le peuvent encore. La baie, gelée à ce temps de l’année, est le lieu de prédilection de bien des adeptes de parapente. Elle constitue aussi un paysage photogénique idéal pour des promenades.

Et le soir avant le déclenchement de l’offensive russe, des feux d’artifice allumaient le ciel au-dessus de la ville, à l’occasion du Jour du défenseur de la patrie.

Partir ou rester

Malgré l’incertitude, William avait l’intention de tenir bon et de rester à Saint-Pétersbourg. Des facteurs extérieurs pourraient toutefois le contraindre de quitter.

Depuis le soir du 27 février, le ministère des Affaires étrangères déconseille tout voyage non essentiel en Russie et invite les ressortissants canadiens déjà sur place à «évaluer si leur présence est essentielle». Le lendemain, l’Université de Montréal lui demande de quitter la ville dans les plus brefs délais. Des membres du personnel enseignant de l’Université l’ont également encouragé à partir. L’administration lui a toutefois assuré qu’il pourrait poursuivre ses cours, à distance, quelque part en Europe de l’Ouest.

Par écrit, William se dit déçu, frustré, mais surtout stressé pour la suite des choses. Au moment d’écrire ces lignes, l’étudiant ignorait encore son plan d’action à court terme. Malgré sa déception, il comprend l’impératif sécuritaire, et surtout l’urgence de ne pas se retrouver prisonnier d’un État en guerre.

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Édouard Beaudoin
La REVUE du CAIUM

Co-rédacteur en chef. Étudiant au baccalauréat en Études internationales. L’actualité, Radio-Canada.