En Australie, une liberté de la presse en recul ?

Le milieu journalistique s’est mobilisé dernièrement contre les atteintes au droit d’informer au pays.

Manon Bourhis
La REVUE du CAIUM
5 min readNov 22, 2019

--

Des « unes » ont été caviardées en Australie, le 21 octobre dernier, afin de protester contre le recul de la liberté de presse. Photo : Associated Press

« Quand le gouvernement vous cache la vérité qu’est-ce qu’il vous cache ? » C’est la question qu’ont posée l’ensemble des organes de presse australienne à leurs lecteurs, le 21 octobre dernier, à l’initiative d’une campagne pour le droit à l’information [1]. Bien que l’Australie se situe dans le top 10 des meilleures démocraties au monde d’après The Economist, le pays est critiqué pour ses pratiques douteuses quant à sa liberté de presse, selon bien des observateurs [2].

Début juin, deux perquisitions ont eu lieu, une au domicile d’une journaliste du média News Corp, et l’autre au siège de la chaîne de télévision publique Astralian Broadcasting Corporation (ABC). Le premier raid de la police australienne concernait la journaliste Annika Smethurst qui, en 2018, avait publié un article sur les services de renseignements australiens. Ces derniers auraient envisagé pendant un temps de développer le cyber espionnage de ses citoyens, et ce, en obtenant un accès secret aux courriels, aux comptes en banque ou encore aux messages des citoyens. Mais le projet n’a jamais réellement abouti. Un mandat de perquisition a été émis à l’encontre de la journaliste, car d’après le gouvernement australien, la divulgation de cette information pouvait potentiellement menacer la sécurité nationale. La perquisition a directement eu lieu à son domicile ; ce que la reporter a décrit comme un abus de pouvoir de la part de la police fédérale [3].

La deuxième perquisition concernait deux journalistes ayant réalisé une enquête sur les opérations des forces spéciales australiennes en Afghanistan. Les informations ont entre autres révélé de possibles crimes de guerre que les soldats australiens auraient effectués sur des civils. Ces informations n’ont pas plu au gouvernement qui, une fois de plus, a considéré les révélations comme un danger pour la sécurité nationale du pays. La police fédérale australienne a donc passé plusieurs heures dans les bureaux d’ABC, inspectant les disques durs des ordinateurs et les courriels des journalistes. Des clés USB ont aussi été saisies [4]. Ces trois journalistes risquent à l’heure actuelle des poursuites criminelles et de passer devant la cour de justice australienne, à l’instar des journalistes qui avaient décidé de braver l’interdiction de couvrir le procès de George Pell, un cardinal accusé de pédophilie. Outre les sujets interdits car jugés contraire au secret national, d’après le dispositif légal australien, certains procès ne peuvent être mentionnés d’une quelconque façon par la presse durant toute la durée du procès afin, dit-on, d’éviter que le jury soit influencé [5].

Mouvement #right to know

La mobilisation des médias australiens face à ces mesures s’inscrit dans le mouvement #right to know (le droit de savoir), formé il y a plus de dix ans. Il défend le droit d’accès à des informations potentiellement cachées par le gouvernement. D’après la coalition de médias à l’origine du mouvement, le droit de remettre en cause certaines actions du gouvernement élu devrait tout simplement être une forme de liberté d’expression. Selon certaines recherches, en l’espace de 20 ans, les gouvernements australiens qui se sont succédés auraient voté environ 75 lois différentes favorisant l’espionnage et le droit de garder des secrets gouvernementaux. Ces secrets gardés par le gouvernement pour favoriser la sécurité nationale sont parfois saugrenus. On ne peut pas savoir, par exemple, ce qui est servi à table du restaurant du parlement australien. Le montant des dépenses du gouvernement australien dans les événements touristiques reste lui aussi inconnu des citoyens. Autre exemple d’u secret bien gardé : les acheteurs de vastes terrains en Australie ne peuvent être dévoilés.

Ces informations — qui ne paraissent pourtant pas si importantes au nom du secret défense australien — n’ont pas le droit d’être divulguées. Dans le cas contraire, la personne les ayant divulguées sans l’accord nécessaire du gouvernement prend le risque d’encourir de graves poursuites criminelles. À titre d’exemple, ceux qui alertent l’opinion publique en lien avec certains sujets sensibles impliquant le gouvernement risquent… 161 années de prison.

Certains sont parfois confrontés à un choix difficile : celui de dire ce que le gouvernement cache à ses citoyens et de risquer ensuite la prison. C’est aussi le dilemme qu’a dû surmonter Richard Doyle en 2019. Citoyen australien, il s’est rendu compte que l’Australian Taxation Office lui prélevait de l’argent de temps à autre, sans même le prévenir. Après avoir divulgué cette information de manière publique dans un média australien, le domicile de Richard Doyle a été perquisitionné ; son téléphone et son ordinateur ont été fouillés. Il a ensuite été accusé de multiples crimes, simplement pour avoir parlé aux médias de ses préoccupations [6].

Aujourd’hui le mouvement #right to know prend de plus en plus d’ampleur. D’après un sondage qui a été fait par le mouvement Right to Know, seulement une petite partie de la population australienne est au courant qu’une quantité non négligeable d’informations ne leur sont pas divulguées.

Cette année, les membres du mouvement ont décidé d’alerter la population australienne en diffusant des vidéos de sensibilisation à la télévision. Le 21 Octobre, la presse écrite avait également auto-censuré leur une pour conscientiser les australiens. Le but ultime du mouvement serait de changer les lois australiennes pour protéger la liberté d’expression de sa presse et de ses citoyens, car actuellement aucune loi n’existe à ce sujet [6].

À la suite des perquisitions du juin 2019, le premier ministre conservateur australien Scott Morrison s’était exprimé en affirmant qu’il ne voyait pas ces perquisitions comme une atteinte à la liberté de la presse. Selon lui, tout cela n’était qu’une application des lois australiennes [4].

Sources :

[1] Les journaux australiens se recouvrent d’encre noire pour protester contre la censure. 2019. Le Monde. En ligne :https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/21/la-une-des-journaux-australiens-caviardee-pour-protester-contre-la-censure_6016283_3210.html

[2] The retreat of global democracy stopped in 2018. 2019. The Economist. En ligne : https://www.economist.com/graphic-detail/2019/01/08/the-retreat-of-global-democracy-stopped-in-2018

[3] Karp Paul. 2019. « Federal police raid home of News Corp journalist Annika Smethurst ». The Guardian. En ligne : https://www.theguardian.com/australia-news/2019/jun/04/federal-police-raid-home-of-news-corp-journalist-annika-smethurst

[4] Thibault Harold. 2019. « Deux perquisitions préoccupantes pour la liberté de la presse en Australi ». LeMonde. En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/06/deux-perquisitions-preoccupantes-pour-la-liberte-de-la-presse-en-australie_5472271_3210.html

[5] Rigot Clémentine. 2019. « Les médias australiens poursuivis en marge de l’affaire George Pell » Libération. En ligne : https://www.liberation.fr/planete/2019/04/16/les-medias-australiens-poursuivis-en-marge-de-l-affaire-george-pell_1721721

[6] Your right to know. « Media Freedom ». 2019. En ligne : https://yourrighttoknow.com.au/media-freedom/

--

--

Manon Bourhis
La REVUE du CAIUM

Étudiante en sciences politiques à l’Université de Montréal, rédactrice au CAIUM