En Europe, des élections sous le signe du populisme

Les prochaines élections européennes pourraient s’avérer cruciales pour l’avenir de l’UE. Décryptage.

Patrice Senécal
La REVUE du CAIUM
5 min readMay 23, 2019

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Viktor Orban et Matteo Salvini, deux chefs de file du populisme en Europe, ont affiché à nouveau leur complicité, très à droite, sur les dossiers liés à l’immigration et aux frontières, début mai. Photo: Balazs Szecsodi/AP

« Protéger les frontières » : c’est en quelque sorte la formule que brandissent les forces populistes en vue des élections européennes du 23 au 26 mai prochains. En Europe, la fronde nationaliste s’organise. Et Matteo Salvini et Viktor Orban en sont ses principaux chefs de file.

Réunis en grande pompe à Budapest, jeudi 2 mai, le chef de l’extrême droite italienne et le Premier ministre hongrois ont affiché à nouveau leur complicité, très à droite, sur les dossiers liés à l’immigration et aux frontières. C’est un « nouveau chapitre » que ces chantres du populo-nationalisme souhaitent ouvrir après le 26 mai. Leur but : « contrer l’invasion migratoire » sur le sol européen. Rien de moins.

La donne changera-t-elle à Bruxelles, à l’issue de ces élections ? En Europe, des leaders comme Orban et Salvini courtisent les électeurs désabusés avec leur stratégie aux airs manichéens : le « peuple » contre les « élites ». Chasser du pouvoir ces « eurocrates » de Bruxelles, jugés déconnectés et élitistes, voilà leur présente mission. En France, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves, en Espagne ou encore en Autriche, l’extrême droite prend ses aises.

C’est que depuis la crise financière de 2008 — et surtout depuis les contrecoups politiques de la vague migratoire en 2015 — , les partis centristes traversent une tempête. Les formations populistes, de droite ou de gauche, en profitent donc pour crier haro sur le « sytème », Bruxelles.

Le scrutin qui débutera ce 23 mai risque donc de confirmer la tendance qui se propage depuis quelques années en Europe. Celle à l’origine d’une rhétorique nourrie par le ressentiment vis-à-vis des partis traditionnels, des immigrants, de la « rectitude » politique… D’autant que ce scrutin arrive à un moment décisif dans l’histoire du projet européen.

Il y bien sûr, en toile de fond, le Brexit qui n’aide en rien les choses. La sortie cahoteuse du Royaume-Uni de l’UE continue de causer des maux de tête aux dirigeants de la Commission européenne. Et constitue un rejet brutal de la construction européenne de l’après-guerre, venant de l’un de ses plus importants États membres.

Pour autant, le Brexit n’est pas le seul défi que devra surmonter l’Europe.

Dérive « illibérale »

La menace vient surtout d’à l’intérieur même de l’UE, au sein d’États membres qui ne veulent pas nécessairement en sortir — gracieuseté des généreux fonds européens fournis par Bruxelles. Car nul « besoin de divorce théâtral […] pour vider graduellement de son contenu ou de sa légitimité un ordre politique dont on ne veut plus », relevait le 6 mai le chroniqueur du Devoir, François Brousseau.

Deux visions de l’Europe s’opposent. Il y a d’abord celle de ses ardents défenseurs, qui promeuvent la démocratie libérale et la coopération entre États en vue de trouver des solutions communes. Et il y l’autre Europe, celles des « nations » : c’est celle de leaders politiques comme Viktor Orban, Marine Le Pen ou les chefs de file de l’AfD en Allemagne, qui ont pour projet politique de dire non à tout redistribution de quotas migratoires et de confronter l’UE. C’est une « Europe du bon sens » que la coqueluche de l’extrême droite italienne Salvini — et ses émules — veulent bâtir. Une Europe assurément eurosceptique.

Or, cette deuxième Europe ne veut pas pour autant se retirer complètement du projet européen — à l’instar du camp pro-Brexit du britannique Nigel Farage — , mais plutôt le transformer, le saboter… de l’intérieur.

Prenez la Pologne ou la Hongrie, par exemple, où s’installent des démocraties dites « illibérales ». Ces deux pays ayant autrefois été sous le joug de Moscou, qui ont adhéré à l’UE en 2004, mettent aujourd’hui en cause la cohésion démocratique de l’Europe. Les nombreuses entorses à l’État de droit et à la séparation des pouvoirs, commises par Orban à Budapest ou le PiS polonais (ultraconservateur) à Varsovie, n’ont d’égales, pour plusieurs, que de leur pied de nez vis-à-vis des traités européens.

Autre ombre au tableau pour Bruxelles : la question migratoire, qui continue d’animer la rhétorique des leaders europhobes en vue du scrutin. Surtout, c’est la gestion des flux de réfugiés par Bruxelles qui est reprochée. Le désaccord sur la façon de gérer cette « crise », s’il en est une — les flux de réfugiés en provenance des Balkans ont chuté de 99% en 2018, par rapport à l’année 2016 — reflète une opposition plus profonde encore. C’est l’un des fondements clefs de l’intégration européenne qui est aujourd’hui remis en question, au grand dam de ses tenants à Bruxelles et ailleurs: Schengen. En vigueur depuis plus de vingt ans, ce principe de libre-circulation des personnes se bute depuis quelques mois à la tentation des frontières.

Des troubles à prévoir

Selon de récents sondages, les partis populistes pourraient ravir près de 180 sièges sur 751 dans le prochain Parlement. Une minorité, certes, mais qui risque de susciter bien des troubles au sein des institutions européennes. À l’heure actuelle, ce sont des formations politiques de centre-gauche et de centre-droit qui détiennent la majorité. Or, avec une présence accrue de députés eurosceptiques, populistes, d’extrême droite, qui n’ont que faire de l’Europe, on pourrait s’attendre à des blocages législatifs.

Mais la Commission européenne, elle aussi, changera de visage après le 26 mai. Rappelons d’abord que l’exécutif européen est essentiellement composé de commissaires choisis (28 au total) par chacun des États membres. Ainsi, avec des pays aujourd’hui gouvernés par des partis de droite dure ou d’extrême droite comme en Autriche, en Pologne ou encore en Italie, une plus forte polarisation au sein de la Commission ne serait pas à écarter.

« La situation est assez critique, concède le directeur du Centre d’études et de recherche internationale de l’Université de Montréal (CÉRIUM), Frédéric Mérand. Une chose est sûre, [après les élections], l’Europe sera beaucoup plus conservatrice. » Une Europe qui, à coup sûr, empruntera le « bon sens », celui du repli et de l’ultra-nationalisme, brandit par Salvini et sa bande ?

Une autre version de ce texte a été publiée sous la forme d’une série de trois articles par la plateforme Raison d’État.

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Patrice Senécal
La REVUE du CAIUM

Co-rédacteur en chef du CAIUM. Étudiant au baccalauréat en science politique, journaliste-pigiste.