#Etudiantsfantômes ?

Clémence Maillard
La REVUE du CAIUM
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9 min readFeb 4, 2021
Photo: The 74.

Il y a un an encore, les préoccupations des étudiant.es étaient les mêmes que celles de nombreuses générations précédentes : aller à l’université, bien sûr, mais aussi vivre la fameuse vie étudiante, c’est-à-dire sortir, s’amuser, se réunir, travailler même, ou encore pour certains, voyager. Aujourd’hui, cette époque paraît bien lointaine et il semble peu probable que l’on retourne à une ère similaire aux temps pré-Covid dans un avenir proche. Zoom sur l’expérience étudiante au Québec et en France.

C ’est dur d’avoir 20 ans en 2020, disait Emmanuel Macron l’année dernière, en pleine pandémie de Covid-19. La France affichait alors des taux de contamination records et, le moins que l’on puisse dire, c’est que les étudiants n’étaient, et ne sont toujours pas, d’ailleurs, à la fête — au sens propre comme au sens figuré. Même son de cloche au Québec : « Lâchez pas », c’est le mot d’ordre transmis par François Legault. Si le premier ministre de la province et son homologue français semblent compatir aux difficultés ressenties par les étudiants, le vécu de ces derniers est compliqué à comprendre pleinement pour les dirigeants. Alors, quelle est la réalité des étudiants?

Un mal-être lié directement à la pandémie, partagé des deux côtés de l’Atlantique

En pleine pandémie, les étudiant.e.s connaissent désormais de nouvelles inquiétudes s’ajoutant au stress normal lié aux études. En effet, Au Québec, plus de 70% des étudiant.es interrogé.es ressentent du stress, de l’anxiété ou de l’isolement en raison de la situation sanitaire actuelle. Il en va de même en France.

Au cœur de leurs préoccupations, il y a la sensation de se faire « voler » leurs meilleures années : alors qu’on leur promettait la liberté depuis des années, les étudiant.es se retrouvent aujourd’hui en manque de sorties, de contacts sociaux, bref, en manque de vie étudiante. En outre, le sentiment que la crise perdure et n’est pas prête de finir semble accentuer le sentiment de perdition ressenti par plusieurs. Effectivement, pour certain.es, cette absence de lueur d’espoir s’ajoute non seulement au stress des études et au manque de distraction, mais aussi aux difficultés financières.

Ces inquiétudes ont contribué à la dégradation de la santé mentale de nombreux étudiants au cours de la pandémie. A ce propos, en cas de détresse psychologique, les étudiant.es sont invité.es à mobiliser les ressources mises à leur disposition et à profiter des consultations psychologiques proposées sur les campus. Malheureusement, la détresse étudiante n’est pas un phénomène nouveau, et la crise actuelle n’a fait qu’aggraver la situation. Ainsi, les psychologues sont débordés et les files d’attente sont interminables, malgré l’urgence de bien des cas.

Mais la prise de mesures adaptées pour venir en aide aux grands oubliés nécessite une prise de conscience de l’ampleur de leurs difficultés.

Des obstacles largement minimisés

Dans l’espace public, plus particulièrement sur les réseaux sociaux, la situation vécue par les étudiants laisse plusieurs internautes incrédules. Des professionnels de secteurs mis sur pause, actuellement en difficulté, ou simplement des comptes anonymes, sous-estiment la réalité en faisant le raccourci « étudiant.es déprimé.es car plus de soirée », faisant fi des problèmes financiers que rencontrent, tout comme eux, de nombreux.ses étudiant.es. La pandémie ayant largement affecté l’économie, française comme québécoise, de multiples emplois étudiants ont été mis en pause.

Sans compter que ces commentaires omettent aussi la catégorie de parents-étudiants, qui doivent concilier un nombre important de responsabilités : entre le soin aux enfants, les cours et les tâches domestiques, ceux-ci sont à un stade où la poursuite même de leurs études est compromise.

Effectivement, le décrochage est aujourd’hui une inquiétude considérable pour la communauté étudiante. Au Québec, les cours se déroulent en grande majorité en ligne depuis bientôt un an, et l’évolution de la situation étant imprévisible, le retour sur les bancs des amphithéâtres n’était pas envisageable encore la semaine passée. Mais les récentes déclarations du premier ministre québécois laissent entrevoir une possible reprise progressive des activités sur le campus dans les semaines à venir. Pourtant, les cours en ligne s’accompagnent d’une hausse de la charge de travail. Étudier de la maison amène, cependant, son lot d’obstacles. En effet, les distractions sont nombreuses. Paradoxalement, les activités pour se changer véritablement les idées sont presque introuvables. C’est donc avec un cerveau en surchauffe et des projets éparpillés que les étudiants reprennent du service, tentant, tant que possible, de retenir un petit quelque chose des conférences entrecoupées de problèmes techniques, offertes par des universités pleines de bonne volonté, mais aussi dépassées que leurs élèves. La mention succès/échec proposée par les universités québécoises n’est qu’une maigre consolation au milieu d’une crise qui semble de plus en plus hors de contrôle.

En France, le choix a été plus difficile. Les universités avaient, en effet, rouvert leurs portes à la rentrée de septembre, avant de fermer de nouveau, un mois et demi plus tard, suite au nouveau confinement imposé par le gouvernement. Mais contrairement à ce que l’on observe dans la plupart des universités québécoises, de nombreuses facultés françaises ont choisi d’organiser les examens sur table, dans les locaux habituels. Après avoir suivi tant bien que mal des cours en ligne, les étudiants se sentent lésés, et même mis en danger par cette décision qui divise les universités.

Ces incertitudes concernant le déroulement des cours et des examens ajoutent considérablement au stress des étudiant.es, accélérant la dégradation de l’état psychologique de certain.es.

Quid de la santé mentale

Le discours de certains médias ne transparaît pas toujours la réalité d’une large proportion de la communauté estudiantine. En France, des articles relatent une adaptation rapide des étudiants à de nouvelles formes de contacts sociaux, et avançent une baisse du taux de suicide. Or, ce ne sont pas que les étudiants vulnérables qui supportent mal la pandémie. Récemment, l’émergence du hashtag #Etudiantsfantomes met en lumière ce mal-être d’une population largement oubliée, absente trop longtemps du discours public. La santé mentale des étudiant.es se détériore au grand jour, et parfois, c’en est trop pour certain.es qui ne voient plus aucune autre solution que de mettre fin à leurs jours. La perte d’un être cher, et ce, pas nécessairement des suites de la Covid, n’est pas rare. Et c’est un coup supplémentaire apporté au moral, difficilement surmontable en période d’isolement, noyé entre les études et de potentielles difficultés financières.

Face à l’ampleur de la crise, les prises de parole des étudiant.es furent primordiales pour sensibiliser davantage universités et gouvernements, qui ont fini par se mobiliser pour apporter leur soutien aux plus démuni.es.

Des mesures prises rapidement, mais une reconnaissance tardive

Au Québec, la province a maintenu l’aide financière aux études, à laquelle s’est ajoutée la prestation canadienne d’urgence pour les étudiants (PCUE), proposée par le gouvernement fédéral. En France, le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) a accordé des aides spéciales aux étudiant.es ayant perdu leur emploi ou un stage rémunéré suite à la crise, mais aussi aux étudiant.es ultramarins restés en métropole. Puis, tardivement, une aide de solidarité exceptionnelle de 150 euros pour étudiant.es boursiers, ainsi que ceux non boursiers bénéficiant de l’aide personnalisée au logement a été mise en place fin novembre/début décembre par le gouvernement. Mais, encore une fois, il s’agit de mesures établissant des conditions strictes. Ainsi, de nombreux.ses étudiant.es n’ont pas pu bénéficier de ces aides solidaires. À ce niveau, ce n’est que très récemment que le président français a annoncé l’élargissement des repas à un euro à tous les étudiants, disposition initialement mise en place pour les étudiant.es boursiers. La mesure a pris effet fin janvier 2021, plus de 10 mois après le premier confinement de l’Hexagone.

En outre, les gouvernements n’ont pas été les seuls à se mobiliser : des universités ont également débloqué des fonds, à l’image de l’UQAM par exemple, qui a mis en place des fonds d’aide d’urgence pour venir en aide à sa population étudiante dans le besoin, ou encore l’université Rennes 2 en France qui s’est engagée dans une démarche similaire. Mais les mesures financières ne sont pas les seules adoptées ces derniers mois.

Les universités ont également pris des initiatives afin de soulager leurs étudiant.es, à l’image de l’Université de Montréal, où le Défi Soi est en place depuis quelques années afin de soutenir la communauté étudiante. Aujourd’hui encore, ces défis hebdomadaires sont de retour pour accompagner ceux et celles qui en ont besoin dans leur période d’isolement à travers des activités visant à promouvoir le bien-être. D’ailleurs, de nouveaux ateliers, animés par des étudiant.es, ont été mis en place cette session.

Une solidarité qui apparait et de nouvelles ressources

Les ressources mises à la disposition des étudiant.es en temps normal sont aujourd’hui débordées. Face à la détresse de leurs pairs, des étudiant.es se sont mobilisé.es afin de se soutenir. En France, par exemple, il existe une Nightline créée en 2016 à Paris pour pallier au manque de ressources d’écoute pour les étudiant.es, dont la santé mentale n’est pas toujours suffisamment prise en considération. En 2020, cette association a vu la demande exploser, ce qui l’a amené à ouvrir de nouvelles lignes dans d’autres villes de l’Hexagone. Dans cette même perspective de solidarité, sur Instagram, Imane Boun, étudiante en maîtrise en communication partageait depuis 2019 des recettes sur une page dédiée à la cuisine pas chère, initialement pour conseiller les étudiants boursiers, particulièrement en difficulté. Par la suite, et particulièrement pendant la pandémie, son compte a pris un nouveau tournant, servant de plateforme pour connecter la communauté étudiante et partager des conseils pour garder le moral et le cap dans ses études, mais aussi dans la vie quotidienne, alors que de nombreux.ses étudiant.es étaient confinés dans leurs petits studios, isolé.es pendant des semaines. Sur les réseaux sociaux, les initiatives citoyennes se multiplient : « les étudiants, c’est le futur de la France » explique un restaurateur qui a décidé d’offrir les repas aux étudiant.es dans le besoin de son secteur.

Imane Boun, en entrevue avec BFMTV. Instagram: recettes.echelon7.archive

Au niveau individuel, c’est devenu routinier pour de nombreux étudiants que de se soutenir mutuellement, à travers des petits messages d’encouragement, des conseils pour garder espoir, des discussions par écrans interposés. Être étudiant.e en pandémie, c’est réaliser que la réussite passe aussi par l’échange avec ses collègues, et que l’on ne s’en sortira probablement pas seul.e. Plus que jamais, la solidarité est de mise. Des frontières se brisent, on prend contact plus facilement, après tout qu’avons-nous à perdre ? Comme on se plaît à se le répéter, en bout de ligne, nous sommes tous dans le même bateau.

Finalement, les étudiant.es d’aujourd’hui seront les principaux acteurs de la formation du monde post-covid. Celui-ci dépend donc largement de la gestion de leur situation actuelle, ainsi il est primordial d’écouter leur voix car l’investissement dans cette génération équivaut à investir dans un avenir durable.

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https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1767686/deconfinement-assouplissement-mesures-legault-pandemie-covid-19

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Clémence Maillard
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Etudiante en Master 1, politique comparée Afrique Moyen-Orient. Intéressée par les enjeux sociaux, économiques et politiques en Afrique subsaharienne.