Féminisme et afro-descendance: des luttes pour la représentativité

Clémence Maillard
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readApr 8, 2021

“Where there’s will, there’s women

And where there’s women

There is always a way” –

(Là où il y a une volonté, il y a des femmes

Et là où il y a des femmes

Il y a toujours une possibilité)

- Amanda Gorman, sur le pourquoi du futur au féminin. Pour Forbes

Amanda Gorman à la cérémonie d’inauguration américaine en janvier dernier

Un féminisme à l’Occidental insuffisant pour une identification globale

La montée en puissance du féminisme ces dernières décennies, couplée au développement rapide de la technologie des dernières années, a mené à l’émergence de mouvements sur les réseaux sociaux tels que #MeToo ou encore #BalanceTonPorc. Cette libéralisation de la parole a contribué à conscientiser les populations aux enjeux sociaux que les femmes traversent, en plus de ceux économiques et politiques, largement documentés, mais également vastement ignorés. La remise en cause de droits fondamentaux, comme celui à l’interruption volontaire de grossesse en Pologne ou encore dans certains Etats américains, illustre l’urgence de réaffirmer l’émancipation des femmes comme catalyseur de progrès social. Ces thématiques nous sont familières, et pour cause : il s’agit du féminisme à l’Occidental. Coup d’œil sur d’autres horizons.

Des luttes variées, un féminisme multiple

Le féminisme est défini dans le dictionnaire Larousse comme un « Mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société. » Cette définition sommaire semble assez vaste pour englober toutes sortes de revendications favorables aux femmes. Pourtant, si nous prenons l’exemple du continent africain, il n’est pas rare que des femmes ne se désignent pas comme « féministes », non parce que le terme est parfois vu comme extrême ou péjoratif comme cela peut être le cas dans les sociétés occidentales, mais surtout parce qu’il semble venu d’ailleurs. En somme, les revendications féministes occidentales sont déconnectées de la réalité de nombreuses Africaines, menant ainsi à leur rejet du terme. Pourtant, les luttes sociales pour améliorer le quotidien des femmes existent là-bas aussi ; au Sénégal, deux mouvements ont pris d’assaut les réseaux sociaux pour dénoncer les violences, sexuelles ou non, faites aux femmes : #Nopiwouma (je ne me tairai pas) en 2018 et #Dafadoy (ça suffit) en 2019. Le viol était alors considéré comme un délit, et non un crime, par la législation sénégalaise, et les cas de meurtres de femmes devenaient monnaie courante. Suite au second mouvement toutefois, une loi criminalisant le viol fut étudiée et passée en janvier 2020, premier pas vers le progrès. Quoique les activistes saluent la nouvelle législation, elles jugent que beaucoup reste à faire en termes de mise en application, mais également au niveau de l’accompagnement des victimes.

Protestations contre les violences faites aux femmes au Sénégal

En somme, nous pouvons faire allusion à la pyramide de Maslow pour expliquer les divergences de lutte. En Occident, il s’agit davantage de luttes relevant de l’égalité économique, politique et sociale entre femmes et hommes et qui s’orientent de plus en plus vers une dimension post-matérialiste à travers le discours ou les attitudes sociales. Nous pouvons prendre comme exemple l’écriture inclusive, ou encore la fin des jeux genrés pour enfants. En revanche, l’exemple du Sénégal témoigne que le féminisme africain a comme impératif premier de protéger l’intégrité physique des femmes avant de s’intéresser à des sujets semblables à ceux abordés dans des pays du Nord.

Il est évident que les luttes pour l’amélioration de la condition des femmes sont un dénominateur commun entre féminismes occidental et africain, toutefois le manque d’identification à une cause globale empêche une unification sous un terme rassembleur de féminisme global. Un lien peut être fait entre la difficulté d’identification à un mouvement qui semble occidental et le manque de représentativité de la femme africaine/afro-descendante, et ce dans différentes sphères.

Ngozi Okonjo-Iweala à l’OMC

De nouvelles figures permettant l’identification

Élue le 15 février dernier à la tête de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), la nigériane Ngozi Okonjo-Iweala cumule les « premières fois » : première femme, mais aussi première Africaine à devenir Directrice générale de l’OMC. « History is made » titrait ainsi l’article de l’Organisation annonçant sa nomination au poste. Cet évènement est bien plus qu’un succès individuel : c’est un véritable symbole quant aux possibilités qui s’offrent aux femmes et notamment aux Africaines. En brisant ce plafond de verre, Ngozi Okonjo-Iweala ne se contente pas de montrer le chemin, elle ouvre la voie pour les suivantes.

L’émergence de mouvements féministes locaux a montré que la lutte féministe ne s’arrête pas aux frontières. De la même façon, pour permettre aux femmes, dans leur vaste diversité, de prendre conscience d’opportunités, il est essentiel d’avoir des modèles qui leur ressemblent. L’élection historique de madame Okonjo-Iweala à la tête de l’OMC est l’occasion de rappeler les parcours remarquables d’autres femmes africaines ou afro-descendantes dont nous avons forcément entendu parler cette année.

Amanda Gorman

Lors de la cérémonie d’inauguration du nouveau président américain Joe Biden, la jeune poétesse afro-américaine Amanda Gorman, alors âgée de 22 ans, a marqué les esprits en récitant son poème The Hill We Climb. La lauréate du prix national de Jeune Poète est également la cadette des poètes inauguraux dans l’histoire des États-Unis. Poétesse et activiste, Amanda Gorman se concentre sur les enjeux raciaux, féministes, ainsi que sur ce qui a trait à l’oppression et à la marginalisation. Elle ne cherche pas à enjoliver la réalité, ainsi The Hill We Climb, déclamé devant des dizaines de millions d’Américains et d’Américaines, évoque la nécessité pour la nation américaine de guérir de ses divisions et de faire son possible pour valoriser chaque Américain.e, peu importe son milieu d’origine. Si Amanda Gorman n’était pas la première poétesse afro-américaine inaugurale (Maya Angelou lui ouvrit la porte en 1993), sa jeunesse et le contexte dans laquelle son apparition s’inscrit lui confèrent une spécificité non négligeable. Amanda Gorman peut ainsi être considérée comme une source d’inspiration pour la jeunesse, et notamment pour les jeunes femmes afro-descendantes.

La nouvelle présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan

Samia Suluhu Hassan

Dans un autre registre, à la mi-mars, la vice-présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan prit la place de cheffe d’Etat suite au décès brutal du président John Magufuli. Elue avec lui en 2015, et à nouveau l’an passé, la première femme présidente de la République de Tanzanie est actuellement la seule dirigeante dans les faits sur le continent, la Présidente éthiopienne ayant davantage un rôle cérémonial. Mama Samia, telle qu’elle est affectueusement surnommée par ses concitoyens et concitoyennes, apparaît comme une politicienne « très sous-estimée », et entièrement « capable » d’assumer les fonctions qui lui incomberont dans les prochaines années, alors qu’elle complètera le mandat entamé l’an passé. Son hijab ne constitue pas un enjeu particulier dans son pays, dont une large partie de la population est de confession musulmane. Néanmoins, la majorité du pays est chrétienne, ce qui témoigne de la possibilité des femmes voilées d’accéder à de hauts postes, du moins en Afrique, et ce en dépit de la religion majoritaire. De cette façon, Samia Suluhu Hassan peut être également considérée comme une source d’espoir pour de jeunes femmes pouvant s’identifier à elle, de par leur genre, leur foi, ou encore leurs origines.

À l’aube du deuxième trimestre de 2021, l’émergence de femmes africaines et afro-descendantes remarquables est de bon augure quant au progrès de communautés historiquement opprimées. Bien entendu, toute avancée n’est jamais acquise pour de bon, et la lutte pour l’obtention et la défense de ses droits est permanente. Mais chaque pas en avant est à souligner, d’autant plus lorsqu’il s’agit de la représentativité. Les femmes susnommées offrent toutes des espoirs de changement et permettent à de futures grandes dames de se frayer un chemin, peut-être avec plus d’aisance.

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Clémence Maillard
La REVUE du CAIUM

Etudiante en Master 1, politique comparée Afrique Moyen-Orient. Intéressée par les enjeux sociaux, économiques et politiques en Afrique subsaharienne.